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Le jeu de l’Iran dans les crises en Libye et en Syrie

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Par Natalie Nougayrède

Le Monde, 5 juillet – L’intervention armée en Libye a-t-elle conduit à une alliance secrète entre l’Iran et le pouvoir du colonel Mouammar Kadhafi ? C’est ce que qu’avancent désormais des milieux de renseignements occidentaux. La République islamique, craignant les conséquences de cette opération européenne et américaine en Afrique du Nord, aurait élaboré un plan pour transformer la Tripolitaine et la Cyrénaïque en bourbier pour les alliés de l’OTAN. Du moins, pour y faire durer le plus longtemps possible la résistance des forces de Kadhafi.

L’Iran cherche à tirer profit des bouleversements dans le monde arabe, y voyant un facteur d’affaiblissement de la position des Occidentaux au Moyen-Orient, ainsi qu’une diversion détournant l’attention de la communauté internationale de son programme nucléaire, disent ces sources.

Selon cette analyse, dans une directive émise début mai, le Guide suprême iranien, Ali Khamenei, a donné instruction à la force Al-Qods du corps des Gardiens de la révolution (pasdarans), l’armée idéologique du régime, d’apporter une assistance militaire au pouvoir du colonel Kadhafi dans sa guerre contre « l’axe du Mal Etats-Unis-France-Royaume-Uni ».

Ce plan comporte des transferts d’armes, dont des missiles sol-sol et sol-air, ainsi que des lanceurs de grenades, devant être utilisés contre les forces de l’opposition libyenne. Ces transferts ont été confiés à des membres de la force Al-Qods basés en Algérie et au Soudan, une centaine d’entre eux ayant pénétré en Libye jusque dans des zones de la Cyrénaïque proches de l’Egypte, affirment ces sources occidentales.

Toujours selon cette version, le chef des renseignements des pasdarans iraniens, Hosain Taeb, a dépêché à Tripoli, la capitale libyenne, une petite équipe de commandants de haut rang des Gardiens de la révolution, placés sous son autorité. Leur mission étant de conseiller le régime libyen en matière de surveillance des communications et de renseignements.

Les Iraniens auraient par ailleurs conseillé le pouvoir de Mouammar Kadhafi dans sa tactique de dissimulation de matériel militaire et de combattants sur des sites civils. La directive du Guide suprême affirme que des frappes de l’OTAN sur ces lieux permettraient à Tripoli de répliquer par « des attaques de propagande, affaiblissant les agresseurs ».

La stratégie de Ali Khamenei, ajoutent ces sources occidentales, consiste à « fixer » le plus longtemps possible les Occidentaux sur le théâtre libyen, dans l’objectif d’amoindrir leur capacité à réagir face à la répression en Syrie, allié majeur de l’Iran au Moyen-Orient.

L’intervention de l’OTAN en Libye suscite de vives critiques de la Russie, qui, en réaction, bloque toute résolution de l’ONU concernant la Syrie. Le ministre français des affaires étrangères, Alain Juppé, en visite à Moscou le 1er juillet, a essuyé des remontrances de son homologue russe, Sergueï Lavrov, sur ce dossier. La France met en exergue le fait que les agissements du pouvoir syrien font courir un fort risque de déstabilisation de toute la région.

Les Etats-Unis avaient accusé, dès avril, le régime syrien de rechercher l’aide de l’Iran dans sa politique d’écrasement de la contestation de rue. Du matériel de répression policière et des techniques de censure d’Internet auraient été fournies. Le 24 juin, l’Union européenne (UE) a endossé cette accusation, en décidant de frapper de sanctions trois hauts responsables des Gardiens de la révolution.

L’UE a accusé le commandant des pasdarans Mohammad Jaafari, le commandant de la force Al-Qods Qassem Soleimani, et Hosain Taeb, d’avoir « fourni une assistance au régime syrien dans la répression des manifestations ».

Les manoeuvres régionales de Téhéran, sur fond de révoltes arabes, ont accru l’antagonisme entre l’Iran chiite et l’Arabie saoudite, puissance sunnite. La crainte des ambitions iraniennes a poussé les monarchies du Golfe à intervenir en mars au Bahreïn, pour consolider un pouvoir aux prises avec un soulèvement à dominante chiite.

En Syrie, le soutien iranien vise à préserver un appui stratégique, le régime allaouite, d’obédience chiite, qui sert de plaque tournante pour de nombreux transferts d’armes iraniennes vers l’étranger.

L’aide de l’Iran à la Libye du colonel Kadhafi, telle que la décrivent ces sources occidentales, peut apparaître paradoxale. Des responsables politiques et religieux iraniens ont multiplié ces derniers mois les déclarations de soutien à l’opposition libyenne, tout en taxant l’intervention des Occidentaux de visées néocoloniales. Historiquement, les relations entre Mouammar Kadhafi et le régime des mollahs ont toujours été détestables. L’Iran tient le colonel pour responsable de l’enlèvement et de la disparition en Libye, à la fin des années 1970, du charismatique chef religieux chiite libanais, Moussa Al-Sadr.

Ce contexte explique pourquoi, selon ces sources occidentales, le choix d’aider Mouammar Kadhafi a donné lieu à des dissensions au sein du pouvoir iranien, opposant le Guide suprême au président Mahmoud Ahmadinejad, qui était favorable à un soutien à l’insurrection anti-Kadhafi. Le débat a été tranché par Ali Khamenei et son entourage, qui a insisté sur le caractère clandestin de l’aide à Tripoli.

En portant secours à un pouvoir libyen avec lequel il n’a pas d’affinités, l’Iran ferait une démonstration de sa capacité de nuisance face aux Occidentaux, comme cela a été le cas en Afghanistan, où il a été accusé par les Etats-Unis d’avoir livré des armes et des explosifs aux talibans.

 

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