Un magistrat de Téhéran, soupçonné de tortures, a participé au Conseil des droits de l’homme.
Libération, 23 juin par Luc Hilly – Nouvel écueil iranien pour les Nations unies. Non content de défier la communauté internationale avec ses ambitions nucléaires, le régime de Téhéran s’est ouvertement moqué du nouveau Conseil des droits de l’homme de l’ONU, en intégrant dans sa délégation un magistrat soupçonné de tortures.
Présent de lundi à mercredi dans la salle des assemblées du palais des Nations, le siège de l’ONU à Genève, le procureur général de Téhéran, Saïd Mortazavi, a provoqué une levée de boucliers des organisations de défense des libertés. Ce magistrat à lunettes et fine barbe est accusé d’avoir fait arrêter et emprisonner plusieurs dizaines de journalistes iraniens, et d’avoir directement participé aux interrogatoires de la photo-journaliste canadienne Zahra Kazemi, décédée le 11 juillet 2003 d’une hémorragie cérébrale dans un hôpital de Téhéran après avoir été arrêtée puis battue en prison. Depuis Ottawa, le ministre des Affaires étrangères du Canada, Peter MacKay, a vivement condamné la présence de Mortazavi sur les bords du lac Léman.
Non coupable
Titulaire d’un passeport diplomatique, ce juge iranien suspecté de graves violations des droits de l’homme n’avait pas besoin de visa pour pénétrer en Suisse et s’installer dans les travées du Conseil des droits de l’homme de l’ONU créé le 15 mars… pour mieux promouvoir les libertés. Kofi Annan, qui a rencontré à Genève le ministre des Affaires étrangères iranien, a pour sa part lui aussi plaidé non coupable : «Les Nations unies n’ont pas le pouvoir de contrôler les délégations des Etats membres», a déclaré son secrétaire général, affirmant contre toute évidence qu’«il n’avait pas été alerté sur ce sujet».
La traînée de poudre provoquée par cette affaire est à la mesure du scepticisme qui entoure le renouveau onusien en matière de défense des droits de l’homme. «La bonne nouvelle est que l’Iran, qui était candidat, n’a pas été élu par l’assemblée générale, le 9 mai à New York, relève une responsable de l’ONU. La mauvaise nouvelle est que ce pays et d’autres n’entendent pas changer de méthode pour autant.»
Avant de partir de Téhéran, Mortazavi avait en effet convoqué une conférence de presse pour dénoncer «la manipulation des droits de l’homme par des puissances hégémoniques». A Genève, seul le chef de la diplomatie de Téhéran s’est exprimé à la tribune. Mais l’Iran, qui dispose du statut d’observateur, a multiplié dans les coulisses les injonctions auprès des pays arabes pour obtenir un débat sur la question du «respect des croyances» après l’affaire des caricatures de Mahomet.
«Les Iraniens foulent aux pieds l’idée centrale du Conseil : à savoir qu’une coopération entre Etats est le meilleur moyen de faire progresser les droits de l’homme, rétorque un activiste. Leur registre reste celui de l’insulte et de la manipulation.» Pas question non plus, pour Téhéran, de répondre aux accusations lancées contre Saïd Mortazavi : sitôt tombés les premiers communiqués des ONG, le procureur général de Téhéran a officiellement «quitté sa délégation».