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Sous les yeux des ayatollahs, les Iraniens sautent de joie à l’occasion du printemps

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The New York Times, Ispahan 19 mars – Toute la journée et toute la nuit, la rue principale de cette ville était remplie pendant tout le week-end de promeneurs se bousculant pour acheter des cadeaux de dernière minute et des bonbons afin que tout soit prêt pour fêter le Nouvel An iranien, appelé Norouz. Derrière son bureau encombré à l’intérieur de son magasin d’antiquités, Sayed Ali Zargabashi regarde avec une grande satisfaction la foule se déverser sur les trottoirs.

« Les gens n’écoutent pas le régime », dit M. Zargabashi, 63 ans. « Ils suivent et accordent plus de valeur aux fêtes traditionnelles. Les gens veulent le meilleur pour eux. Ils ont ouvert les yeux désormais. »

Après la révolution islamique de 1979, les ayatollahs au pouvoir ont cherché à faire disparaître un grand nombre de traditions, telles que Norouz, fête ayant des origines zoroastriennes remontant à des milliers d’années pendant l’ère préislamique, marquant l’arrivée du printemps. Cette fête est considérée par beaucoup ici comme la fête la plus iranienne.

Les ayatollahs ont essayé et ils ont échoué.

Aujourd’hui, plus de trois décennies plus tard, certaines personnes disent que l’enthousiasme provoqué par Norouz et d’autres traditions anciennes constitue une résistance contre les dirigeants religieux plus conservateurs du pays.

Quelques jours avant Norouz, par exemple, les Iraniens sont sortis en foule dans la rue pour célébrer Chahar Shanbeh Suri, allumant des feux d’artifice et sautant au-dessus de petits feux, pratique traditionnelle destinée à apporter bonne santé durant la nouvelle année. Il y a plusieurs années, le gouvernement s’est aperçu qu’il ne pouvait pas éradiquer cette pratique et a créé des parcs spéciaux où ces feux pouvaient être allumés.

La fête cette année, période pour les réunions de famille, s’est avérée particulièrement contrariante pour les leaders religieux puisqu’elle tombe lundi, jour où les fidèles doivent pleurer la mort de l’Imam Hussein, dont la défaite à la bataille il y a des siècles est devenu un moment décisif pour le chiisme, secte islamique dominante en Iran.

Certains ecclésiastiques ont déclaré dans des interviews qu’il était acceptable de fêter le Nouvel An, mais comme la fête tombe le 40ème jour après l’anniversaire de la mort de l’Imam Hussein, les gens ne devraient pas montrer leur joie, ce qui fait sourire certaines personnes tandis qu’elles s’affairent pour être prêtes.

« A mon avis, ces jours-ci, une résistance silencieuse se fait ressentir en Iran, surtout parmi la classe moyenne », a affirmé Hamidreza Jalaipour, sociologiste. « Ils résistent non politiquement, mais socialement et culturellement. »

Comme la plupart des conflits dans une société aussi complexe et composite que celle-ci, l’histoire contemporaine de Norouz ne revêt pas qu’un seul aspect ni n’est uniquement une question de résistance. C’est aussi une affaire de compromis. Tandis que les leaders religieux iraniens suivent une politique de confrontation avec l’Occident au sujet du programme nucléaire de leur nation, ils ont cédé, même à contrecoeur, à l’insistance du public pour conserver, et même soutenir, les traditions non fondées sur le chiisme.

Alors que c’est le gouvernement réformiste de l’ancien président Mohammad Khatami qui a décidé de mettre en place des parcs pour la fête du feu, par exemple, cette pratique s’est poursuivie cette année après l’élection du président Mahmoud Ahmadinejad idéologiquement conservateur.

Le fait que les leaders religieux iraniens acceptent Norouz et d’autres traditions prérévolutionnaires comme Chahar Shanbeh Suri prouve également un degré croissant de stabilité, puisque le gouvernement du pays essaie de réconcilier les deux extrémités de l’identité nationale iranienne, religion et culture, selon les experts.

Lors du service des prières du vendredi la semaine dernière, qui s’est tenu dans le stade à ciel ouvert de l’Université de Téhéran et diffusé dans tout le pays, l’ayatollah Ahmad Jannati, en faveur d’une application stricte de la doctrine islamique en tant que chef du Conseil des Gardiens, n’a pas mentionné Chahar Shanbeh Suri. Il n’a pas non plus mentionné Norouz, même s’il a reconnu que la détente avait du bon, du moment que l’on continuait d’observer les lois de la République islamique.

