IranIran (actualité)Une heure avec le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad

Une heure avec le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad

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Lemonde.fr, 5 février – Rideaux tirés et enfilade de salons déserts entre deux colonnes de marbre : ce vendredi 1er février, la magnifique villa qui abrite les bureaux de la présidence de la République islamique d’Iran, au centre de Téhéran, a tout de l’ambiance feutrée de coulisses de théâtre avant la représentation. Un entretien avec Mahmoud Ahmadinejad n’est jamais facile à programmer : le président iranien ne cesse de voyager.

Deux jours plus tôt, il était dans le sud du pays, à Bouchehr, dont la centrale nucléaire, approvisionnée par la Russie, lui a rappelé le contentieux persistant entre son pays et les Occidentaux qui, au Conseil de sécurité de l’ONU, préparent une série de sanctions (la troisième) pour obliger Téhéran à suspendre son programme d’enrichissement d’uranium. M. Ahmadinejad a profité de son voyage à Bouchehr pour lancer un appel aux investissements européens en Iran, tout en prononçant une nouvelle diatribe contre Israël, « la sale entité sioniste, qui tombera tôt ou tard ».

Ce vendredi après-midi, jour férié en Iran, il faut attendre encore quelques heures pour que débute l’entretien avec M. Ahmadinejad demandé par Le Monde. « M. le président a encore beaucoup de travail », confient ses assistants. On peut le comprendre : malgré les prix élevés du pétrole, l’Iran traverse de fortes difficultés économiques qu’une inflation galopante et un taux de chômage élevé chez les jeunes (plus de 30%) ne font qu’accentuer. Sa gestion a même été critiquée au Parlement. Certaines universités s’agitent, et le nombre record d’exécutions publiques enregistré ces derniers mois alourdit un peu plus le climat à l’approche des élections législatives de mars.
En fin d’après-midi, soudain, la plus grande agitation s’empare des salons : le moment est venu. Une armée de techniciens installe d’énormes fauteuils sous la lumière violente de projecteurs.

« BULLE » MÉDIATIQUE

Cette fois, le décor est planté. Mais pourquoi seulement deux fauteuils, alors que l’entretien est prévu avec les deux envoyés spéciaux du Monde? Pourquoi ces caméras? Pourquoi ces interprètes dans la pièce d’à côté, prêts à traduire les propos présidentiels dans l’oreillette des participants, sans même assister au débat, coupant ainsi toute spontanéité? La réponse ne vient que quelques minutes avant le début de l’entretien – faut-il dire du « show »? : tout a été prévu, en fait, pour la télévision iranienne. Et c’est aux Iraniens, en regardant la caméra, que le président s’adresse, plus qu’il ne répond aux questions de son faire-valoir du jour. Une « bulle » médiatique sur mesure.

Très chaleureux, pondéré, M.Ahmadinejad ne refuse aucune question, mais répond à sa manière, souvent par d’autres questions. Et, peu à peu, au-delà des figures imposées – le nucléaire (l’Iran n’a pas peur de nouvelles sanctions et poursuivra son programme d’enrichissement de l’uranium) ou encore le rôle de l’Europe (elle doit afficher son indépendance), celui de la France (elle devrait entretenir des relations plus étroites avec l’Iran) –, le président iranien dévoile sa « vision » d’un monde idéal, selon lui en quête de « pureté ». Un monde de certitudes simples dans lequel la faute originelle au Proche-Orient revient à Israël et à « ce peuple déplacé qui finira par partir ». Un monde où les résolutions de l’ONU (celle créant l’Etat d’Israël comme les autres) n’ont pas de valeur particulière.

Croyant et nationaliste, M.Ahmadinejad parle d’un Iran qui, certes, voudrait « plus de démocratie », mais, « est-ce là l’important? », s’interroge-t-il, balayant la question des droits de l’homme comme il évacue la crise économique chez lui : « L’économie américaine n’est-elle pas en voie de régression? » Puis, à la fin, comprenant, devant les protestations réitérées, qu’un journal européen a d’autres critères pour un entretien de ce genre, surtout lorsque l’accord initial n’a pas été respecté, il offre, non sans une certaine élégance, de « réparer » en accordant sous peu un nouvel entretien. « Le président tient toujours ses promesses! », insiste l’un de ses plus proches conseillers.

