IranDroits de l'hommeMahine Saremi : “Le printemps iranien n’est pas mort”

Mahine Saremi : “Le printemps iranien n’est pas mort”

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Par Frédéric Pons

Valeurs Actuelles, 4 aout – Veuve d’un célèbre opposant exécuté par les mollahs, Mahine Saremi a fui Téhéran. Elle décrit la résistance iranienne de l’intérieur. Premier volet d’une série d’interviews que nous consacrons à la géopolitique.

Condamnée à dix ans de prison pour avoir participé aux manifestations hostiles au régime, Mahine Saremi,la cinquantaine, a joué un rôle actif dans le réveil de l’opposition iranienne à partir de 2009. Son mari, Ali Saremi, un célèbre opposant, a été exécuté le 28 décembre 2010. Sa veuve a pu finalement fuir l’Iran et se réfugier en France pour venir parler à la tribune du rassemblement de la résistance iranienne, le 18 juin à Villepinte, à l’initiative de l’Organisation des moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI), mouvement retiré de la liste des organisations terroristes de l’Union européenne en 2009 mais qui figure toujours sur celle des États-Unis. Voici son témoignage, en forme d’appel à la résistance.

Qui était Ali Saremi ? Mon époux, mon compagnon de combat. Il a passé vingt-quatre ans de sa vie dans les prisons du chah et surtout des mollahs. Resté digne et debout jusqu’à la fin, il était aimé des Ira niens, qui le considéraient comme le plus célèbre de leurs prisonniers politiques. Depuis 2007, il était incarcéré dans la sinistre prison d’Evine, où il a été pendu. J’ai passé près de trente années de ma vie derrière ou devant les murs de cette prison.

De quoi a-t-il été accusé ? D’être un militant de l’OMPI, un mouvement qu’il a toujours défendu. Sa dernière arrestation est intervenue après un discours courageux sur l’emplacement des fosses communes des victimes du massacre de 1988, au cours duquel 30 000 prisonniers politiques ont été tués par le régime.

Avez-vous combattu avec lui ? Oui, toute ma vie. En 2005, je me suis rendue avec lui au camp d’Achraf, en Irak, pour rendre visite à notre fils Akbar, qui avait rejoint la résistance. Ce centre de la résistance iranienne abrite 3 400 personnes. Il a été désarmé après l’invasion américaine, en 2003. Les Américains en ont alors assuré la sécurité, avant de la transférer, en 2009, au régime irakien, dont les responsables entretiennent de très bonnes relations avec Téhéran.

Quelle est la symbolique d’Achraf ? Les résistants qui y résident réclament la liberté pour leur pays. Ce camp est une source d’inspiration et de motivation pour de nombreux jeunes Iraniens. C’est pour cela que le régime des mollahs fait tout pour l’anéantir, en faisant pression sur Bagdad. Les forces irakiennes ont attaqué les résidents désarmés du camp, en avril. Il y eut 36morts et près de 400 blessés. Ces violences ont été condamnées par l’Onu et l’Union européenne.

Que s’était-il passé, en 2005, à votre retour en Iran ? Nous avons été arrêtés. J’ai passé un mois en isolement, dans des conditions très dures. On nous accusait aussi d’avoir déposé des fleurs sur la tombe du leader démocrate iranien, le premier ministre Mossadegh. Dans l’Iran des mollahs, rendre visite à son fils à Achraf ou fleurir la tombe d’un symbole nationaliste est un crime impardonnable. Ali fut arrêté à nouveau en 2007.

Quel a été votre rôle lors de l’insurrection du printemps 2009 ? J’ai mis sur pied un réseau actif, en relation avec ceux de l’OMPI dans le pays. En organisant nos quartiers pour mieux faire face aux violences des milices du régime, nous avons eu un énorme succès, sur tout auprès des jeunes avides de liberté, les filles comme les garçons. En l’absence des journalistes étrangers, nous prenions aussi des films et des photos des manifestations, afin de les transmettre au monde entier.

Comment le régime a-t-il répliqué ? Il s’est vite rendu compte que les slogans des manifestants avaient changé, pour réclamer son renversement, se propageant comme une traînée de poudre. Le 27 décembre 2009, lors de la célébration traditionnelle du deuil religieux de l’achoura, le pays a pris un tout autre visage. Les Iraniens ont compris ce jourlà que la chute de ce régime n’était plus une utopie.

