OpinionPresse internationaleLiban : le mauvais calcul de l’Iran

Liban : le mauvais calcul de l’Iran

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Le Monde, 7 août – par Joschka Fischer* – La guerre qui fait rage actuellement au Liban n’est pas celle du monde arabe contre Israël, mais plutôt celle des forces radicales de la région – du Hamas et du Djihad islamique palestiniens comme du Hezbollah libanais, avec l’appui de la Syrie et de l’Iran – rejetant fondamentalement tout accord avec Israël.

Trois éléments ont joué en faveur du conflit : soulager le Hamas de la pression exercée au sein de la communauté palestinienne vers la reconnaissance d’Israël ; saper la démocratisation du Liban, qui marginalisait la Syrie ; enfin, éviter le débat autour du programme nucléaire de l’Iran, tout en permettant à celui-ci de montrer à l’Occident de quels « outils » il dispose en cas de conflit.

Les gouvernements arabes modérés sont tout à fait conscients des enjeux de cette guerre : l’hégémonie régionale de la Syrie sur le Liban et la Palestine et, à une plus grande échelle, l’hégémonie revendiquée par l’Iran sur tout le Moyen-Orient. Toutefois, la guerre au Liban et à Gaza pourrait bien se révéler le résultat d’une grave erreur d’appréciation de la part des radicaux. Lancer des missiles sur Haïfa, troisième ville la plus importante d’Israël, constituait la limite à ne pas franchir. Cet acte aura de graves répercussions, car il a mis en lumière qu’au-delà des questions de territoire, de restitution, ou d’occupation, le projet radical posait la question de la pérennité d’Israël.

Mais le front radical du refus a sous-estimé la détermination d’Israël ainsi que sa force de dissuasion. Il a aussi révélé au monde entier les aspirations hégémoniques de l’Iran. La folie de cette situation est évidente : il ne faut pas beaucoup d’imagination pour voir ce à quoi le Moyen-Orient ressemblerait si une protection nucléaire iranienne abritait les radicaux. Et ce mauvais calcul deviendra flagrant à mesure que quatre éléments s’imposeront dans ce conflit :

– le refus d’Israël de se laisser aspirer dans un conflit terrestre au Liban ;

– la mise en oeuvre de la résolution 1559 des Nations unies, qui prévoit le désarmement de toutes les milices du Liban avec l’aide de la communauté internationale et rend tout retour au statu quo impossible ;

– la transformation de la coalition composée de pays arabes modérés (dont les Palestiniens modérés), et pour l’heure à l’état de germe, en initiative de paix robuste et sérieuse ;

– l’engagement solide du Quartet, avec une forte participation des Etats-Unis, pour trouver enfin une solution viable à la question de la Palestine et pour apporter à ce pays les garanties politiques, économiques et militaires nécessaires à sa survie.

Israël a un rôle essentiel à jouer. Par deux fois, il a procédé à des retraits unilatéraux de ses troupes derrière ses frontières, au Liban sud et à Gaza. Par deux fois, la « terre de paix » prônée par Israël s’est transformée en « terre de guerre ».

Israël vit donc sous la menace, et l’idée de faire la paix avec ses voisins arabes semble plus improbable que jamais. Pourtant, je pense que cette guerre au Liban peut ouvrir une nouvelle voie au processus de paix.

Plus tôt le feu cessera, mieux ce sera. N’oublions pas que c’est le clash au sein du Hamas sur la question de la reconnaissance d’Israël qui a déclenché le conflit. Et n’oublions pas, non plus, la position des gouvernements arabes modérés au sujet de cette guerre et des intentions cachées de ceux qui l’ont provoquée.

La sécurité d’Israël rend la restructuration interne du Liban et la garantie de la souveraineté de l’Etat non négociables. C’est précisément maintenant qu’il faut jouer la carte syrienne et amener le président Bachar Al-Assad sur la voie de la normalisation. Avec le plateau du Golan, Israël détient entre ses mains l’élément-clé. Sans la Syrie, l’Iran serait isolé, et la situation en Irak bénéficierait également d’un tel changement. Finalement, la situation n’est pas si désespérée pour les Palestiniens. Les responsables du Fatah et du Hamas détenus dans les prisons d’Israël sont parvenus à un consensus sur l’acceptation d’un Etat palestinien à l’intérieur des frontières de 1967. Il convient d’encourager cette nouvelle réalité palestinienne. Mais, en toute honnêteté, un retour à la configuration de juin 1967 ne me paraît pas envisageable.

En Israël, la prise de conscience d’une menace stratégique sera-t-elle à l’origine d’une approche nouvelle qui rendra les débats sur la terre et les colonisations obsolètes ? Quoi qu’il en soit, on peut penser que, face à une guerre qui menace l’existence même du pays, les questions de sécurité régionale se verront accorder davantage d’importance. Mais quelle stratégie adoptera Israël en matière de sécurité pour l’avenir ?

A l’heure actuelle, l’Etat hébreu met l’accent sur sa force de dissuasion massive, mais il serait sage qu’il profite de sa position de force pour prendre l’initiative politique et diplomatique afin de proposer une paix totale à tous ceux qui reconnaissent déjà son existence et se prononcent en faveur d’une renonciation permanente à la violence, pas seulement dans les mots, mais aussi dans les faits.

Le temps est maintenant venu de voir les choses en grand, tant pour Israël et ses voisins que pour les Etats-Unis et l’Europe. Cette guerre offre une chance de paix durable. Ne la laissons pas nous filer entre les doigts.

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* Joschka Fischer, ancien ministre des affaires étrangères et vice-chancelier de l’Allemagne.

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