LExpress, Téhéran, 22 août Par Vincent Delon – En refusant de renoncer à l’enrichissement de l’uranium, au risque de sanctions, l’Iran cherche à s’imposer comme le leader de la cause musulmane. Quitte à jouer de sa puissante arme pétrolière.
L’opération a été annoncée en fanfare sur le petit écran iranien. Baptisée «Coup de Zolfaghar» – du nom de l’épée d’Ali, l’un des 12 imams chiites, vénéré comme un saint en République islamique – la nouvelle série de manuvres militaires lancée à travers tout l’Iran intervient, comme par hasard, au lendemain du cessez-le-feu au Liban et sur fond de contentieux nucléaire entre Téhéran et l’Occident. «Il s’agit de présenter la nouvelle doctrine défensive du pays», clame haut et fort le porte-parole militaire, le général Mohammad Reza Ashtiani, dans une interview accordée à la télévision d’Etat.
Avec son refus de renoncer à l’enrichissement d’uranium – proclamé dès le 21 août par l’ayatollah Ali Khamenei, n° 1 du régime – la République islamique opte, de facto, pour la confrontation avec l’Occident. Fini, la page des années Khatami, des réformes, du dialogue des civilisations, des sourires coiffés d’un turban. La nouvelle équipe, au pouvoir depuis l’élection du président ultraconservateur, Mahmoud Ahmadinejad, en juin 2005, ne cherche en rien à séduire. Constituée d’anciens Gardiens de la révolution, formés à l’école des tranchées de la guerre Iran-Irak (1980-1988), et de membres des services de renseignement, elle réunit des hommes décidés à se confronter à l’Occident. «Avant, il était difficile de parler aux Iraniens, souffle un diplomate occidental en poste à Téhéran. Aujourd’hui, c’est quasi impossible.»
Les Européens avaient pourtant fondé leurs derniers espoirs sur ce nouveau paquet de mesures incitatives, offert le 6 juin dernier par les cinq membres du Conseil de sécurité et l’Allemagne, en échange d’une suspension de l’enrichissement d’uranium iranien – procédé indispensable pour la fabrication d’une bombe. L’Iran avait alors invoqué le besoin de la réflexion, en promettant une réponse pour le 22 août. Dès la veille, cependant, la déclaration du guide religieux laissait présager un refus de coopérer. Et tout portait à croire que l’Iran se préparait à l’affrontement: rumeurs d’un retrait possible du traité de non-prolifération nucléaire (TNP), discours enflammés contre l’Occident, interdiction aux inspecteurs des Nations unies d’accéder au site d’enrichissement de Natanz
Si la République islamique tient tête, c’est parce qu’elle sait qu’elle en a maintenant les moyens: «Téhéran se trouve aujourd’hui dans une position de force et entend en profiter, confie un expert iranien en relations internationales qui préfère conserver l’anonymat. Ses alliés du Hezbollah célèbrent leur victoire au Liban, les Etats-Unis peinent en Irak et le régime compte sur l’argent du pétrole pour faire face aux sanctions internationales.»
La crise libanaise a, sans conteste, conforté l’Iran dans sa position de force. Avec le mythe de la grande armée israélienne invincible parti en fumée, la République islamique, à l’issue du cessez-le-feu, bombe le torse. Un article intitulé «Bien joué!», publié dans les pages du quotidien conservateur Kayhan, donne le ton: «La guerre a servi de leçon à l’Amérique et au régime sioniste, et leur fait craindre la confrontation avec un superpouvoir comme l’Iran.» Quant à l’enlisement des GI en Irak, il a fini par estomper les dernières craintes, à Téhéran, d’une invasion américaine. D’autant que la République islamique est bien consciente de détenir l’une des armes les plus précieuses qui soient: le pétrole, dont les prix ont déjà commencé à flamber.
Elle sait aussi qu’elle peut compter sur une multitude de réseaux – du Hamas en Palestine aux miliciens de Moqtada al-Sadr en Irak, en passant par le Hezbollah libanais – qu’elle peut activer si nécessaire. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Ahmadinejad, la République islamique cherche à s’imposer comme le nouveau leader de la cause musulmane. Si, dans les capitales occidentales, le fanatisme mystique d’Ahmadinejad fait couler beaucoup d’encre, ses discours anti-israéliens et son défi à l’ «oppresseur américain» ont fait du chef de l’Etat iranien l’un des chiites préférés, avec Hassan Nasrallah, de la rue arabe, pourtant sunnite en majorité.
A l’intérieur, cependant, la population commence à s’essouffler. Personne n’envisage encore de stocker le riz, et la ruée vers les stations-service, en début de semaine, n’avait pas eu lieu. Mais le spectre des sanctions inquiète les Iraniens: «Au final, c’est la population qui va trinquer», regrette Farideh Sehperi, une mère au foyer. Les autorités, quant à elles, se targuent d’être parvenues à contourner l’embargo américain.
Reste que les proclamations belliqueuses ne constituent pas, à elles seules, une politique. Au lendemain du lancement de l’opération «Coup de Zolfaghar», un petit avion militaire s’écrasait au nord de Téhéran. Il s’ajoute à la triste liste des appareils victimes d’accident, faute de pièces détachées. Celles-ci sont soumises aux sanctions économiques américaines.