IranIran (actualité)Craignant une confrontation, Téhéran renforce l'obligation du service militaire

Craignant une confrontation, Téhéran renforce l’obligation du service militaire

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Le Figaro, 30 juillet – Par Delphine Minoui – Les dispenses deviennent difficiles à obtenir pour les jeunes Iraniens, dans une atmosphère de mobilisation guerrière anti-occidentale.

Manifestement impressionné par les gesticulations militaires de Washington, l’Iran fait désormais du service militaire une obligation incontournable. Depuis quelques mois, le nombre de dispenses a été sévèrement réduit. D’après plusieurs témoignages recueillis par téléphone par Le Figaro, de jeunes hommes préalablement réformés viennent d’être rappelés dans les casernes.

« Après avoir été exempté il y a trois ans, à cause de ma corpulence, je viens d’être rappelé aux ordres, du jour au lendemain. C’est ridicule ! », confie l’un d’entre eux, sous couvert de l’anonymat. Marié, père de famille, il pensait avoir échappé pour de bon à la conscription. Mais depuis trois mois, la dispense en faveur des personnes trop grosses ou trop maigres a, dit-il, été suspendue. Dans la lettre qu’il a reçue, aucune raison précise à son rappel ne lui a été notifiée. En fait, d’après lui, « c’est tout simplement parce que les autorités iraniennes ont peur que les casernes désemplissent, face aux menaces croissantes des pays occidentaux. »

TENSIONS AVEC L’OCCIDENT

En République islamique d’Iran, le service militaire dure dix-huit mois. Les appelés, uniquement des hommes, font d’abord trois mois de classes dans une caserne, où ils apprennent le maniement des armes. Puis, en fonction de leur niveau d’études et de leur spécialisation, ils intègrent certaines structures administratives appartenant à l’armée, aux pasdarans (les gardiens de la révolution) ou au ministère de la Défense. Ceux qui n’ont pas de diplôme universitaire se retrouvent dans des casernes provinciales. Des cours de propagande religieuse y sont également dispensés.

Sous la présidence de Mohammad Khatami (de 1997 à 2005), le Parlement réformateur avait fait un geste d’ouverture en faveur des objecteurs de conscience. En 2000, une loi leur offrit la possibilité d’acheter leur exemption du service militaire. Le prix fut fixé en fonction du niveau d’études, mais la moyenne tournait autour des 15 millions de rials (environ 1 500 euros). Les hommes mariés pouvaient payer moitié prix. « C’était un geste positif, dit le député réformateur Abdol Qassem Mokhtari, membre de la commission sociale du Parlement. À l’époque, cela avait permis de réduire la frustration des jeunes, fatigués par les longs mois d’attente avant d’être appelés, et la perte de temps liée au service. »

Dès 2002, cette mesure fut annulée par un décret du guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei. Entre-temps, les forces américaines étaient intervenues en Afghanistan. Et l’année suivante, elles envahissaient l’Irak, tandis que George W. Bush venait d’inscrire l’Iran dans l’« axe du mal ». Téhéran commençait à se sentir encerclé.

Avec l’arrivée au pouvoir, en 2005, du président Mahmoud Ahmadinejad, les tensions avec l’Occident se sont accrues. Course à l’énergie nucléaire, manoeuvres militaires plus fréquentes, et appels répétés du président « à couper la main de l’agresseur » en cas d’attaque du pays… C’est dans ce contexte que Téhéran a renforcé l’obligation du service militaire.

Les pénalités imposées aux déserteurs ont été alourdies. Auparavant, avoir effectué son service était une condition nécessaire pour obtenir un passeport afin de voyager à l’étranger. « Aujourd’hui, ceux qui ne font pas leur service font face à de plus en plus d’interdits », confie un exempté, récemment rappelé à son devoir militaire. Il cite, pêle-mêle, l’impossibilité d’acheter une voiture, une maison, et d’accéder à des métiers de la fonction publique. « Sans service militaire accompli, on ne peut même pas bénéficier d’une assurance-maladie », confie-t-il. Un autre conscrit souligne que « depuis le début de l’année, on ne peut plus acheter de ligne téléphonique sans certificat de service militaire. Et la police a fait savoir que tous les Iraniens doivent avoir ce certificat dans leur poche… C’est comme en temps de guerre ! »

ÉTOUFFER TOUTE CONTESTATION

Les autorités entendent se préparer à une attaque, même si sa probabilité est minime. « Nos soldats doivent être prêts à défendre le pays en cas de besoin », explique au Figaro le général Moussa Kamali, chargé des appelés au sein de l’état-major. « Actuellement, le nombre de jeunes qui essayent d’échapper au service augmente. C’est un délit inacceptable ! », dit-il.

Certains analystes et dissidents y voient plutôt le souci des autorités iraniennes de mobiliser la population autour d’un danger extérieur, afin d’étouffer la contestation interne. Une forme de propagande axée sur l’exacerbation du sentiment religieux et national, qui rappelle l’époque de la guerre Iran-Irak (1980-1988), pendant laquelle des milliers de jeunes partirent au front. Ce conflit est d’ailleurs aujourd’hui au coeur d’une polémique politique. De nombreuses personnalités reprochent aux dirigeants de l’époque d’avoir prolongé sciemment la guerre pour asseoir l’autorité de la jeune République islamique. Elles n’ont pas oublié, non plus, que les leaders de l’époque se gardèrent bien de s’approcher de la ligne de front. Certains allèrent jusqu’à envoyer leurs fils à l’étranger, à l’instar de Hachemi Rafsandjani, qui dirige aujourd’hui le Conseil de discernement, l’une des instances du régime. « La loi sur le service militaire est censée s’appliquer à tous les Iraniens, mais aujourd’hui de nombreux fils d’éminences religieuses sont exemptés », confie le premier appelé. « En cas de conflit, c’est nous qui trinquerons, pas eux ! », dit-il.

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