ENTRETIEN

– Le Monde – Le président Nicolas Sarkoky a dit à plusieurs reprises son inquiétude quant à la finalité du programme nucléaire iranien.

Qu’est ce que vous en pensez, vous, en tant que Français ? (…) Vous pensez comme moi qu il ne faut pas qu il y ait des armes nucléaires dans le monde… Ne faut il pas que les armes nucleaires, qui ne sont d’aucune utilité dans le monde d’aujourd’hui, soient éliminées ? Nos deux peuples entretiennent de bonnes relation. Entre eux, il n’y a pas de problèmes sérieux. Ce sont deux peuples qui ont des points de vue communs sur beaucoup de questions internationales. Nous croyons que ces propos [ceux de M. Sarkozy sur le nucléaire iranien »> n’ont pas leur place aujourd’hui. Nous ne les prenons pas trop au sérieux ; nous avons pensé que c’est le début ce nouveau gouvernement français. Nous attendons que les vraies positions de la France, celles qui auront un effet pratique. Nous n’avons pas d’inquiétudes à ce sujet.

– Le Monde – Vous invitériez M. Sarkozy à Téhéran à l’occasion de la présidence française de l’Union européenne au printemps ?

Nous croyons que cette présidence française est une bonne opportunité, pour la France et pour l’Europe. Car nous pensons qu’il est temps que l’Europe repense la question de sa présence internationale. Aujourd’hui, sur la scène internationale, l’Europe n’existe pas, je veux dire une Europe qui soit une entité indépendante. Nous ne voyons nulle part dans les équations politiques internationales de ce début de siècle des positions qui seraient celles d’une Europe indépendante. Nous croyons que la présence de la France à la tête de l’Union peut être une occasion pour l’Europe de développer une politique indépendante, surtout dans la région du Moyen Orient, autour de la méditerranée. La présidence française devrait être l’occasion de lancer une politique européenne indépendante. Quant à M. Sarkozy, il peut venir en Iran à tout moment, nous l’accueillerons quand il le désirera, cela ne dépend pas de sa présidence de l’Union.

– Le Monde – Le Conseil de sécurité de l’Onu prépare une nouvelle résolution sommant l’Iran d’arrêter son programme d’enrichissement de l’uranium sauf à subir un durcissement des sanctions économiques déjà prises contre votre pays.

La question nucléaire est très importante pour notre peuple. Nous voulons que tous les pays – à commencer par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité – permettent à l’organisation légalement en charge de cette question, l’AIEA [l’Agence international de l’énergie atomique, qui dépend de l’ONU et est chargée de faire respecter le Traité de non prolifération »> d’agir conformément à sa mission. Les problèmes ont commencé quand certains pays membres – les cinq permanents – ont voulu s’arroger des droits qui dépassent ceux des autres pays membres de l’AIEA. Les problèmes commencent lorsque ceux – là se dotent d’un droit d’intervention qui outrepasse les règles de l’AIEA. L’Iran agit en collaboration avec l’AIEA, respecte ses engagements et ses devoirs à l’égard de l’agence. Malheureusement, l’Iran est privé de certains de ses droits, en particulièrement de disposer de l’assistance des autres membres de l’AIEA en ce qui concerne le combustible nucléaire – on ne nous a pas aidés, comme nous y avions droit. Mais nous croyons que nous devons tous continuer à travailler avec l’AIEA et accepter ses avis.

– Le Monde – Et pourtant, Américains, Chinois, Britanniques, Français et Russes envisagent bel et bien de voter une troisième vague de sanctions contre l’Iran.

Ecoutez, ces résolutions ne sont pas notre problème, c’est le leur. Quand sur la base d’informations erronées, un groupe de pays agit avec entêtement de façon erronée, alors c’est lui, c’est ce groupe qui a un problème…Mais nous n’avons pas d’inquiétude. Notre peuple est un grand peuple – quand il s’agit de défendre nos droits, nous sommes sérieux.

– Le Monde – Où en est votre proposition de permettre la création en Iran d’une société mixte, d’un consortium international pour enrichir l’uranium dont vous avez besoin ?

