IranNucléaireL'AIEA va-t-elle absoudre l'Iran ?

L’AIEA va-t-elle absoudre l’Iran ?

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Le Monde, 9 février – Une sourde bataille diplomatique se déroule autour du rapport que doit remettre, aux alentours du 20 février, le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Mohamed ElBaradei, à propos du degré de coopération de l’Iran avec l’Agence sur ses activités nucléaires passées. Celles-ci sont restées clandestines pendant près de vingt ans, avant de commencer à être exposées en 2002-2003 – point de départ de toute la crise internationale autour du dossier iranien.

La République islamique est aujourd’hui soupçonnée de chercher à se doter d’une capacité nucléaire militaire sous couvert de programme visant officiellement à fabriquer de l’électricité.

Les pays occidentaux partisans d’une ligne particulièrement ferme face à Téhéran (Etats-Unis, France, Royaume-Uni) craignent que l’Egyptien, Prix Nobel de la paix, s’apprête à délivrer une forme de quitus à l’Iran, en produisant un rapport qui jugerait satisfaisantes les réponses apportées par Téhéran à une série de questions sur ses agissements nucléaires. En coulisses, ils reprochent à M. ElBaradei d’avoir adopté une attitude « politique » sur ce dossier, et non celle d’un simple vérificateur technique des activités iraniennes.

Le rapport de M. ElBaradei est important car il pourrait entraver le processus de sanctions contre l’Iran au Conseil de sécurité de l’ONU, où les grandes puissances ont commencé à élaborer une nouvelle résolution frappant Téhéran de mesures coercitives – la troisième depuis décembre 2006.

Plusieurs pays non membres permanents du Conseil de sécurité, dont l’Afrique du Sud, ont déjà fait savoir qu’il était hors de question d’adopter de nouvelles sanctions avant la publication du rapport de M. ElBaradei, et avant que celui-ci ait été soumis au Conseil des gouverneurs de l’AIEA, qui doit se réunir début mars.

C’est toute la crédibilité de l’AIEA qui est en jeu, estiment des diplomates occidentaux. « L’Agence ne s’était pas trompée en 2003 sur l’Irak », commente une source européenne, en référence au fait que les inspecteurs internationaux n’avaient pas conclu à la détention d’armes de destructions massives par le régime de Saddam Hussein. « Il ne faudrait pas qu’en 2008, elle se trompe sur l’Iran ! »

La dispute porte sur un « plan de travail » mis au point entre M. ElBaradei et l’Iran en août 2007, censé contraindre Téhéran à apporter des réponses à une série de questions sur son programme nucléaire. Le manque de transparence de l’Iran avait été l’un des motifs du transfert de son dossier au Conseil de sécurité en février 2006.
Le 11 janvier, M. ElBaradei s’était rendu à Téhéran, où il avait fixé avec les Iraniens un délai de quatre semaines pour que ceux-ci répondent aux « questions en suspens ». Ce délai est en passe de s’écouler.

En novembre 2007, M. ElBaradei avait rendu un rapport préliminaire qui, sans être favorable à Téhéran, contenait des ambiguïtés. Il y était écrit que l’Iran avait apporté des réponses « en cohérence » avec les découvertes faites par l’Agence, et que la coopération de l’Iran avec l’Agence avait connu un certain progrès. Cette fois-ci, cherchera-t-il à absoudre le régime iranien ?

Au sein de l’AIEA, de forts tiraillements sont apparus. Une équipe d’inspecteurs s’est rendue la semaine dernière en Iran pour tenter d’éclaircir des points restés litigieux, portant essentiellement sur le volet de la militarisation (plans de fabrication d’une ogive nucléaire, traces d’uranium hautement enrichi découvertes sur un site relevant des structures militaires iraniennes).

