IranFemmesMarzieh, la diva, l’exil et la liberté (Le Figaro)

Marzieh, la diva, l’exil et la liberté (Le Figaro)

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La diva de la chanson iranienne s’est éteinte le 13 octobre à la mi-journée à l’âge de 86 ans dans un hôpital parisien après une longue lutte contre le cancer. Avec 60 années d’une carrière brillante, elle a été des décennies durant,  la chanteuse la plus célèbre et la plus renommée d’Iran. Le Figaro avait dréssé un portrait de Marzieh à l’occasion de sa dernière apparition sur scène à l’Olympia accompagnée par cinquante-deux instrumentistes de l’Opéra de Paris:

Le Figaro, 14 avril 2006 : Par BERTRAND DICALE – La chanteuse iranienne en exil en France chante ce lundi à l’Olympia. Rencontre avec un grand personnage à l’orientale.

S’il faut expliquer Marzieh aux Français, ce ne peut être qu’en superposant plusieurs profils : c’est l’amour des poètes d’une Catherine Sauvage, le goût de la voix lâchée sur fond de violons comme chez Nana Mouskouri, la posture vigoureusement engagée comme Joan Baez, le charisme à l’orientale à l’Oum Kalsoum…

Elle chante lundi 17 avril à l’Olympia et le prestigieux musichall parisien a rarement accueilli une vedette de cet âge : Marzieh a quatre-vingt-deux ans. Mais elle affirme n’avoir pas changé de tonalité depuis une quarantaine d’années : « Il y a longtemps déjà, un médecin m’avait examinée, en URSS, et m’avait dit que je pourrais chanter jusqu’à cent vingt ans. » La dame a le rire sonore, l’oeil vif, un air de jeunesse dans la voix – non, on ne lui donne pas son âge.

En novembre 1994, elle devait chanter au Palais des Congrès, à Paris, peu après son départ en exil. C’est au moment du procès des assassins de l’ancien premier ministre Chapour Bakhtiar, téléguidés depuis Téhéran. Estimant sans doute que les relations sont assez tendues avec l’Iran, le ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, interdit le concert, alléguant de son caractère politique. Car elle le proclame volontiers : Marzieh soutient les Moudjahidins du peuple, principale organisation de lutte armée contre le régime iranien. Mais elle ne s’exprime pas sur les positions du mouvement, qui a un temps attiré l’attention de la DST et de la justice française, ou sur la situation en Iran : « Un musicien ne sait pas plus parler de politique qu’un politicien ne sait parler de la musique. » Simplement, après la révolution islamique, le couperet est tombé : la musique est impie. Et, pour une femme, plus impie encore. Elle tiendra quinze ans à ne chanter que pour elle- même, pour les arbres ou pour les oiseaux. Puis elle
part en exil et annonce avec fracas son engagement au côté des moudjahidins du peuple. On la photographie alors qu’elle chante debout sur un char, dans une base des moudjahidins en Irak.

Valeur d’exemple, de symbole

La suite d’une longue histoire : elle est entrée en musique en un temps où une femme ne se présentait pas sur scène sans risquer sa réputation. « A l’époque, les femmes ne devaient pas se présenter à l’extérieur. Cela a été très, très difficile. Heureusement, j’avais une famille particulièrement ouverte et cultivée, qui a accepté que je fasse des études. A l’époque, il y avait bien des familles où même les garçons n’avaient pas les moyens d’en faire. »

Il y a un piano chez elle, sa mère joue du tar (un luth oriental). C’est l’époque où un certain M. Lemaire – un Français – introduit l’enseignement de la musique occidentale dans la bonne société iranienne. Marzieh apprendra le solfège et le piano en même temps qu’elle suit les leçons de maîtres de la musique persane classique. Elle débute en 1942, à dix-huit ans, sur la scène d’un grand théâtre de Téhéran en incarnant l’héroïne d’une pièce mêlée de chansons pendant trente- sept représentations. Quelques années plus tard, elle aura son émission quotidienne à la radio, pendant laquelle elle interprète en direct des classiques de la musique iranienne et des compositions offertes par les grands paroliers de l’époque.

Mais elle préfère les poètes anciens, « Hafez qui parle si bien de l’amour, Saadi qui donne des conseils »… A l’Olympia, elle chantera notamment un texte d’une poétesse iranienne qui, lors d’une manifestation pour la Journée internationale de la femme, le 8 mars dernier, a été tabassée par les forces de l’ordre. Car Marzieh compte parmi ces artistes qui, audelà de leur éventuelle parole politique, ont une valeur d’exemple et de symbole. D’ailleurs Yehudi Menuhin l’avait choisie parmi ses Voices of Freedom, en 1997 au Théâtre royal de Bruxelles, pour un concert exceptionnel où elle côtoyait la Tibétaine Yang Du Tso, la Sud- Africaine Miriam Makeba, l’Algérienne Houria Aïchi, la Bolivienne Luzmila Carpio, l’Israélienne Noa et la Gitane espagnole Esperanza Fernandez – voix de femmes en lutte pour la paix, la liberté, l’égalité, la reconnaissance des droits démocratiques…

Elle a pendant des années été une des divas de l’Iran, avec Ghamar- ol Moluk Vaziri ( 19031959) ou Googoosh (née en 1950). Comme Oum Kalsoum se délectant des violons de l’orchestre égyptien « moderne », Marzieh appartient à une génération qui ouvre sa culture – n’admire-t-elle pas Edith Piaf et la Callas ? Aussi ses musiciens à l’Olympia seront occidentaux : cinquante-deux instrumentistes de l’Opéra de Paris qui jouent sur partition une musique iranienne dont les quarts de ton ne font plus problème. Dans un pays où la loi a interdit en 1935 le port du voile islamique, elle compte parmi les artistes qui se produisent devant la reine Elisabeth II, le général de Gaulle, le roi Hussein, le chancelier Adenauer, le président Nixon ( qui l’invitera aux Etats- Unis). Elle chante aussi beaucoup à l’étranger, n’osant qu’une seule fois chanter en une autre langue que le persan : « C’était en russe. Une chanson d’amour. »

 

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