IranIran (actualité)Un orchestre allemand joue Beethoven à Téhéran

Un orchestre allemand joue Beethoven à Téhéran

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Le Figaro, Téhéran, 30 août – Par Delphine Minoui – Le premier concert a été donné hier à guichet fermé. Les femmes de l’orchestre étaient voilées.

Au moment où la crise du dossier nucléaire fait des étincelles entre Téhéran et les capitales occidentales, l’événement relève presque du miracle. Pour la première fois depuis la révolution islamique de 1979, un orchestre allemand vient de décrocher une soixantaine de visas pour que ses musiciens puissent jouer des oeuvres de Beethoven, Elgar et Brahms devant un public iranien. Le premier concert a été donné hier, à l’ancien Opéra de Téhéran, à guichet fermé. Du jamais-vu dans la capitale iranienne. « Franchement, c’était une mission impossible… Mais on y est arrivé », confie Michael Dreyer, le directeur artistique de l’orchestre d’Osnabrück (Basse-Saxe), contacté à Téhéran par téléphone. La voix éreintée par le trop-plein de nuits blanches, il prend enfin le temps de souffler.

« C’est le résultat d’un an de marathon, avec cette crainte permanente que le projet soit annulé au dernier moment », dit-il. Tout est parti d’un projet d’échange avec l’orchestre symphonique de Téhéran, dirigé par Nader Mashayekhi, et qui joua l’année dernière à Osnabrück, dans le cadre du Festival Morgenland (Orient), dirigé par Michael Dreyer. À l’heure des sanctions internationales face à l’entêtement iranien à enrichir l’uranium, la période n’était pas des plus propices à une telle initiative. Sans compter la récente chasse aux valeurs occidentales lancée par l’équipe du président Mahmoud Ahmadinejad.

Pour éviter toute politisation de l’affaire, Michael Dreyer a donc préféré rejeter une demande de trois députés allemands de se joindre à la tournée. À Berlin, les officiels ont également évité les déclarations publiques sur la question.

Mais il a fallu compter avec une montagne d’autres obstacles. Côté iranien, impossible de décrocher, jusqu’à la dernière minute, le moindre contrat ou papier officiel confirmant la tenue des concerts. « Au ministère de la Culture, personne ne voulait endosser une si lourde responsabilité », raconte-t-il. Ce n’est qu’au bout de huit voyages ponctués de malentendus et de rumeurs d’annulation qu’il parvint, il y a quelques semaines, à obtenir un semblant de garantie. Côté allemand, l’affaire était loin d’être gagnée, elle aussi, à l’avance. Difficile, en effet, de convaincre tant de musiciens de venir jouer dans un pays classé dans l’« axe du Mal » et dont le président multiplie les discours provocateurs. « Certains d’entre eux ne pouvaient pas concevoir l’idée d’aller jouer dans un pays qui nie l’Holocauste », explique Michael Dreyer. Dix membres de l’orchestre ont ainsi refusé de faire le déplacement jusqu’à Téhéran.

«SOIF CULTURELLE »

Autre sujet sensible : la question du port obligatoire du voile islamique pour la vingtaine de femmes de l’orchestre. « Elles n’ont jamais joué voilées. Elles ont dû s’entraîner en Allemagne avant de venir », dit-il. Pour Nathalie Amstutz, l’une d’entre elles, également contacté par téléphone, « il a fallu s’y habituer, car quand on joue, ce n’est franchement pas pratique ». La jeune joueuse de harpe, d’origine suisse, reconnaît que ce « n’est finalement pas si strict que ça puisqu’on peut laisser dépasser des mèches ». Avec un bémol : « Quand il fait chaud, c’est franchement pénible. »

C’est sa virée au Bazar, entre deux répétitions, qui l’a finalement réconciliée avec Téhéran. « Les vendeurs nous ont invités à boire le thé, ils étaient ravis de voir des Européens. Je ne me suis sentie menacée à aucun moment. Ils étaient très ouverts et accueillants, à l’opposé des déclarations de leurs dirigeants qu’on lit d’habitude dans la presse occidentale », dit-elle. « On a tous été impressionné par cette soif culturelle des Iraniens. Malgré leur isolement, ils savent beaucoup plus de choses sur la culture occidentale que ce que nous, les Allemands, savons des poètes persans Hafez ou Ferdowsi », ajoute Michael Dreyer.

Bannie des transistors au début de la révolution islamique, la musique occidentale a amorcé une timide réapparition en Iran dans les années 1990. Le climat d’ouverture, généré par l’élection du réformateur Mohammad Khatami, en 1997, permit aux ambassades occidentales de faire venir, pour la première fois, des groupes, proposant des styles musicaux jusqu’ici interdits : jazz, flamenco, rock. C’est paradoxalement dans le climat de répression imposé par l’entourage du président Ahmadinejad, élu en 2005, qu’un orchestre symphonique occidental d’une telle ampleur vient jouer à Téhéran. « J’espère que ce projet va permettre à nos peuples respectifs de comprendre qu’ils n’ont pas à avoir peur les uns des autres », explique Michael Dreyer. En ajoutant : « C’est vrai qu’il existe des problèmes politiques entre nos deux pays, mais ils ne devraient pas empêcher nos populations de continuer à dialoguer. »

SOUS HAUTE SURVEILLANCE

Ce dialogue culturel reste, néanmoins, sous haute surveillance. Sur place, une équipe de traducteurs se charge d’encadrer les musiciens pendant leur séjour. Pour des raisons « sécuritaires », certains photographes se sont vu refuser l’accès aux répétitions. Et conformément à la demande de l’Iran, le programme musical des concerts a dû être préalablement présenté aux autorités iraniennes. Initialement composé d’oeuvres occidentales et iraniennes, il a d’ailleurs été soumis à un changement de dernière minute. « On nous a fait savoir qu’un morceau composé par Nader Mashayekhi, le chef de l’Orchestre symphonique de Téhéran, a été annulé », confie Michael Dreyer. Il s’agissait d’une oeuvre rendant hommage au poète persan Roumi. Est-ce parce que ses vers évoquent le vin et l’amour ? Ou bien le signe de la volonté des autorités iraniennes de saper le travail de Nader Mashayekhi, trop indépendant à leurs yeux. « On ne saura jamais… », souffle Michael Dreyer.

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