Time, 8 septembre – Analyse de Tony Karon – En dépit de la ligne de conduite radicale des Etats-Unis, la stratégie diplomatique de Téhéran est basée sur le désir mondial de trouver une alternative à la confrontation.
LIran a ignoré la demande du Conseil de Sécurité pour que le pays suspende lenrichissement duranium avant le 31 août ; désormais, il doit en subir les conséquences. Ce fut la volonté de ladministration Bush lorsque les puissances du Conseil de Sécurité se sont rencontrées jeudi pour se mettre daccord sur les prochaines étapes dans cette épreuve de force. Washington désire limposition dune série de sanctions, dont létendue augmentera tant que lIran conservera son attitude de défi ; par ailleurs ladministration refuse décarter la possibilité dune action militaire si les sanctions ne parviennent pas à faire reculer lIran. Mais lattitude de défi de lIran face à lultimatum du conseil na même pas soulevé lenthousiasme des principaux alliés des USA tels que lAllemagne, mis à part la Russie et la Chine, pour ladoption de sanctions. En réalité, lidée avancée par le gouvernement américain selon laquelle le fait quune « coalition de volontaires » doit imposer des sanctions en dehors du cadre du Conseil de Sécurité indique clairement que Washington se bat pour avoir la main dans ce dossier.
LE JEU IRANIEN
Les dirigeants iraniens font preuve dun calme insouciant face aux efforts américains visant à les isoler et à faire pression sur eux. Ils ont répondu au paquet davantages soutenu par les USA (que Washington a présenté comme lultime offre à prendre ou à laisser) plus de six semaines après le délai donné par Washington en le renvoyant accompagné dune appréciation « peut faire mieux » et une contre-proposition de 21 pages. Mais lattitude de défi de lIran est fondée sur un calcul diplomatique infaillible. La communauté internationale exige que lIran fasse un effort supplémentaire pour répondre aux inquiétudes soulevées par son programme dénergie atomique, mais elle insiste aussi pour que le problème soit résolu par la voie diplomatique plutôt que par la confrontation. Pour des raisons allant du prix du pétrole à lagitation en Irak voisin, la plupart des pays, en-dehors des Etats-Unis, craignent quune confrontation entre lAmérique et lIran ait des conséquences désastreuses.
Conscient du danger de lisolation, les USA insistent sur le fait quils sont eux aussi en faveur dune solution diplomatique. Mais la version de Washington dune « solution diplomatique » comprend certainement des sanctions visant à faire fléchir lIran, tandis que pour un grand nombre de ses alliés européens, et pour les puissances clés du Conseil de Sécurité telles que la Russie et la Chine, les sanctions représentent un danger dans le conflit. Il y a peu de chances que lIran change sa position en réponse aux sanctions limitées qui seront probablement adoptées, et le pays sait aussi que la communauté internationale ne va certainement pas prendre le risque dun bouleversement des prix mondiaux du pétrole en suspendant les exportations iraniennes de brut. Un grand nombre de diplomates craignent que les tentatives pour isoler lIran ne renforcent la position de son régime et rendent un conflit militaire plus probable.
UNE CONTRE-PROPOSITION
Conscient de la nécessité dexploiter le consensus international, lIran ne rejette pas la suspension de lenrichissement duranium par principe. Mais toute suspension de lenrichissement, selon les Iraniens, doit être le résultat de négociations plutôt quune condition préalable à des pourparlers, comment loffre actuelle le prévoit. Pour Téhéran, cest une question dinfluence. LIran a volontairement suspendu lenrichissement pendant trois années de négociations avec lUnion européenne ayant débuté en 2002, et ses dirigeants pensent quils nont rien reçu en contrepartie. Cette fois, selon les experts, le régime veut garder tous les atouts en main et fait pression pour un accord plus généreux.
La priorité première de lIran dans toute solution négociée est dobtenir des garanties de sécurité réelles qui exigeraient quun « changement de régime » ne fasse plus partie des projets des Etats-Unis. Cest un sujet sur lequel ladministration Bush demeure divisée. Sous la pression des alliés européens, Washington a finalement accepté au printemps dernier de se joindre aux négociations avec lIran si ce dernier accepte dabord de stopper lenrichissement duranium. Cette division crée des tensions au sein de ladministration. Cependant, cest beaucoup moins que ce que les Européens avaient espéré. Ils avançaient depuis longtemps quune solution diplomatique nécessitait des pourparlers directs entre les USA et Téhéran sur tous les sujets qui mettaient la paix en danger. Le principe généralement suivi en Europe est que la sécurité mondiale sera garantie si lon intègre lIran à la communauté internationale au lieu de lisoler.
ET LA SUITE
Ainsi, malgré le refus de lIran de respecter la date butoir du Conseil de Sécurité, les Européens, la Russie et la Chine désirent poursuivre les négociations avec Téhéran en quête dune formule acceptable sur la suspension de lenrichissement. Dans cet objectif, le chef de la politique étrangère de lUE, Javier Solana, doit rencontrer le négociateur nucléaire en chef iranien, Ali Larijani, samedi à Paris. Mais le fait que la demande de suspension inconditionnelle de lenrichissement duranium soit maintenant rendue immuable par une résolution du Conseil de Sécurité limite leur marge de manuvre.
Toutefois, alors que lAmérique va rappeler dans les semaines à venir à la communauté internationale son engagement pour empêcher lIran de développer des armes nucléaires, Téhéran va travailler tout aussi dur pour convaincre les membres du Conseil de Sécurité de faire barrage à Washington en offrant une solution diplomatique qui écarte toute confrontation.