Cette proposition, je l’ai faite il y a deux ans aux Nations Unies. Malheureusement, les Européens et les Américains ne l’ont pas accueillie favorablement. Ils ont considéré que nous ne la formulions que parce que nous aurions été en position de faiblesse. Aujourd’hui, cette proposition n’est plus sur la table. Mais si d’autres en venaient à la reformuler à nouveau, nous l’étudierons. A une condition : que le droit du peuple iranien à l’enrichissement de l’uranium soit préservé.

– Le Monde – Vous approuvez M. Sarkozy quand, du Maghreb au golfe, il propose d’aider de nombreux pays à accéder au nucléaire civil ?

Nous ne considérons pas que c’est une mauvaise chose. En cette matière, nous n’entendons pas fixer des limites aux autres. Nous croyons que tous les pays devraient pouvoir jouir de l’énergie nucléaire . Nous croyons que c’est opprimer une partie de l’humanité que d’assimiler l’énergie nucléaire à la bombe nucléaire. C’est une énergie pure, dont tous les peuples doivent pouvoir profiter.

– Le Monde – L’Iran est parfois accusé de ne pas faciliter les choses chez son voisin afghan, notamment en aidant les talibans qui affrontent les forces de la coalition international déployée dans ce pays.

L’attitude de certains pays occidentaux est contradictoire. Le langage qui est le leur date d’il y a cent ans. Quelle est la situation ? Des dizaines de milliers de troupes étrangères ont été déployées dans notre voisinage. Nous savons que certains de ces pays occidentaux qui nous critiquent collaborent sur place avec les gens dont vous parlez. Et par le passé ont collaboré et même soutenu, armé, financé ces groupes extrémistes en Afghanistan. Nous savons très bien ce qui se passe chez notre voisin. Nous avons de vieilles relations avec l’Afghanistan, culturelles, historiques. Tout ce qui là bas provoque de l’insécurité est un problème de sécurité pour nous. Nous voulons que le peuple afghan recouvre son intégrité. Nous aidons à établir un dialogue entre les différentes factions et tribus afghanes. Notre expérience historique nous a appris que chaque fois que les Américains, les Européens sont entrés dans notre région, il y a eu des litiges. Regardez l’Irak. Est-ce qu’on peut assurer la sécurité d’un pays de façon artificielle, avec l’aide de forces étrangères ? Jusqu’à quand ?

– Le Monde – Au Liban, vous n’appuyez, militairement, économiquement, politiquement, qu’un seul parti, le Hezbollah.

Nous aiderons tous ceux qui agissent en conformité avec des principes justes. Nous croyons que le Liban est un pays indépendant. C’est la population libanaise qui doit être maître de son destin. Chaque démarche qui facilite l’unité et la souveraineté du Liban, pour son indépendance, nous la soutiendrons.

– Le Monde – Mais vous ne soutenez qu’un seul parti là bas ?

Le peuple libanais a le droit de vivre, de s’exprimer. Nous sommes contre une ingérence dans les affaires du Liban. Avec la plupart des partis libanais, nous avons de très bonnes relations. Avec les chiites, les druzes, les chrétiens, les sunnites.

– Le Monde – Vous n’aidez pas à la création d’un Etat palestinien indépendant en Cisjordanie et à Gaza ; vous n’appuyez pas les efforts de l’ONU, des Etats-Unis, de l’Union européenne, de la Russie en ce sens. Vous y êtes opposés, vous ne soutenez qu’un parti palestinien, le Hamas.

Qu’est ce que vous voulez dire ? Actuellement, n’y-t-il pas le gouvernement du Hamas [à Gaza »> ? Un gouvernement qui a été établi par le peuple [le Hamas a remporté les élections législatives dans les territoires palestiniens en janvier 2006 puis s’est emparé par la force de l’administration de la bande de Gaza le 15 juin 2007″> Qui s’oppose à ce gouvernement ? Ce sont les Européens, les Etats-Unis qui sont contre ce gouvernement du Hamas. Nous sommes actuellement le seul pays qui soutient le gouvernement légal de la Palestine. Alors, qui réprime ce peuple, qui lui impose des sanctions économiques ? Je suis désolé de dire que ce sont les gouvernements des pays européens qui collaborent avec les sionistes dans cette affaire. Mais la question de la Palestine va au delà de votre question. Il faut en revenir à un événement intervenu il y a 60 ans [la création de l’Etat d’Israël par une résolution des Nations Unies en 1948″> , un événement qui a déplacé des millions de personnes, tué des centaines de milliers d’autres [selon l’ONU, quelque 700 000 Palestiniens ont été déplacés pendant ou à l’issue de la guerre israélo-arabe qui a suivi la création d’Israël, qui a fait quelques dizaines de milliers de morts »>. Ce ne sont pas les initiatives européennes ou américaines qui vont régler le problème. Il faut aller à la source, à l’origine du conflit, à sa racine si nous voulons régler cette question, sinon la crise se poursuivra. A la longue, ceux qui perdront sont ceux qui sont responsables de l’occupation.

