The New York Times, 18 juillet – Quune victime dun attentat-suicide palestinien demande réparation à un musée américain pourrait paraître déconcertant aux yeux du non-initié. Mais pour Daniel Miller, 27 ans, cest tout simplement une façon dobtenir justice dun gouvernement à qui il reproche ses souffrances.
Parce que lIran aide à lentraînement et soutient les membres du Hamas, le groupe militant qui a commis un attentat dans une promenade commerçante à Jérusalem en 1997, M. Miller et quatre autres Américains qui ont survécu à lattaque ont décidé dintenter une action en dommages et intérêts contre le gouvernement iranien dans une cour américaine.
En 2001, ils ont remporté un procès contre lIran dans une cour fédérale de Chicago ; en 2003 un juge fédéral des Etats-Unis à Washington leur a accordé environ 71 millions de dollars de dommages et intérêts compensatoires et 180 millions de dollars de dommages et intérêts dissuasifs, devant être payés par le gouvernement iranien, selon lavocat du plaignant.
Les plaignants ont suivi une stratégie inhabituelle peu après : ils ont réclamé des tablettes cunéiformes vieilles de 2500 ans prêtées par lIran à lInstitut oriental de lUniversité de Chicago. Les victimes exigent que luniversité vende les tablettes découvertes par des archéologues américains dans lancienne capitale perse de Persépolis dans les années 1930 et de les dédommager avec le montant des recettes.
La semaine dernière, le gouvernement iranien a finalement réagi et a envoyé un avocat de Washington à la cour fédérale de Chicago pour plaider son cas. Dans une audience hier, il a été décidé que lIran ait jusquau 21 août pour répondre au dossier.
LUniversité de Chicago défend les droits de lIran sur les objets antiques, avançant que lInstitut oriental a lobligation de les rendre comme promis.
M. Miller, résident en Floride qui a refusé de donner le nom de sa ville, a affirmé que son objectif nétait pas le gain financier mais de forcer lIran à payer pour son rôle dans le soutien au terrorisme. « Aucune somme dargent ne peut compenser ma souffrance et celle des autres victimes », a-t-il dit dans un message e-mail.
Après lattentat à la bombe du centre commercial Ben Yehuda en 1997, dit M. Miller, le métal qui sest logé dans ses chevilles et son bras gauche a dû être retiré chirurgicalement, endommageant de manière définitive ses nerfs. Un clou rouillé enfoncé dans le muscle de son mollet droit ne lui permet pas de marcher de longues distances sans sarrêter pour se reposer, dit-il, et le verre dans son il gauche le gêne continuellement.
« La vie a pris un tout autre sens depuis ce jour-là », a-t-il dit.
LUniversité de Chicago avance que les tablettes cunéiformes et les fragments revendiqués par les plaignants, vestiges administratifs de lempire perse datant environ de 500 av. J-C, sont des sources détude ayant beaucoup trop de valeur pour être vendues aux enchères.
« Elles détaillent le déplacement de personnes et de biens dans différentes parties de lempire », selon Gil Stein, directeur de lInstitut oriental de luniversité. « Cest la première fois que nous sommes capables de voir comment lempire fonctionne. Aucune autre source darchives déterrée nexiste ailleurs. »
Bien que linstitut ait « beaucoup de sympathie pour les victimes de cet attentat », dit-il, de tels objets anciens ne peuvent être utilisés pour satisfaire un besoin commercial. « Ce sont des articles détudes », dit-il. « Nous pensons quils ne doivent pas faire partie du cadre de ce genre de procédures. »
Dans un revirement inhabituel, le département dEtat et le ministère de la Justice soutiennent luniversité, avançant que les objets doivent être exempts du Foreign Sovereign Immunities Act, loi de 1976 fixant les paramètres des procès contre les nations étrangères pour terrorisme dans des cours américaines. Ils affirment que la saisie dobjets culturels appartenant à lIran pourrait endommager les relations de lAmérique avec les autres pays.
Les Etats-Unis nont aucune relation diplomatique avec lIran depuis 1979, lorsque des étudiants iraniens ont saisi lambassade des Etats-Unis à Téhéran et entamé une prise dotages qui a duré 444 jours.
Les plaignants dans le procès impliquant ces objets anciens (cinq victimes de lattentat à la bombe et cinq parents qui disent souffrir dun préjudice émotionnel) ont récemment fait de grands progrès dans leur combat juridique. Après que le jugement de 2003 ait accordé des dommages et intérêts, lUniversité de Chicago a invoqué limmunité souveraine au nom de lIran, principe légal prévoyant que les gouvernements, contrairement aux citoyens ordinaires, ne soient pas poursuivis en justice. Les victimes ont répondu en déposant un recours cherchant à établir quaucune partie autre que lIran ne puisse revendiquer limmunité souveraine de lIran en vertu de cette loi.
