Al Ahram Hebdo, 19 juillet – Chef de la communauté druze au Liban et fer de lance de lopposition à linfluence syrienne dans le pays du Cèdre, Walid Joumblatt évalue la situation dans son pays qui fait lobjet dune féroce agression militaire israélienne.
Al Ahram Hebdo: Israël fait porter la responsabilité de la flambée de violence au gouvernement libanais, après lenlèvement des 2 soldats israéliens et la mort de 8 autres. Quen pensez-vous ?
Walid Joumblatt : Le gouvernement a bien expliqué quil navait aucun lien avec la capture des soldats israéliens, que le Hezbollah ne lavait pas informé de lopération et que, par la suite, il nen assume pas la responsabilité. Ceci nempêche que nous sommes tous unis et solidaires face à lagression israélienne, mais si cest une guerre étrangère qui est menée sur le territoire libanais, nous la rejetons demblée.
Que voulez-vous dire par guerre étrangère ? Ne sagit-il pas dune bataille entre les Israéliens et les Libanais ?
Il semble quà un certain endroit en Syrie, il y a ceux qui cherchent à entraver le dialogue national libanais. Une tentative en quelque sorte de maintenir et denfoncer le Liban dans le chaos, pour dire quaprès le départ des Syriens, les choses se sont accélérées et que le pays ne peut plus se redresser. Je lai toujours dit et je continue à le répéter : nous refusons que la République islamique dIran mène sa propre guerre par lintermédiaire de la Syrie sur le territoire du Liban.
Mais si une partie du territoire libanais est toujours occupée par Israël, le Hezbollah na-t-il pas le droit de poursuivre sa lutte armée ?
Il faut comprendre que la réalité libanaise est bien différente de celle de la bande de Gaza. Nous avons libéré notre territoire en lan 2000, lorsquIsraël a été contraint à se retirer. Et lors du dialogue national interlibanais, auquel le Hezbollah a participé, il était convenu de tenter de récupérer les fermes de Chebaa par lintermédiaire du dialogue.
Vous reprochez donc au Hezbollah davoir procédé à la capture des 2 soldats israéliens ?
Nous aurions souhaité que le Hezbollah ait la gentillesse de nous prévenir. A présent, il nous a mis tous devant le fait accompli. Il nous a placés devant une guerre israélienne totale.
Libérer les détenus libanais des prisons israéliennes nest-il donc pas une thèse plausible pour vous ?
Nous refusons ce prétexte du retour des prisonniers. La question était posée depuis longtemps. On aurait pu profiter des Nations-Unies pour la récupération des prisonniers. Cela nous aurait épargné la destruction du pays. Nous avons dépassé aujourdhui la question des prisonniers pour passer à une phase très dangereuse qui menace la stabilité du Liban. Nous sommes pris entre le marteau de lIran et lenclume dIsraël.
Y a-t-il eu des contacts avec le Hezbollah après lagression israélienne ? Vous êtes-vous interrogé au moins sur le timing de lopération du Hezbollah ?
Mais à quoi bon de savoir pourquoi maintenant ? Il est clair que ces événements interviennent à un moment qui retarde le dialogue et qui permet à Israël de détruire le pays.
Comment évaluez-vous dans ce contexte la position des pays arabes ?
Les Arabes sont divisés. Si certaines élites arabes sympathisent avec le Hezbollah, elles sont les bienvenues, quelles viennent nous montrer ce quelles peuvent faire. Que ces Etats qui nont pas signé de traité de paix avec Israël, que les habitants du Yémen et de lAlgérie se mobilisent et ouvrent des bureaux pour le recrutement des volontaires et viennent combattre à nos côtés. Nous refusons que les Libanais assument seuls le résultat du conflit israélo-arabe. Nous considérons que notre territoire a été libéré en 2000, ceux qui pensent autrement doivent faire leur choix.
Les ministres arabes des Affaires étrangères ont été incapables darrêter un plan pour mettre un terme à la guerre dIsraël contre le Liban et les pays occidentaux nont rien fait non plus. Quelle est lalternative ?
Jaccueille favorablement la résolution de la Ligue arabe. Sur qui dautre pouvons-nous compter pour arrêter lagression et trouver un mécanisme dapplication dun cessez-le-feu que sur les Etats arabes et sur les amis ? Mais si les Etats-Unis veulent continuer à soutenir Israël de manière absolue, ils doivent savoir quils ne parviendront à rien. Quant à lIran, je lappelle à ne pas utiliser le Liban pour défendre son programme nucléaire et régler ses comptes avec la communauté internationale.
Concrètement, comment le Liban peut-il sortir de cette crise ?
Cest facile, un cessez-le-feu, puis les Nations-Unies doivent être chargées de régler le dossier des prisonniers. En gros, le problème passe par le respect des résolutions internationales.
Vous voulez dire la résolution 1 559, qui exige un désarmement du Hezbollah et le déploiement de larmée libanaise à la frontière avec Israël ?
Cette résolution du Conseil de sécurité se croise avec les accords de Taëf, que la résistance et la Syrie acceptent. Il ny a pas de différence entre les deux. Seul lEtat doit avoir lexclusivité de posséder les armes. Par le dialogue, nous avons établi les bases des relations diplomatiques avec la Syrie et lintégration du Hezbollah au sein de larmée et nous espérons pouvoir continuer sur ce même chemin.
Croyez-vous que cette guerre va clore le dossier du Hezbollah ?
Ecoutez, personne ne peut nier les sacrifices du Hezbollah, ni son rôle primordial dans la libération de notre territoire. Le mouvement dispose dune importante présence politique sur la scène libanaise. Le seul changement est que le Hezbollah ne peut plus avoir lexclusivité de la décision de guerre ou de paix et mener le Liban vers linconnu. Nous souhaitons que le secrétaire général du mouvement, Hassan Nasrallah, soit libanais avant toute autre chose.
Propos recueillis par Samar Al-Gamal