Le Monde, 7 novembre – Par Daniel Vernet – Les États-Unis envisagent un changement de leur stratégie globale, dans le but de résoudre la crise du nucléaire iranien. Le clan des « réalistes », qui s’est renforcé au département d’Etat, considère l’Iran comme le problème le plus important pour la diplomatie américaine. Il estime qu’il n’y a sur la table que de mauvaises solutions. Il cherche donc à sortir de l’alternative – « catastrophique », comme dit Nicolas Sarkozy – entre « bombarder l’Iran ou accepter l’Iran avec la bombe ».
La première hypothèse est défendue par le vice-président Dick Cheney. La seconde hypothèse, rejetée comme la première par les « réalistes », risque de se trouver vérifiée si les Iraniens ne renoncent pas à l’enrichissement de l’uranium. La recherche d’une troisième voie passe par Moscou, comme au bon vieux temps du monde bipolaire.
Ce n’est pas par hasard que les diplomates issus de l’école Kissinger reviennent au premier plan après avoir été marginalisés par les néoconservateurs après le 11-Septembre. Leur raisonnement est le suivant : après les multiples revers enregistrés au Moyen-Orient, les Etats-Unis ne peuvent pas se permettre un nouvel échec avec Téhéran. Les Russes, qui n’ont aucun intérêt à avoir un Iran nucléaire à leur porte, devraient se montrer plus coopératifs. M. Poutine serait d’ailleurs plus ferme avec les Iraniens que ne le laissent supposer ses déclarations.
De même, M. Poutine est plus souple en privé qu’en public avec les Etats-Unis. La rhétorique de la tension lui est utile dans la perspective des échéances électorales en Russie ; pourtant, les Russes ont montré quelque intérêt à l’égard des avances faites par les Américains sur le bouclier antimissile et la réduction des forces conventionnelles en Europe (FCE). Pour s’assurer la coopération de Moscou sur le dossier iranien, les Etats-Unis devraient lâcher du lest sur d’autres dossiers. Telle est au moins la thèse des « réalistes ».
Bob Blackwill, conseiller de Mme Rice au département d’Etat, vient de la développer lors d’une conférence de la Trilatérale à Vienne. Parmi les sujets qui peuvent apparaître marginaux aux Américains par rapport à la centralité du problème iranien, et outre le bouclier antimissile et les FCE, le Kosovo et la Géorgie viennent à l’esprit. Sur le premier point, Washington pourrait se montrer moins pressé de reconnaître l’indépendance de la province et chercher un compromis avec la Russie. Quant à la Géorgie, elle cherche à obtenir l’accès au Membership Action Plan (MAP), étape vers l’OTAN. Les Américains prévoyaient de le lui accorder lors du sommet de l’organisation atlantique en avril 2008 à Bucarest. Tbilissi risque maintenant d’être victime du marchandage entre Washington et Moscou.
TENSION CONTRÔLÉE
La réussite de cette stratégie dépend des « lignes rouges » que les deux parties se fixent. L’élargissement de l’OTAN vers de nouveaux pays de l’ex-sphère d’influence soviétique en était une pour la Russie. L’abandonnera-t-elle en contrepartie de concessions sur d’autres points controversés, voire d’un partage du pouvoir avec les Américains et les Européens sur les affaires du Vieux Continent ? Le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, ne tarit pas d’éloges sur la « troïka » qui négocie sur le Kosovo, comme si elle préfigurait le directoire à trois en Europe que Moscou appelle de ses voeux depuis la chute du communisme.
L’approche esquissée ici renforcerait la main du président russe, en consacrant sa tactique de tension contrôlée avec l’Occident. Pour les tenants du « réalisme », c’est le prix du rétablissement de la capacité de négociation de Washington. Il n’est pas sûr que M. Bush soit disposé à le payer.