Valeures Actuelles: -Malgré la violence de la répression, la contestation continue, sur fond de surenchère nucléaire. Ce 11 février devait marquer un tournant pour un régime affaibli.
Le jeu de lIran est le même depuis cinq ans. Il alterne un souffle chaud pour rassurer la communauté internationale sur ses intentions, puis glacial pour la déstabiliser et tenter de la fracturer. Il lance à intervalles réguliers des provocations verbales qui suscitent la réprobation internationale, ce qui vient légitimer le blocage du régime et lautorise à lancer une nouvelle opération de mobilisation de son opinion sur des thèmes nationalistes.
Il poursuit, toujours, son objectif stratégique : arriver à maîtriser, de façon autonome, lensemble du processus nucléaire. Il nourrit ainsi la très forte suspicion internationale sur son intention de se doter, dans les meilleurs délais, de sa première bombe nucléaire.
Une nouvelle fois, les dirigeants iraniens viennent denvoyer des signaux contradictoires. Ils ne dupent personne mais ils peuvent donner un argument à la Chine, lun de leurs rares soutiens, pour convaincre lOnu de temporiser, une nouvelle fois, sur la question des sanctions. Après avoir annoncé navoir « aucun problème » sur une ancienne proposition du groupe des Six (les cinq permanents du Conseil de sécurité de lOnu et lAllemagne) de faire enrichir luranium iranien à létranger, le président Mahmoud Ahmadinejad a opéré une nouvelle volte-face, comme il la déjà fait tant de fois dans le passé.
La contestation dépasse maintenant les frontières de Téhéran
Laccord négocié à Vienne le 21 octobre 2009, sous légide de lAgence internationale de lénergie atomique (AIEA), prévoyait que 70 % du stock duranium iranien (1 200 kilos) devait être enrichi à 20 % en Russie puis en France, selon un procédé qui devait le rendre impropre à toute utilisation militaire ultérieure. Le régime iranien a vu le risque. Le 7 février, Ahmadinejad ordonnait à ses ingénieurs, à la télévision, le lancement de la chaîne de production duranium hautement enrichi à 20 %, préalable dune chaîne pouvant conduire à la fabrication dune bombe. Jusque-là, lIran nétait jamais allé au-delà dun enrichissement à 3,5 % sur son territoire. « Cest un viol délibéré des résolutions de lOnu votées depuis 2006 », ont aussitôt traduit Londres, Washington et Paris, prêts à une nouvelle série de sanctions.
Le régime iranien nest pourtant plus dans la même posture que naguère, affaibli par la poursuite de la vague de contestation interne. Cest la grande différence avec les années précédentes, quand la République islamique aveuglait les inspecteurs de lAIEA et pouvait balader les négociateurs européens et américains, de négociations en réunions aussi longues quinutiles.
Sans vouloir le reconnaître, le régime iranien se trouve affaibli et en partie délégitimé par les huit mois de contestation. Le mouvement étudiant et urbain lancé pour dénoncer les fraudes électorales de la présidentielle de juin 2009 a bien évolué. Même sil manque encore de chefs incontestables, il sest transformé en révolution populaire. La contestation dépasse maintenant les frontières de Téhéran et des grandes villes universitaires, malgré la violence de la répression menée par les gardiens de la révolution, la garde prétorienne du régime, et les bassidjis, ces miliciens à tout faire qui suppléent les forces de police.
La violence policière, les milliers darrestations, les brimades et les disparitions, les procès de masse et les premières pendaisons dopposants nont pas réussi à enrayer le mouvement. Au contraire. Il a même gagné certaines campagnes, le monde des commerçants et, selon toute vraisemblance, une partie de ladministration du pays. Lampleur de la répression a touché tellement de monde que chacun a maintenant un parent ou un ami concerné.
Plus grave pour le régime : le front religieux sest lui aussi fissuré. Une majorité dayatollahs et de mollahs sopposerait à la ligne dure incarnée par le guide suprême, Ali Khamenei, clé de voûte de la théocratie iranienne, et par le président de la République islamique, Mahmoud Ahmadinejad, si mal élu. Déminents religieux ont élevé la voix pour réclamer un peu de souplesse et sauver ce qui peut encore lêtre. Déjà contesté par ses pairs pour son manque de légitimité religieuse, notamment par la famille et les amis de layatollah Khomeiny, Ali Khamenei a tenté de colmater son pouvoir en sappuyant sur les gardiens de la révolution. État dans lÉtat, ce corps délite a tout à perdre dans cette révolution. Il sera le dernier rempart de la République islamique.
Favorisés depuis toujours par le système religieux, les gardiens de la révolution disposent dune puissance financière et militaire sans équivalent en Iran. Bien entraînés, bien commandés, les pasdarans contrôlent un arsenal moderne et le meilleur réseau de télécommunications. Ils gèrent aussi les grandes entreprises, la plus grande partie de léconomie et des exportations. Ils verrouillent toutes les activités nucléaires. Ils ont été les premiers touchés par les quatre séries de sanctions internationales décidées par les Nations unies.
Affaibli par cette quarantaine internationale, le régime a su sorganiser, grâce à ses réseaux commerciaux toujours très actifs dans le Golfe et avec lappui de ses derniers alliés aux Nations unies : la Chine, toujours en pointe, la Russie, un peu en retrait, et quelques pays émergents (comme le Brésil) qui pourraient tenter de monnayer leur soutien à la politique de sanctions. Ce front hétéroclite soppose aux nou-velles mesures coercitives réclamées par lUnion européenne (la France en est le pays leader) et par les États-Unis, où la doctrine Obama de la main tendue, en vigueur pendant sa première année de mandat, vient dêtre enterrée.
Jusque-là, lOccident pouvait hésiter car les sanctions semblaient affecter en priorité la population iranienne, déjà soumise à beaucoup de privations (comme lessence). Des renseignements en provenance de lintérieur indiqueraient que les partisans du changement soutiennent maintenant cette politique, pour accélérer la chute du régime.
Ces réseaux dinformation, en partie contrôlés par la résistance iranienne (OMPI, lire ci-dessous), sont à prendre au sérieux. Ils sont à lorigine des premières révélations, en 2002, sur les projets nucléaires clandestins du ré-gime, à partir des installations de Natanz et dArak, ce que le monde ignorait. Lopposition dénonce ce programme nucléaire à travers la mise en garde du ministre des Affaires étrangères de la Résistance en exil, dans une interview au quotidien Al-Ahram : « Cest une arme au service du régime pour rester au pouvoir. Puisquil na aucun soutien du peuple, il doit pouvoir compter sur une arme nucléaire pour faire progresser son ingérence et en même temps résister aux pressions internationales. »
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