Mais elle doit être « lue et analysée », avant dêtre présentée au grand public. Une prudence compréhensible par les temps qui courent, alors que les rumeurs dattaque américaine sur Téhéran et la crainte dun scénario à lirakienne restent à lordre du jour.
Quand on connaît les Iraniens, on peut néanmoins aisément imaginer un texte finement ficelé, truffé dallusions au prestige de lIran, au droit à la science et au rejet de limpérialisme américain mais qui ne répond pas spécialement directement aux questions évoquées.
Cest, à en croire lédition du New York Times daujourdhui, ce qui ressort grosso modo du courrier dont la journaliste Elaine Sciolino a obtenu quelques extraits. Daprès ses sources diplomatiques, la réponse iranienne stipule que « le temps de la négociations basée sur une position inégalitaire est révolu », – une allusion aux rancoeurs de Téhéran face à une Amérique perçue comme le grand décideur qui nen fait quà sa tête.
Les Iraniens, rappelons-le, nont toujours pas digéré le coup dEtat anglo-américain (1953) contre le Premier Ministre Mossadegh, un fervent nationaliste, qui avait été à lorigine de la nationalisation du pétrole iranien.
Mais pour revenir à la lettre, elle ne contiendrait, selon Sciolino, aucune référence directe ni à lenrichissement duranium ni à loffre de pré négociation qui vient avec le paquet de mesures incitatives remis à Téhéran par Javier Solana en juin dernier. La réponse, écrit-elle, se contente de préciser que « lIran serait prêt à entamer des négociations compréhensives » avec le représentant diplomatique de lUnion Européenne, et les six puissances mondiales impliquées dans les discussions sur le dossier nucléaire iranien.
Selon la télévision dEtat iranienne, Javier Solana et Saeed Jalili, le négociateur en chef sur le dossier nucléaire iranien, se seraient, en effet, entendus sur la relance de nouveaux pourparlers dici deux semaines lors dune conversation téléphonique qui précéda, hier, la remise de la lettre.
Mais à Bruxelles, on ne pouvait pas confirmer cette information hier soir. « Ce qui compte, cest que Javier Solana et Saeed Jalili se soient mis daccord sur le principe dun maintien des contacts et quune réponse à loffre des six ait été apportée assez rapidement », précise néanmoins un diplomate européen qui préfère garder lanonymat.
Le 14 juin dernier, Javier Solana avait remis, au nom des six puissances impliquées dans le dossier nucléaire (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne, Allemagne), un nouveau paquet de mesures incitatives encourageant lIran à renoncer à lenrichissement de son uranium en échange dune offre de coopération dans les domaines économiques, commerciaux et relevant du nucléaire civile.
Cette offre avait été assortie dune proposition, discrètement évoquée par le passé, douvrir des pré-négociations pouvant durer jusquà six semaines sur la base du principe « freeze for freeze » (« gel contre gel ») suggérant à toutes les parties de sarrêter où elles en sont. Autrement dit, pas de nouvelles sanctions du côté de lONU et pas de mise en service de nouvelles centrifugeuses du côté iranien.
La proposition, qui sous-entend une non obligation à suspendre lenrichissement de luranium, dans une période certes limitée, offre une sortie de secours aux nombreux politiciens iraniens pour lesquels la suspension des activités nucléaires constitue une « ligne rouge » infranchissable.
La réponse de Téhéran mettra-t-elle fin à cinq années de bras-de-fer sans issue entre lIran et lOccident ? Trop tôt pour savancer, daprès les connaisseurs du dossier qui nexcluent pas une volonté iranienne de gagner du temps. « Nous privilégions la prudence », confie un diplomate occidental proche du dossier, qui juge important que, dans cette affaire, le dialogue soit maintenu.
La lutte de clan interne qui sévit en Iran pourrait également entraver cette éclaircie diplomatique. Car si tous les acteurs de la classe politique saccordent sur « le droit inaliénable au nucléaire civil iranien », de nombreuses divergences ont récemment vu le jour sur la façon de gérer ce dossier. Pour les ténors du régime, linterruption temporaire de lenrichissement de luranium, évoquée discrètement comme une possibilité par certains réformateurs, constitue un sujet « indiscutable ». Dautant plus quà leurs yeux, linterruption temporaire au cours du mandat de Khatami na mené à rien.
Même Ali Larijani, lancien chef du dossier nucléaire (et actuel Président du Parlement), considéré comme un pragmatique par ses interlocuteurs occidentaux, la rappelé il y a quelques jours, lors de lanniversaire de Press TV, la télévision iranienne en langue anglaise : « A lépoque, les Européens nous ont demandé de suspendre lenrichissement duranium pour quelques semaines, mais dans la pratique la suspension dura plusieurs années. Et après que les Européens neurent pas tenu leurs promesses, ils nous ont dit : cest mieux que lIran ne dispose pas du tout de la technologie nucléaire ».
En ajoutant, à lintention des Etats-Unis : « Le temps du jeu gagnant-perdant est révolu. Il serait préférable que vous acceptiez de jouer gagnant-gagnant, afin que la région puisse jouir de paix et de stabilité ».
Dun point de vue iranien, rappellent les analystes basés à Téhéran, il est en effet difficile pour la République islamique daccepter linterruption du programme nucléaire sans offre américaine de garanties sécuritaires. La nouvelle offre des 6 comprend, à cet effet, un passage intéressant à noter, qui stipule que « les Etats doivent s’abstenir du recours à la force ou de la menace du recours à la force et ne pas viser à déstabiliser un autre état ». Mais il est suffisamment vague pour être interprété de différentes façons : le non recours à la force contre Téhéran ou lengagement iranien à ne pas « rayer Israël de la carte », comme la souvent répété le Président Mahmoud Ahmadinejad.
Les jours et les semaines qui viennent seront, en tout cas, certainement décisifs. Il est intéressant de noter que, daprès le site web TABNAK (dirigé par un ancien chef des gardiens de la révolution), Saeed Jalili était en déplacement ce matin à Qom pour y rencontrer deux grands « marjaa » iraniens, layatollah Makarem Shirazi et layatollah Safi Golpayegani.
En Iran, il est fréquent que les acteurs politiques se rendent dans la ville sainte, considéré comme un berceau spirituel du chiisme, pour sonder les éminences religieuses sur des questions aussi sensibles que le nucléaire ou les relations avec les Etats-Unis. Une démarche qui leur garantit une certaine « protection » contre les voix les plus radicales qui pourraient les accuser, en cas de négociation avec lOccident, de « vendre le pays aux Occidentaux » et de « saper les valeurs de la révolution islamique ».