Selon une source au sein de l’Agence, qui réclame l’anonymat, les chefs d’unités de l’équipe d’inspecteurs sont « mécontents » et expriment en privé « une incompréhension » face à ce qu’ils perçoivent comme une intention de M. ElBaradei d’accorder un blanc-seing à Téhéran. « Il veut clore le dossier », regrette cet officiel, « en dépit des incohérences qui persistent dans les explications fournies par les Iraniens et en dépit du fait que les informations qu’ils ont livrées ne sont pas complètes. »
L’objectif poursuivi par l’Iran, dans le cadre du « plan de travail » avec l’AIEA, a été de tenter de priver le Conseil de sécurité de toute légitimité sur ce dossier, qui a donné lieu à des résolutions votées sous le chapitre VII de la Charte de l’ONU, invoqué en cas de menace sur la « sécurité internationale ». En septembre 2007, lors d’un discours devant l’Assemblée générale de l’ONU, le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, avait déclaré que, pour lui, le dossier était « clos ».

Mohamed ElBaradei, estiment les diplomates occidentaux, a fait trop de concessions aux Iraniens en acceptant que l’accent soit mis avant tout sur les questions relevant des activités nucléaires passées, et en minimisant les zones d’ombre qui persistent sur le programme iranien. Ils soulignent que le dossier restera au sein du Conseil de sécurité quoi qu’il en soit.

Ils invoquent pour cela plusieurs raisons. D’une part, seule une décision des grandes puissances pourrait l’en retirer, ce qui apparaît bien peu probable – d’autant que les Russes ont récemment opté pour ne pas relâcher la pression sur Téhéran. La Russie, tout en achevant en janvier de livrer le combustible pour la centrale nucléaire qu’elle construit dans le sud de l’Iran à Bouchehr, a commenté que ces fournitures rendaient encore plus injustifiable la mise en place par Téhéran d’un cycle national de fabrication de combustible. D’autre part, pour que le dossier iranien soit clôturé par l’AIEA, il faudrait qu’une telle procédure soit clairement avalisée par le Conseil des gouverneurs.

Par ailleurs, une autre ligne de défense est mise en avant par les diplomates occidentaux, en riposte à la tactique de M. ElBaradei : dans son dernier rapport, en novembre 2007, le directeur de l’Agence, constatait lui-même que la connaissance qu’a l’AIEA des activités de l’Iran va en se réduisant. Téhéran, depuis deux ans, n’autorise en effet plus d’inspections larges et inopinées de ses installations, et l’accès des inspecteurs internationaux à certains responsables du programme iranien a été des plus limité. Comment, dans ces conditions, l’AIEA pourrait-elle émettre un rapport positif ?

Enfin, souligne-t-on côté occidental, il reste deux points importants sur lesquels l’Iran continue de refuser d’accéder aux demandes de l’ONU : la suspension de l’enrichissement d’uranium, et l’application du protocole additionnel de l’AIEA, qui permettrait, justement, des inspections larges.

L’Iran poursuit, pendant ce temps, ses travaux nucléaires, avec, semble-t-il, un début d’installation, dans l’usine d’enrichissement de Natanz, de centrifugeuses de « deuxième génération » qui permettent théoriquement de fabriquer de la matière fissile dans des délais rapides. Vendredi 8 février, les Etats-Unis ont officiellement mis en garde Téhéran contre une telle accélération du programme.
La dispute entre les Occidentaux et M. ElBaradei intervient au moment où le traitement diplomatique du dossier iranien a été compliqué par le rapport du Renseignement américain, publié en décembre, faisant état d’un « arrêt » en 2003 du volet nucléaire militaire iranien. En visite à Washington, fin janvier, le ministre français de la défense, Hervé Morin a publiquement émis des doutes sur un tel arrêt.
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CHRONOLOGIE

DÉCEMBRE 2006 : vote à l’ONU de la résolution 1737 frappant l’Iran de sanctions.
MARS 2007 : deuxième résolution (la 1747) élargissant les sanctions.
AOÛT : adoption d’un « plan de travail » entre l’Iran et l’AIEA.
SEPTEMBRE : le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, déclare à l’ONU que le dossier nucléaire est « clos ».
DÉCEMBRE : rapport des agences de renseignement américaines affirmant que le volet militaire du programme iranien s’est arrêté en 2003.
JANVIER 2008 : les grandes puissances s’accordent sur le texte d’une nouvelle résolution de sanctions.20 FÉVRIER : date prévue du prochain rapport de l’AIEA sur l’Iran.
Natalie Nougayrède

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