IranDroits de l'hommeCe que j’ai vu dans les prisons iraniennes

Ce que j’ai vu dans les prisons iraniennes

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Ce que j’ai vu dans les prisons iraniennes

Par mon témoignage j’espère éveiller les consciences parfois trop complaisantes face aux mollahs.
par Sadegh Sistani Militant des droits de l’homme, emprisonné pendant 17 ans en Iran

Hoffpost – En tant qu’ancien prisonnier des geôles politique iraniennes, j’ai été sidéré d’apprendre que Madame Mogherini, la haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères et des diplomates de pays européens assiste avec bienveillance au sacre de Hassan Rohani.

Le président de la théocratie des mollahs entame son deuxième mandat alors que son premier reste taché par plus de 3000 exécutions. Ce sentiment d’amertume m’est venu également quand un groupe d’une quelques dizaines d’ambassadeurs et diplomates en poste à Téhéran ont répondu à une visite guidée des autorités de la prison d’Evine, de sinistre réputation chez les militants et ONG des droits de l’homme.

Organisée à l’initiative de l’appareil judiciaire de la théocratie, l’opération a été relayée en grande pompe par les médias officiels et visait à redorer l’image de la République islamique. L’ambassadeur du Portugal, visiblement séduit par l’accueil, a déclaré aux médias : « je ne m’attendais pas que la situation soit si favorable ici. Cette visite m’a impressionné »! Bien que la plupart des pays démocratiques aient refusé de participer à la mise en scène des mollahs, il est déplorable que certains pays puissent encore tomber dans le piège de cette propagande ou céder aux calculs purement mercantiles. C’est encore plus choquant de faire fi du bilan désastreux des droits de l’homme de Rohani et d’assister à son investiture.

Personnellement, la prison d’Evine je la connais bien, ayant passé la plus grande partie de mes dix-sept années d’emprisonnement en Iran. J’en retiens des souvenirs teintés de souffrance et de résistance. Les tortures et privations, mais aussi les solidarités et compassions des camarades restés fidèles à leurs convictions. L’espace carcéral en Iran est avant tout un lieu de non-droit où le prisonnier d’opinion est à la merci des tortionnaires, dans un abime juridique total. « Les autorités iraniennes jouent avec la vie de prisonniers d’opinion en refusant qu’ils bénéficient de soins de santé adéquats, ce qui les expose à un risque élevé de décès, de handicaps permanents ou d’autres dommages irréversibles à leur santé », dénonçait Amnesty International dans un récent rapport.

Des années plus tard on peut oublier les souffrances physiques mais pas les tortures psychologiques qui restent gravés dans votre âme. Des souvenirs qui vous reviennent sans prévenir. Alors que j’avais le corps meurtri par la torture et mon visage et ma mâchoire avait été durement amochés après de longues interrogatoire sans pouvoir dormir, j’ai oublié mes douleurs quand j’ai assisté malgré moi aux sévices dans la cellule d’à côté d’une jeune femme qui était accompagnée de son bébé. Elle été torturée du matin à soir et quand elle revenait au cellule j’entendais ses gémissements et ses pleurs et j’étais là à distance d’un mûr impuissant. Je n’ai jamais su si elle a survécu, et ce qu’est devenu son enfant, mais sa voix implorant Dieu de lui ôter la vie sont toujours avec moi.

La résistance des démocrates

La première fois que j’ai été incarcéré pour mes opinions politiques remonte à 1981, je n’avais que 17 ans et comme beaucoup de mes camarades d’école, j’étais porté par le mouvement pour la défense des libertés démocratiques en Iran. Mon pays venait de connaître le « printemps perse », avec la révolution qui fit basculer la monarchie, un système despotique. Les intégristes qui ont alors usurpé le mouvement populaire, ont cherché à le dévoyer vers une dictature théocratique au nom de l’islam. C’était sans compter sur la résistance acharnée des forces vives de la société iranienne profondément attachées aux valeurs de la démocratie.

