Iran Focus, Londres, 14 décembre Le texte suivant est le communiqué de presse du tribunal de première instance de la Cour de Justice européenne sur son arrêt annulant la décision de lUnion européenne de geler les avoirs financiers du principal groupe dopposition iranien, lorganisation des Moudjahidine du peuple dIran (OMPI) :
Presse et Information
COMMUNIQUÉ DE PRESSE n° 97/06
12 décembre 2006
Arrêt du Tribunal de première instance dans laffaire T-228/02
Organisation des Modjahedines du peuple dIran / Conseil de lUnion européenne
LE TRIBUNAL ANNULE LA DÉCISION DU CONSEIL QUI ORDONNE LE GEL DES FONDS DE LORGANISATION DES MODJAHEDINES DU PEUPLE DIRAN DANS LE CADRE DE LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME
La décision attaquée viole les droits de la défense, lobligation de motivation et le droit à une protection juridictionnelle effective.
Le 28 septembre 2001, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté une résolution appelant tous les États membres de lONU à lutter par tous les moyens contre le terrorisme et son financement, notamment en gelant les fonds des personnes et entités qui commettent ou tentent de commettre des actes de terrorisme. Cette résolution nidentifie toutefois pas les personnes et les entités en question, une telle identification étant laissée à lappréciation des États.
Cette résolution a notamment été mise en oeuvre dans la Communauté par une position commune(1) et par un règlement(2) du Conseil, adoptés le 27 décembre 2001, qui ordonnent le gel des fonds des personnes et des entités inscrites sur une liste établie et régulièrement mise à jour par des décisions du Conseil. Linscription sur cette liste doit être faite sur la base dinformations précises ou déléments de dossier qui montrent quune décision a été prise par une autorité nationale compétente, en principe judiciaire, à légard des personnes et entités visées, quil sagisse de louverture denquêtes ou de poursuites pour un acte terroriste, ou la tentative de commettre, ou la participation à, ou la facilitation dun tel acte, basée sur des preuves ou des indices sérieux et crédibles, ou quil sagisse dune condamnation pour de tels faits. Les noms des personnes et entités reprises sur la liste doivent faire lobjet dun réexamen à intervalles réguliers, au moins une fois par semestre, afin de sassurer que leur maintien sur la liste reste justifié.
LOrganisation des Modjahedines du peuple dIran (OMPI), fondée en 1965, sest donné pour but le remplacement du régime du Chah dIran, puis celui des mollahs, par un régime démocratique. Par le passé, elle a disposé dune branche armée opérant à lintérieur de lIran. Selon ses dires, toutefois, elle a expressément renoncé à toute activité militaire depuis le mois de juin 2001.
Par une position commune et par une décision du 2 mai 2002, le Conseil a mis à jour la liste des personnes et entités dont les fonds doivent être gelés dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, en y incluant notamment lOMPI. Depuis lors, le Conseil a adopté diverses positions communes et décisions mettant à jour la liste en question. LOMPI y a toujours été maintenue.
LOMPI a introduit un recours devant le Tribunal de première instance afin dobtenir lannulation de ces positions communes et de ces décisions, pour autant que ces actes la concernent.
Le Tribunal constate que certains droits et garanties fondamentaux, notamment les droits de la défense, lobligation de motivation et le droit à une protection juridictionnelle effective, sont en principe pleinement applicables dans le contexte de ladoption dune décision communautaire de gel des fonds au titre du règlement n° 2580/2001.
A cet égard, le Tribunal établit une distinction entre la présente affaire et les affaires concernant le gel des fonds des personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Talibans, qui ont fait lobjet des arrêts Yusuf et Kadi du 21 septembre 2005(3) ainsi que des arrêts Ayadi et Hassan du 12 juillet 2006(4). Dans ces dernières affaires, en effet, le Conseil et la Commission sétaient bornés à transposer au niveau de la Communauté des résolutions du Conseil de sécurité et des décisions de son comité de sanctions qui identifiaient nommément les personnes concernées, sans que les institutions communautaires disposent dun quelconque pouvoir dappréciation quant à lopportunité et au bien-fondé de ces mesures. En revanche, dans le système en cause dans la présente affaire, lidentification concrète des personnes et entités dont les fonds doivent être gelés a été laissée, par le Conseil de sécurité, à lappréciation des membres de lONU. Cette identification relève donc de lexercice dun pouvoir propre, impliquant une appréciation discrétionnaire de la Communauté. Dans ces conditions, le respect des droits et garanties fondamentaux garantis par lordre juridique communautaire simpose en principe pleinement au Conseil.
