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Le temps de la diplomatie, trop lent face au sprint nucléaire de l’Iran

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Le Figaro, 1 avril 2006 – Par Thérèse Delpech *- Après trois semaines de discussions improductives sur un projet de déclaration présidentielle, le Conseil de sécurité a finalement adopté un texte mercredi 29 mars. Au même moment environ, on apprenait que Téhéran avançait plus vite que prévu pour l’assemblage des centrifugeuses sur le site de Natanz : une première cascade de 164 machines serait déjà prête, alors que les prévisions se contentaient jusqu’à présent d’évoquer le lancement de travaux préalables sur des ensembles de 20 à 30 centrifugeuses. Cette cascade, qui représente un module du futur pilote d’enrichissement – et donc une avancée technique significative de l’Iran –, n’était pas attendue si tôt et il suffit désormais d’en reproduire plusieurs exemplaires.

En vérité, tout est dans cette différence de rythme. Le temps de la diplomatie ne concorde en rien avec celui du programme nucléaire iranien. D’un côté, on a La Vie devant soi, comme dans le célèbre roman d’Emile Ajar, tandis que de l’autre on assiste à une accélération indiscutable. La course contre la montre dont parlait Pierre Goldschmidt en quittant son poste de directeur des Garanties de l’AIEA en juin 2005 est entrée dans une phase critique et il n’y a plus guère d’incertitudes sur l’identité de l’unique coureur de fond. A New York, non seulement il n’y a pas de stratégie d’action, contrairement à Téhéran, mais il s’agit surtout pour l’instant de renvoyer à l’AIEA la responsabilité de la suite des opérations pendant les trente prochains jours. Quel nouveau rapport le directeur général pourra-t-il bien produire à cette date ?

La déclaration n’exercera en tout état de cause aucune pression réelle sur Téhéran car les déclarations présidentielles du Conseil de sécurité n’ont pas de pouvoir juridique : cette première étape a un caractère essentiellement politique. C’est un simple appel des membres du Conseil à Téhéran et il n’est en l’occurrence assorti d’aucune menace en cas de non-respect par l’Iran de la demande qui lui est faite. Mais alors que les experts présentent souvent des pronostics alarmistes soit sur les sanctions économiques, soit sur l’usage de la force, la vérité nue est très différente. On n’a pas même pu redire en mars à New York ce qui a été dit en février à Vienne, notamment les demandes précises de l’AIEA à l’égard de Téhéran. Il n’a pas été davantage possible d’évoquer les risques que la prolifération fait courir à la paix et à la sécurité internationale, qui figuraient dans une version antérieure du texte (toutes les versions du texte ont été rendues publiques sur le site de la BBC) et qui justifient précisément l’action du Conseil de sécurité.

En fait, c’est la responsabilité du Conseil de sécurité et de ses membres permanents qui est en cause. On risque de le transformer en un cénacle impuissant, soumis de facto à l’AIEA, en renversant les rôles des deux institutions. Certains n’en conçoivent guère d’amertume, mais les Européens, qui ont toujours défendu cette institution comme le «coeur de la sécurité collective», devraient s’en attrister. D’ailleurs, qu’ils s’en attristent ou non, ils vont en payer les conséquences.

Car il est à présent peu probable que la substance de la question iranienne soit abordée à nouveau au Conseil de sécurité avant le mois de juin. A Téhéran pendant ce temps, où une campagne de répression bat de surcroît son plein dans les universités, les autorités politiques, conscientes du fait que la fenêtre d’opportunité peut se refermer brutalement, sinon du fait des diplomates, qui ont tout leur temps, du moins de personnalités plus inquiètes, pressent les équipes et poussent les feux, quitte à mener de front plusieurs activités à la fois.

La résultante potentielle de ces deux dynamiques est dangereuse, beaucoup plus en fait qu’un plan de sanctions graduées qui eût été susceptible de faire réfléchir le Guide suprême sur la stratégie de confrontation délibérée de Mahmoud Ahmadinejad. En continuant de sous-estimer nos forces et de surestimer celles de Téhéran, on commet plusieurs erreurs. Car, d’un côté, le marché, qui a le mérite de fournir des messages clairs, a déjà répondu : le commerce avec Téhéran a baissé, comme l’avait fort bien prédit l’ancien négociateur du président Khatami, Hassan Rohani. Les affaires n’aiment pas les pays qui sont sous examen au Conseil de sécurité. Les banques suisses non plus d’ailleurs : le Credit Suisse et l’UBS, qui ont la réputation de savoir ce qu’elles font, ont décidé au début de l’année de ne pas accepter de comptes de ressortissants iraniens résidant en Iran. Mais surtout, d’un autre côté, la course à l’enrichissement en Iran, dont les Européens ont au moins démontré au cours de leurs négociations qu’elle n’avait aucune justification civile, du fait que le seul réacteur russe présent en Iran est alimenté par du combustible russe pour toute sa durée de vie, pourrait donner raison à ceux qui prétendent que la bombe iranienne serait disponible non pas dans cinq ans, mais peut-être plutôt dans deux. Et ceux qui ont le plus de raisons de craindre cette bombe pourraient en tirer des conclusions. S’ils le font, à qui donc faudra-t-il attribuer la faute ? A ceux dont le pays est qualifié de «tumeur» au Moyen-Orient par l’Iran ou aux nations qui ont refusé d’assumer leurs responsabilités quand il était encore temps ?

* Philosophe, directeur de la prospective au Commissariat à l’énergie atomique, chercheur associé au Ceri, membre de l’Institut international d’études stratégiques de Londres, auteur de L’Iran, la bombe et la démission des nations (Autrement).

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