– Le Monde – Il y a deux jours, vous avez encore annoncé que  » l’entité sioniste tombera tôt ou tard « …

Pourquoi le peuple palestinien doit-il accepter l’occupation ? Pourquoi doit-il accepter d’être amputé d’une partie de son territoire ? Ce n’est pas parce que les Nations Unies ont reconnu [Israël »> que cela confère une légitimité à cette reconnaissance. Un peuple falsifié, inventé [le peuple israélien »> ne va pas durer, il doit sortir de ce territoire. Ce n’est pas parce que tout le monde dit quelque chose de faux que cela devient juste.

– Le Monde – L’an prochain, il y aura un nouveau président américain. Est-ce que c’est important pour vous qu’il soit démocrate ou républicain ?

S’il y avait des élections libres aux Etats-Unis, si le peuple américain avait différents choix, s’il n’avait pas seulement deux options, nous croyons que le peuple américain se prononcerait pour une autre politique que celle que mènent les Etats-Unis. Il essayerait d’orienter différemment la politique étrangère des Etats-Unis. Le peuple américain aimerait avoir des relations d’amitié et de collaboration avec les autres peuples. Il n’aime pas qu’il y ait dans le monde des massacres perpétrés en son nom, et des territoires occupés. Nous espérons que ceux qui sont candidats reçoivent le message du peuple américain, qui souhaite le changement.

– Le Monde – Il y a trois ans, vous avez annoncé que vous serez le président qui allait prioritairement s’attaquer aux difficultés économiques et sociales de l’Iran ?

Ou n’y a t il pas des problèmes économiques. Il n’y a pas de problèmes économiques en France ? Les progrès économiques de l’Iran sont bien connus, l’Iran progresse dans différents domaines. Evidemment, nous rencontrons des difficultés – c’est naturel. Aux Etats-Unis, il n’y a pas de problèmes ? Les difficultés des Etats-Unis sont plus nombreuses que celles de l’Iran. L’économie des Etats-Unis est en voie de régression. Dans l’ensemble de l’Europe, il y a beaucoup de problèmes.

– Le Monde – Qu’est ce qui vous motive ? Le sentiment national iranien ? Vos convictions religieuses ?

A votre avis, qu’est ce que demande le peuple iranien ?

– Le Monde – Plus de démocratie.

Vous ne vous trompez pas. Mais ce que demande le peuple iranien ne se résume pas à la démocratie, c’est plus que cela. C’est quelque chose de plus haut que cela, c’est la dignité humaine. C’est une certaine place de l’homme dans l’univers. C’est la justice. C’est la pureté. C’est le refus de la domination. Et tout cela n’est possible qu’avec la croyance en Dieu. Et tout cela est plus haut que la démocratie. La démocratie n’est qu’une petite partie des acquis du peuple iranien. Le peuple iranien a ses racines dans l’histoire. L’Iran a été le foyer de grandes civilisations mondiales. Ce n’est pas un peuple qui craint les tempêtes, le vent. Vous avez vu que huit ans de guerre [la guerre irano-irakienne de 1980 à 1988″> ont rendu notre peuple encore plus avisé. Et le genre de boycottage, de sanctions, le genre de menaces dont nous faisons l’objet nous donne encore plus de maturité. Sans aucun doute, l’Iran est actuellement une puissance mondiale. Il ne tire pas sa force de ses armes, mais de la vigueur de son influence culturelle.

Propos recueillis par Alain Frachon et Marie-Claude Decamps

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