Le Figaro, 26 mai – Propos recuellis à Téhéran par Renaud Girard – Dans une interview au Figaro, le chef du Conseil national de sécurité iranien, numéro 3 du régime, explique que lIran ne transigera pas sur lenrichissement de luranium et réclame un dialogue sans préalable avec les pays occidentaux.
LE FIGARO. Ignorant les résolutions du Conseil de sécurité de lONU, vous poursuivez votre programme denrichissement de luranium. Américains et Européens vous soupçonnent de vouloir vous doter de larme atomique.
Ali LARIJANI . Lhumanité doit-elle être gouvernée par un seul génie, tout-puissant et omniscient, capable de dire le bien et le mal, de lire dans les «intentions» de toutes les nations du monde, et de dicter ensuite à chacune dentre elles la voie à suivre? On ne saurait fonder sur une telle règle un système sérieux de relations internationales! Pourtant, lAmérique se comporte exactement comme ce génie et il y a même des nations, se prétendant indépendantes, pour la suivre aveuglément Le désastre irakien en fournit un bon exemple. Phase 1, lIrak est placé (comme nous dailleurs) dans un «axe du mal», lAmérique incarnant évidemment le «bien». Phase 2, on prête à lIrak des «intentions» cachées, contraires à ses intentions proclamées, et qui sont dun grand danger pour la paix dans le monde : la poursuite dun programme de production darmes de destruction massive et une politique de soutien et daccueil aux terroristes dal-Qaida. Phase 3, on dicte à tous les États la conduite à tenir. Et lorsquune nation comme la France ose, à juste titre, critiquer le projet denvahir lIrak, on la voue aux gémonies, on laccuse de trahison, on annonce quon va la «punir». Si, pour préserver la paix, lon veut construire un système international viable, il faut en finir avec cette diplomatie des menaces, cette diplomatie des «intentions» prêtées unilatéralement aux nations refusant de suivre à la lettre ce que lui dicte la superpuissance, afin de justifier des «frappes préventives». Il faut que les États-Unis cessent une fois pour toutes de détruire le droit international, en prononçant des sanctions fondées sur de prétendues «intentions», avant quaucune infraction nait été réellement commise par un État-membre de lONU.
LE FIGARO. Les Occidentaux nont-ils pas raison de vouloir à tout prix éviter la prolifération nucléaire militaire au Moyen-Orient?
Ali LARIJANI . Nous partageons la même préoccupation. Je ne veux pas dune course à larme nucléaire au Moyen-Orient, qui serait catastrophique pour tous les États de la région. La bombe atomique nintéresse pas lIran, et ce pour trois raisons. Premièrement, nous avons déjà les moyens dassurer notre propre défense à légard de tout agresseur potentiel. Les Américains le savent bien, eux qui nous menacent sans arrêt, sans jamais passer à lacte contre nous. Deuxièmement, la bombe atomique est en fait aujourdhui, sur le théâtre dopérations proche-oriental, une arme totalement inutilisable, parce que, dans une région aussi densément peuplée, elle tuerait ennemis et amis sans distinction. Troisièmement, je vous rappelle que notre Guide, layatollah Khamenei, a proscrit, par fatwa, toute production ou usage darmes de destruction massive. Je suis arrivé à Halabja quelques heures après le bombardement de la ville au gaz moutarde par Saddam Hussein, et je peux vous dire que je ne suis pas prêt doublier ce que jy ai vu : hommes, femmes, enfants, animaux, tous gisant dans une scène denfer indescriptible.
LIran est un pays stable, responsable, soucieux de respecter le droit international et lensemble de ses engagements. Nous sommes signataires du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et comptons bien le respecter. Ce dernier nous interdit les armes atomiques, mais nous autorise expressément à maîtriser lensemble du cycle de production nucléaire délectricité. Il y a deux ans, lors dune discussion à Vienne (siège de lAgence internationale de lénergie atomique, NDLR ), le représentant britannique ma dit quil ne voulait pas que lIran accède jamais à cette technologie : je considère ce propos comme totalement inacceptable. Cest une attitude néocoloniale, à laquelle nous avons déjà été confrontés en 1953, quand les Anglais ont dit au Conseil de sécurité que la nationalisation du pétrole par Mossadegh constituait «une menace contre la paix et la sécurité internationale». LIran a un droit inaliénable à lenrichissement de luranium, et il ne transigera pas là-dessus.
LE FIGARO. Voyez-vous un moyen pour sortir de limpasse? Comment rassurer les Occidentaux sur vos intentions?
Ali LARIJANI . Le moyen consiste à reprendre le dialogue, sans condition préalable de part et dautre. À cet égard, la France du nouveau président Nicolas Sarkozy pourrait jouer le rôle dun honest broker (intermédiaire sincère), car la France jouit dune très bonne image chez nous : elle na jamais exercé de pression néocoloniale sur lIran et elle a abrité chez elle limam Khomeiny lorsquil était menacé par la dictature du Shah.
Au moment où je vous parle, El Baradei et Solana reconnaissent tous les deux que le programme nucléaire iranien na pas actuellement divergé vers le militaire. Le souci occidental est donc un procès dintention lié à lavenir. Pourquoi donc nous trouvons-nous, aujourdhui, traînés devant le Conseil de sécurité de lONU?
Les États de la région (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Égypte, etc.) seraient invités à y participer, ainsi que les États européens (France, Allemagne, Finlande, etc.) ayant développé chez eux un programme de production délectricité nucléaire. Ainsi, au contrôle déjà existant des inspecteurs de lAIEA sajouterait celui des États membres du consortium.
Sil métait possible de mener un dialogue constructif avec les Occidentaux, aujourdhui bloqué par lintransigeance dune Amérique exigeant que nous suspendions au préalable notre enrichissement duranium, je suis sûr que nous pourrions trouver ensemble de nombreux autres outils pour établir une confiance réciproque.
LE FIGARO. Si la communauté internationale décidait de reconnaître votre droit à lenrichissement, seriez-vous prêt, en échange, à ratifier le protocole additionnel du TNP (qui autorise les inspections inopinées de lAIEA)?
Ali LARIJANI . Oui, pourquoi pas? Nous pourrions en discuter sil y avait reprise du dialogue. Nous navons jamais eu peur des inspections de lAIEA. Nous sommes le seul pays au monde à avoir même accepté la visite dinstallations militaires: lAIEA en a visité 53!
LE FIGARO. LAIEA a découvert, en 2003, un programme denrichissement qui lui avait été caché pendant dix-huit ans : pourquoi ce secret?
Ali LARIJANI . Cétait seulement un programme de recherche. Après le renversement du chah, les Occidentaux (France, Allemagne, etc.) sont revenus sur leurs engagements à nous aider dans notre volonté de produire de lélectricité nucléaire : il nous a bien fallu alors accéder, par nos propres recherches, à la technologie nucléaire, en suivant toutes les voies possibles. Selon le TNP, notre seule obligation était de déclarer à lAIEA toute installation industrielle de centrifugeuses denrichissement 180 jours avant linjection en leur sein du gaz (hexafluorure duranium) : cest ce que nous avons fait!