Ensuite, le Tribunal détermine létendue de ces droits et garanties, ainsi que les restrictions dont ils peuvent faire lobjet, dans le contexte de ladoption dune mesure communautaire de gel des fonds.
Le Tribunal juge que le principe général de respect des droits de la défense nexige pas que les intéressés soient entendus par le Conseil à loccasion de ladoption dune décision initiale de gel de leurs fonds, celle-ci devant pouvoir bénéficier dun effet de surprise. En revanche, ce principe exige, à moins que des considérations impérieuses touchant à la sûreté de la Communauté ou de ses États membres ou à la conduite de leurs relations internationales ne sy opposent, que les informations précises ou les éléments de dossier qui montrent quune décision a été prise à leur égard par une autorité compétente dun État membre soient communiqués aux intéressés, dans toute la mesure du possible, soit concomitamment à, soit aussitôt que possible, après ladoption dune telle décision. Sous les mêmes réserves, les intéressés doivent être mis en mesure de faire valoir utilement leurs observations avant toute décision subséquente de maintien du gel des fonds.
De même, à moins que des considérations impérieuses touchant à la sûreté de la Communauté ou de ses États membres ou à la conduite de leurs relations internationales ne sy opposent, la motivation dune décision initiale ou subséquente de gel des fonds doit au moins porter, de façon spécifique et concrète, sur les informations précises ou les éléments de dossier qui montrent quune décision a été prise à légard des intéressés par une autorité compétente dun État membre. La motivation doit également indiquer les raisons pour lesquelles le Conseil considère, dans lexercice de son pouvoir dappréciation, que les intéressés doivent faire lobjet dune telle mesure.
Enfin, le droit à une protection juridictionnelle effective est garanti par le droit quont les intéressés de former un recours devant le Tribunal contre toute décision ordonnant le gel de leurs fonds ou son maintien. Toutefois, étant donné le large pouvoir dappréciation dont dispose le Conseil dans ce domaine, le contrôle exercé par le Tribunal sur la légalité de telles décisions doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de lexactitude matérielle des faits, ainsi que de labsence derreur manifeste dans lappréciation des faits et de détournement de pouvoir.
En appliquant ces principes au cas despèce, le Tribunal relève tout dabord que la réglementation pertinente ne prévoit explicitement aucune procédure de communication des éléments à charge et daudition des intéressés, que ce soit préalablement ou concomitamment à ladoption dune décision initiale de gel de leurs fonds ou, dans le contexte de ladoption des décisions subséquentes de maintien du gel des fonds, en vue dobtenir leur retrait de la liste.
Le Tribunal constate ensuite que, à aucun moment avant lintroduction du recours, les éléments à charge nont été communiqués à lOMPI. Ni la décision initiale de gel de ses fonds ni les décisions subséquentes de maintien de ce gel ne mentionnent même les informations précises ou les éléments de dossier qui montrent quune décision justifiant son inclusion dans la liste litigieuse a été prise par une autorité nationale compétente.
Le Tribunal en déduit que les décisions en question ne sont pas non plus adéquatement motivées.
Non seulement lOMPI na pas pu faire valoir utilement son point de vue auprès du Conseil, mais elle na pas non plus été mise en mesure de faire fruit de son recours devant le Tribunal, en labsence de telles informations et eu égard à labsence de motivation des décisions litigieuses.
Bien plus, ni les éléments de dossier produits devant le Tribunal, ni les réponses du Conseil et du gouvernement du Royaume-Uni aux questions posées par le Tribunal lors de laudience ne permettent à celui-ci dexercer son contrôle juridictionnel, puisquil nest même pas en mesure de déterminer avec certitude quelle est la décision nationale sur laquelle se fonde la décision attaquée.
En conclusion, le Tribunal constate que la décision ordonnant le gel des fonds de lOMPI nest pas motivée, que cette décision a été adoptée dans le cadre dune procédure au cours de laquelle les droits de la défense de lintéressée nont pas été respectés, et que lui-même nest pas en mesure den contrôler la légalité. En conséquence, cette décision doit être annulée, pour autant quelle concerne lOMPI.
RAPPEL: Un pourvoi, limité aux questions de droit, peut être formé devant la Cour de justice des Communautés européennes contre la décision du Tribunal, dans les deux mois à compter de sa notification.
1 Position commune 2001/931/PESC du Conseil, du 27 décembre 2001, relative à lapplication de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme (JO L 344, p. 93).
2 Règlement (CE) n° 2580/2001 du Conseil, du 27 décembre 2001, concernant ladoption de mesures restrictives spécifiques à lencontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (JO L 344, p. 70).
3 Voir communiqué de presse n° 79/05 du 21 septembre 2005.
4 Voir communiqué de presse n° 57/06 du 12 juillet 2006.