Que s’est-il passé ? Une répression brutale s’est abattue. Plusieurs mem bres de mon réseau ont été arrêtés et torturés. Le pouvoir a déclaré mohareb (ennemi de Dieu) tous ceux qui descendaient dans la rue, soupçonnant des millions d’Iraniens d’être au service des Moudjahidine ! Plusieurs militants et sympathisants arrêtés ont été condamnés à mort. Ali avait déjà été arrêté bien avant, mais il a lui aussi été condamné à mort en représailles.

Jusqu’à ce triste mardi 28 décembre. J’attendais devant la prison d’Evine, très anxieuse. Je cherchais à avoir des nouvelles, mais les autorités pénitentiaires ne disaient rien. Même son avocat n’a pas été averti. C’est vers 5 heures du matin que la voix d’Ali a retenti dans la cour de la prison, s’élevant au-dessus des murs. Son cri m’a glacé le sang. J’ai compris que ce que je redoutais depuis si longtemps venait d’arriver. Après une vie digne et courageuse, mon mari s’est sacrifié pour la liberté, comme des dizaines de milliers d’Iraniens. J’ai alors lancé des slogans qui ont été repris par la foule, avant d’être arrêtée par les gardiens de la révolution, pour la troisième fois de ma vie.

Qu’ont-ils fait d’Ali ? Ils n’ont pas osé nous restituer son corps et ils l’ont enterré en cachette dans un village du Lorestan (ouest du pays). C’est en déposant une caution que j’ai enfin été autorisée à me rendre sur sa tombe, mais, étant condamnée à dix ans de prison, je devais re tourner à Evine dans les vingt jours que durait cette permission. J’ai alors choisi la clandestinité, en me rendant en cachette à la cérémonie du quarantième jour de deuil d’Ali. Plus de 5 000personnes s’étaient réunies pour lui rendre hom mage dans ce village éloigné.

Comment avez-vous pu quitter l’Iran ? J’ai pu le faire cinq jours avant l’expiration de mon sursis, avec l’aide d’un ami de mon mari. Je m’étais promis de rejoindre mon fils à Achraf et de continuer ce combat commun. Mais le blocus imposé par les autorités de Bagdad, alliées des mollahs de Téhéran, m’en a empêchée. J’ai réussi à rejoindre Paris pour venir participer au rassemblement de la résistance aux côtés de Maryam Radjavi, un leader que je compare à ce que fut le général de Gaulle pendant l’Occupation.

En quoi ce rassemblement de Villepinte vous a-t-il marquée ? J’ai été réconfortée de voir que des dizaines de milliers de mes compatriotes continuent de manifester pour la liberté en Iran et pour la défense d’Achraf. Ce qui me donne de l’espoir est d’avoir vu des par lementaires français, des personnalités européennes, arabes et américaines, comme l’ancien maire républicain de New York Rudy Giuliani, le membre du Congrès Bob Filner ou Raymond Aubrac, figure de la Résistance française, venir soutenir ce combat.

L’Iran semble éloigné de nos préoccupations en Europe ?  C’est vrai, je suis déçue. Bien que le “printemps arabe” ait bouleversé la donne, l’Occident continue de douter de la possibilité d’un changement profond et rapide en Iran. Les démocraties écoutent des “experts” qui sont à mille lieues des bouleversements profonds que connaît la société iranienne depuis deux ans. Ils recherchent au microscope l’émergence d’un courant modéré dans les conflits internes du régime, mais sont incapables de voir l’émergence et la force d’une résistance organisée qui inquiète tant le pouvoir.

Comment en êtes-vous si sûre ? La pression de la rue et la contestation permanente ont réduit à néant le cha risme que pouvait encore avoir auprès de ses propres troupes Ali Khamenei, le guide suprême de la révolution islamique. Le conflit actuel entre lui et son président protégé, Mahmoud Ahma dinejad, affaiblit un peu plus ce régime déjà fragilisé. Cela nous donne de l’espoir. Les jeunes Iraniens prennent pour modèle Achraf qui résiste à mains nues devant des soldats armés jusqu’aux dents, prêts à les massacrer.

Que veut, selon vous, la société iranienne ? Elle ne demande qu’une chose : un changement fondamental et la fin du régime des mollahs. Le “printemps de Téhéran” a commencé en 2009. Il n’est pas fini. Il est plus puissant qu’on l’imagine. Comme à Achraf, le peuple iranien veut vivre debout.

Propos recueillis par Frédéric Pons

Photo © SIPA

http://www.valeursactuelles.com/actualit%C3%A9s/monde/mahine-saremi-%E2%80%9C-printemps-iranien-n%E2%80%99est-pas-mort%E2%80%9D20110804.html

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