Le 15 décembre, un magistrat fédéral, le juge Martin C. Ashman de la cour fédérale des Etats-Unis en Illinois, a délivré un « rapport et recommandations » concluant que luniversité navait pas à mener les batailles de lIran, en particulier si lIran choisit de ne pas se présenter à la cour.
Luniversité a fait appel, mais le 22 juin, le juge fédéral des Etats-Unis Blanche M. Manning a approuvé la première décision. Thomas G. Corcoran Jr., avocat à Washington qui a plaidé la cause de lIran la semaine dernière, a déclaré quil était certain que lIran récupérerait ses objets. « Je ne pense pas que le Congrès veuille que des antiquités vieilles de 2500 ans soient amassées », a-t-il dit lors dune interview.
Les hauts membres du gouvernement à Téhéran affirment que lIran allait aussi travailler la voie diplomatique, en commençant par lUNESCO, afin de garantir le retour des tablettes. « Nous devons dabord épuiser tous les moyens diplomatiques, la correspondance culturelle, et les moyens administratifs et à lamiable pour récupérer tous les biens » a affirmé la semaine dernière Omid Ghanami, directeur des affaires judiciaires de lOrganisation de lHéritage culturel et du Tourisme de lIran.
David J. Strachman, avocat du Rhode Island pour les plaignants, a déclaré quil était heureux de constater que lIran réagissait maintenant. « Cest une victoire pour la démocratie et pour la règle de loi que lIran reconnaisse bientôt la juridiction des cours fédérales et que le système juridique américain le juge coupable de soutien au terrorisme », a-t-il dit.
Laffaire est suivie de près par les musées américains qui font également face à des requêtes légales pour des antiquités perses déposées par les victimes de lattentat de 1997. Mais ces musées affirment que les objets réclamés leur appartiennent, et non à lIran. Un procès intenté contre deux musées de lUniversité du Michigan et de lInstitut des Arts de Détroit a été rejeté en mai sans préjudice, cest-à-dire que les plaignants peuvent toujours redéposer plainte.
En mai, lUniversité dHarvard a déposé une requête au motif que ces objets antiques dans ces musées dart nappartiennent pas à lIran et quils ne sont pas destinés à un usage commercial qui pourrait les assujettir à une saisie. Dans un communiqué, le Museum of Fine Arts de Boston, qui fait face à une requête similaire, a déclaré quil ny avait aucun fondement puisque les articles nappartenaient pas à lIran.
Patty Gerstenblith, professeur de droit à lUniversité DePaul et spécialisée dans le droit international relatif à propriété culturelle, a affirmé que les objets antiques devaient être protégés de toute saisie. « Selon moi, ces biens ne doivent pas êtres sujets à saisie pour satisfaire ce genre de requête », a-t-elle dit. Eparpiller la collection, a-t-elle ajouté, « serait vraiment préjudiciable du point de vue de létude et du savoir ».
Les tablettes ont été déterrées dans les années 1930 par des archéologues de lUniversité de Chicago dans les ruines de Persépolis, dans une plaine proche de la ville actuelle de Chiraz, dans le centre sud de lIran. Le gouvernement iranien les a prêtées à luniversité en 1937 afin quelles soient traduites et cataloguées. Parce que ces tablettes en argile sont fragiles, un grand nombre dentre elles étaient complètement en fragments.
Le professeur Stein de luniversité a estimé que 37 000 tablettes ont été rendues à lIran après avoir été étudiées entre 1938 et 2004 et quenviron 5000 tablettes et 10 000 fragments restaient à linstitut. La décision de la cour fédérale interdit à luniversité de les rendre tant que laffaire est en cours.
« Elles appartiennent au peuple dIran et ils nous ont fait confiance pour que nous les traduisions et prenions soin delles », a affirmé le professeur Stein. Il a comparé le procès à un scénario dans lequel « des gens voulaient saisir la Grande Charte et la mettre aux enchères parce quils avaient un différend avec lAngleterre ».
Mais M. Miller, victime de lattentat, a souligné que lIran nétait pas obligé nécessairement de perdre ses objets antiques.
« Tout ce que doit faire lIran, cest payer le jugement afin de bloquer notre requête contre leurs antiquités », a-t-il dit.