Elles refusèrent le dictat du fondateur de la « République islamique », Rouhollah Khomeiny, qui rêvait d’appliquer la charia des mollahs par la contrainte et ramener la société vers des pratiques médiévales. Les islamistes ont vite trahi les idéaux de la révolution démocratique et refusé de se soumettre au verdict d’un suffrage universelle digne de ce nom. Pratiquant un système de fraude massif qui continue à ce jour, ils ont empêché les vrais représentants du peuple à entrer au parlement. Effrayé par la popularité grandissante de l’opposition, notamment l’emblématique mouvement des Moudjahidine du Peuple (OMPI), formé de jeunes intellectuels favorables à un islam tolérant, les intégristes ont cherché la solution dans la violence.

J’en fus l’une des premières victimes. La plupart des membres de notre association de lycéens et professeurs du lycée « Andicheh » à Kordkouy, une municipalité au bord de la Mer Caspienne au nord de l’Iran, furent arrêtés en juin 1981. Les arrestations massives des opposants se poursuivirent après la grande et pacifique marche pour le respect des libertés fondamentales qui régressaient comme peau de chagrin. Khomeiny ordonna de tirer sur la foule, alors que les pelotons d’exécutions commencèrent leur macabre besogne.

Le pic des atrocités fut atteint en 1988, quand quelques 30 000 prisonniers politiques furent massacrés en trois mois à la suite d’une fatwa de Khomeiny qui ordonna d’en finir avec les Moudjahidine du Peuple. La FIDH a déploré que les autorités iraniennes ont, à ce jour, « systématiquement refusé de communiquer aux familles l’emplacement de la dépouille de leurs proches » dans un massacre qu’elle qualifiera de « crime contre l’humanité resté impuni ». Récemment un enregistrement audio a été diffusé en Iran, relatant les protestations de Hossein-Ali Montazeri contre ces crimes. Il était le dauphin de Khomeiny, il en fut écarté pour ceci. Amnesty International vient d’évoquer l’engouement de la jeune génération en faveur d’un mouvement à l’intérieur du pays pour réclamer la traduction en justice des responsables de ce massacre qui occupent toujours des postes clés du pouvoir.

Le précurseur de Daech

Dans sa macabre fatwa, Khomeiny a justifié ainsi sa « solution finale »: « Tous ceux emprisonnés à travers le pays qui persistent dans leur hypocrisie sont condamnés à mort, car ils sont en guerre contre Dieu. Il serait naïf d’être clément à l’égard de ceux qui ont déclaré leur inimité à l’égard de Dieu. » Le Daech iranien venait de naitre et connaitra des émules qui essaimeront au Moyen-Orient.

Plusieurs de mes amis périrent dans le massacre de 88. Hossein Aghilisabeth et Houchang Mazandarani qui portaient toujours les séquelles de leurs tortures, purgeaient des peines de prison et attendaient leur libération. Mais ils furent tirés un jour de leurs cellules et envoyés à l’échafaud.

Pour ma part, j’ai échappé à cette frénésie meurtrière car j’avais été libéré avant 1988. Arrêté de nouveau en 1993, je ne pus m’en sortir qu’en 2005. Cette fois j’ai décidé de fuir secrètement le pays et continuer mon engagement pour le changement de régime en Iran. Ayant bénéficié du droit d’asile en France, pays des droits de l’homme, je me suis promis d’être la voix de mes camarades de cellule qui restent dans les geôles iraniennes. Ali Moezi, Saïd Massouri, Saïd Chaghaleh, Gholam Kalbi, Afchine Ba’imani et Arjang Davoudi sont en prison chacun depuis plus de quinze ans pour leur sympathie pour l’opposition. Nous étions torturés pour renoncer à notre amour de la liberté et l’idéal d’un Iran démocratique et laïque. Mais les viols dans les cellules d’isolement, les « cages » où croupissaient les détenues accroupies pendant des mois et les méthodes de deshumanisation systématique, n’ont pu briser la force de conviction de milliers de militants et militantes restés fidèles à leurs nobles convictions.

Par mon témoignage j’espère éveiller les consciences parfois trop complaisantes face aux mollahs, tant les ambassadeurs instrumentalisés par le régime, que les responsables européens et les décideurs politiques et investisseurs occidentaux qui convoitent des affaires avec Téhéran. Il faut leur rappeler la nature abjecte d’un régime religieux voué à disparaître et la responsabilité des démocrates de ne pas vendre les valeurs humaines sur l’autel de mesquins intérêts économiques.

 

Source: Hoffpost

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