« Pour cette nouvelle année, a déclaré l’ayatollah du haut d’une estrade dominant la foule, la bonté et l’affection de Dieu seront avec vous. Nous devons toujours respecter la piété et toutes les lois décidées par Dieu. Vous ne devez commettre de péchés ni dans la joie, ni dans la tristesse. »

Il existe encore des désaccords entre les deux extrémités du débat, les ultra religieux qui voudraient supprimer tous les éléments de l’identité iranienne n’étant pas explicitement islamiques et les autres, dont beaucoup font partie de la communauté expatriée, qui essaient de saper la crédibilité du gouvernement islamique en appelant au nationalisme iranien par le biais de traditions telles que Char Shanbeh Suri.

« Ce qui est intéressant, c’est qu’on ne sait pas exactement pourquoi l’opposition essaie de tirer avantage de ces petits feux et pétards, qui font à tort partie de la tradition maintenant, et de les interpréter comme une opposition à la République Islamique », a écrit Hussein Shariatmadari, rédacteur en chef du quotidien conservateur Kayhan dans l’édition de jeudi.

Les débuts précis de Norouz (qui veut dire « Nouveau Jour ») ne sont pas clairs bien que ses origines remontent à des milliers d’années. En Iran, elle est étroitement associée à la foi zoroastrienne, religion monothéiste dont les fidèles exécutent des prières et des rites en la présence du feu, symbole de l’ordre, de la vérité et de la droiture. Les Zoroastriens auraient officialisé la tradition de Norouz.

Tooran Shahriari, membre éminent de la communauté zoroastrienne à Téhéran, affirme que l’ancien calendrier était divisé en 12 mois de 30 jours chacun. A la fin de l’année, dit-elle, les cinq jours restants deviennent des « jours spéciaux » et le moment des célébrations.

Concrètement, cette fête signifie la fin de l’hiver et le commencement de la nouvelle période de croissance et ressemble à un mélange de Saint-Sylvestre et de Thanksgiving. A l’occasion de cette fête, les Iraniens procèdent à un grand nettoyage de printemps.

La fête commence au moment exact du début du printemps, donc lundi, les familles iraniennes vont se réunir à la maison vers environ 22 heures autour d’une table dressée de sept plats symboliques, tous commençant par la lettre S en persan, accompagnés de vinaigre, de fruits secs, d’ail et de graines germées représentant le renouveau. La fête se termine le 13ème jour avec le Sizdah Bedar, tout le monde étant supposé aller dans la nature, faire des pique-niques et profiter du début du printemps.

A Isfahan, les gens s’affairaient pour être prêts pour la fête. Une tradition consiste à acheter de nouveaux vêtements ; les tailleurs étaient donc très occupés à essayer d’honorer leurs commandes pour la fête. Dans un magasin, un tailleur nommé Akbar a affirmé que presque la moitié de son chiffre d’affaires se faisait dans le mois qui précède la fête. Selon lui, Norouz est une fête populaire parce que les gens voient l’occasion de se révolter contre le gouvernement et ses stricts codes sociaux de comportement.

« Ils ont vraiment essayé de nous enlever Norouz », a affirmé Akbar pendant qu’il habille un client d’un nouveau costume. « Les gens se détournent complètement de la religion. Ils n’écoutent pas ce que dit le gouvernement. » Nous ne pouvons pas révéler son identité complète pour le protéger de représailles éventuelles en raison de ses commentaires sur la religion, souvent considérée comme une ligne rouge dans ce pays.

Tout le monde ne partage pas le point de vue du tailleur. Certaines personnes au contraire qui se présentent comme étant religieuses disent ne voir aucun conflit dans la culture de l’Iran.

« Les Iraniens ont la tradition et la religion, et elles sont respectées toutes les deux », affirme Jaafar Hemmassian, 40 ans, boulanger au centre ville, en vendant des piles de choux à la crème et des boites de friandises. « Toutes les traditions de Norouz sont acceptées par l’Islam. »

Quelques jours plus tôt, tandis que les gens se réunissaient dans un petit parc à Téhéran pour allumer des feux et célébrer Chahar Shanbeh Suri, ayant lieu le dernier mercredi de l’année, beaucoup de personnes ont dit être heureuses que le gouvernement soit finalement revenu sur sa décision et ait même aidé à l’organisation de la fête.

« C’est une nuit très importante pour nous, surtout parce que le régime s’est enfin aperçu qu’il devait respecter les requêtes du peuple et les laisser faire la fête », a déclaré Manijeh Emadi, 54 ans, professeur dans le secondaire. « Ils ont voulu pendant 27 ans faire disparaître Norouz et ses traditions. Finalement, ils se sont aperçus que cette tradition avait survécu pendant des centaines d’années et qu’elle leur survivrait aussi ».

Nazila Fathi a contribué depuis Téhéran à la rédaction de cet article.

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