IranIran (actualité)L'Iran, la révolte arabe et le Proche-Orient de demain

L’Iran, la révolte arabe et le Proche-Orient de demain

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Par Alain Frachon

Le Monde, 3 mars – Question de realpolitik, pas lyrico-sentimentale : quel Proche-Orient demain ? A quoi ressemblera la région quand s’apaisera le vent de tempête qui y souffle depuis bientôt deux mois et demi ? Réponse entendue, parfois, à Washington, et, souvent, à Jérusalem : « Tout cela, c’est bon pour l’Iran. » Ce qui sous-entend que ce n’est pas très bon pour l’Amérique et encore moins pour Israël…

En apparence, le raisonnement est limpide. La chute de l’Egyptien Hosni Moubarak aurait ébranlé le front arabe sunnite supposé contenir l’influence de la République islamique d’Iran dans la région. Les Etats-Unis comptaient sur le régime égyptien pour contrer la volonté de domination prêtée à l’Iran de Mahmoud Ahmadinejad. La nouvelle Egypte ne s’estimerait plus liée par cet engagement stratégique.

La preuve ? Le Caire vient d’autoriser deux bâtiments de guerre iraniens à traverser le canal de Suez pour se rendre dans un port syrien. Hosni Moubarak n’aurait jamais donné son feu vert. Du temps du vieux raïs, ce sont les sous-marins israéliens qui, avec l’accord tacite de l’Egypte, empruntaient le canal pour aller de Méditerranée en mer Rouge !

Le deuxième pilier arabe destiné à tenir l’Iran en respect est lui aussi mal en point. L’Arabie saoudite est secouée par la révolte qui mine le petit émirat de Bahreïn. Il sert de port d’attache à la Ve flotte américaine dans le Golfe. Là, le sunnite Hamad bin Isa Al-Khalifa fait face à la rébellion de ses ressortissants chiites – les deux tiers de ce micro-Etat de 500 000 habitants.

C’est bon pour Téhéran, nous explique-t-on, pour deux raisons : les chiites bahreïnis éprouveraient de la sympathie pour la République islamique d’Iran (majoritairement chiite) ; ils pourraient inspirer une révolte des chiites saoudiens – 10 % à 15 % de la population – qui peuplent la région pétrolière du royaume. Vieil ennemi des ayatollahs de Téhéran, la Maison des Saoud risque d’être à son tour déstabilisée et, avec elle, la deuxième pointe du trident arabe brandi face à la menace venue de Perse… La troisième pointe de la défense arabe, c’est le royaume de Jordanie. Il est lui aussi fragile et fragilisé par le vent qui s’est levé au Caire et à Tunis.

En résumé, l’Amérique voit trois ou quatre de ses grands amis dans la région mal en point, affaiblis, menacés par la révolte en cours. Signataires pour deux d’entre eux (l’Egypte et la Jordanie) d’un traité de paix avec Israël et tous intimement liés à Washington pour leur défense, ils forment le front dit « modéré », opposé à la Syrie et à l’Iran. En « une », sur trois colonnes, le New York Times publie le 24 février une analyse fleuve intitulée : « Alors que le monde arabe est en plein chambardement, l’influence de l’Iran progresse, le pouvoir des Saoud régresse ».

La presse israélienne décrit un bouleversement stratégique : l’effritement d’une alliance implicite avec le monde arabe sunnite face à l’Iran ; une Egypte mieux disposée à l’égard des islamistes palestiniens du Hamas à Gaza ; la montée en puissance du Hezbollah pro-iranien au Liban ; un gouvernement irakien à Bagdad sous la tutelle de l’Iran ; un Proche-Orient dominé par un axe Téhéran-Damas-Ankara. Sans parler d’une Libye en risque de « somalisation »…

Le raisonnement a les allures de l’évidence. Pourtant, il n’est pas convaincant. Il décrit un Proche-Orient où un pays, l’Iran, serait en phase ascendante. Un Iran bientôt en passe de réaliser son rêve : devenir la superpuissance régionale. Rien ne paraît plus faux. La République islamique est fragilisée, elle aussi. Elle n’est pas un modèle à l’extérieur – pas un slogan place Tahrir pour en vanter les mérites. Et, à l’intérieur, elle a perdu le peu de légitimité qui lui restait avant les élections de juin 2009 – quand, volant la victoire à l’opposition regroupée au sein du Mouvement vert, Mahmoud Ahmadinejad a proclamé sa réélection avec l’appui du Guide, Ali Khamenei, et du bras armé du régime, les Gardiens de la révolution.

Ce putsch parachevait une militarisation amorcée avec l’arrivée à la présidence de Mahmoud Ahmadinejad à l’été 2005. Curieuse théocratie polycéphale jusqu’alors, où la multiplicité des centres de décision laissait passer un souffle de démocratie, la République islamique devenait pleinement une dictature militaro-policière. Une autocratie comme tant d’autres au Proche-Orient ; un Etat appuyé sur un appareil sécuritaire omniprésent ; un régime disposant, comme en Egypte, d’une réserve de milices puisées dans les bas quartiers pour réprimer et réprimer encore.

Car, depuis 2009, le régime ne se maintient que par la terreur. Si la hausse du cours du pétrole lui donne des marges de manoeuvre, il est affaibli, en proie aux divisions et incapable, en dépit d’une répression atroce, de faire taire le Mouvement vert.

Les Etats qui se confondent avec leur appareil sécuritaire donnent souvent l’impression d’être là pour toujours. Et puis un jour, sans prévenir, tout bascule, comme au Caire ou à Tunis.

La République islamique est vraisemblablement aujourd’hui, nous dit le meilleur iranologue parisien, Ahmad Salamatian, un régime aussi fragile que l’était hier celui d’Hosni Moubarak. A Tunis comme au Caire, le personnage-clé de la révolte est le même : le jeune Arabe, éduqué, connecté au vaste monde par Internet, en général sans emploi et ne supportant plus la brutalité du pouvoir en place. Tout cela est vrai du jeune Iranien, lui aussi éduqué, lui aussi accro aux écrans libertaires de la blogosphère, lui aussi trop souvent au chômage et atteint dans sa dignité et sa fierté par la violence d’un Etat policier.

Le Proche-Orient de demain reste imprévisible. Il n’obéira sans doute pas au vieux classement qui range les régimes en fonction de leur attitude à l’adresse des Etats-Unis ou d’Israël. Il sera différent, moins accommodant aux désirs de l’Europe ou de l’Amérique. Mais il ne sera pas façonné par une République islamique d’Iran qui pourrait bien être le prochain régime à vaciller.

http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/03/03/l-iran-la-revolte-arabe-et-le-proche-orient-de-demain_1487808_3232.html

 

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