Le Figaro, Vienne, 9 août – Les Européens avaient prévenu. «La ligne rouge sera franchie lorsque les activités de conversion de l’uranium auront effectivement repris à Ispahan», avertissait un diplomate proche de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), la semaine dernière à Vienne. C’est chose faite, depuis hier. Sur le site ultrasensible d’Ispahan, quadrillé de batteries antiaériennes, fils de fer barbelés et gardes lourdement armés, la conversion d’uranium a repris «partiellement» malgré les avertissements répétés de l’AIEA, de l’Union européenne et des Etats-Unis. Des journalistes invités par les autorités iraniennes ont pu observer des techniciens vêtus d’une combinaison étanche immaculée manier avec précaution un baril de «yellowcake», avant de le déverser dans des convertisseurs. Cette substance, une poudre de minerai d’uranium, doit être transformée en un gaz, l’hexafluorure d’uranium (UF 6), avant que ne débute véritablement la phase critique de l’enrichissement d’uranium. Celle-ci doit se faire à l’aide de centrifugeuses qui, une fois en mouvement, permettent d’isoler l’U 235, l’isotope nécessaire à l’alimentation de réacteurs civils comme à la conception d’armes nucléaires.
«L’Iran a repris la conversion d’uranium sous le contrôle de l’AIEA», a indiqué tout sourire Mohammad Saïdi, le vice-président de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique (OIEA) devant les journalistes. La reprise de la conversion reste partielle, car elle ne concerne que le stade intermédiaire de la transformation de «yellowcake» en tétrafluorure d’uranium (UF 4).
Le cycle de production dans son ensemble, incluant le processus d’«épuration» d’UF 4 en UF 6, devrait reprendre «d’ici à mercredi», estime Mohammad Saïdi. Date à laquelle les inspecteurs de l’AIEA, qui supervisent le redémarrage de l’usine, auront achevé de l’équiper en capteurs et caméras de vidéosurveillance. «Nous voulons savoir tout ce qui entre et tout ce qui sort d’Ispahan», explique Peter Graham Rickwood, le porte-parole de l’agence, à Vienne. Embarrassé, il rechigne pourtant à donner la raison pour laquelle l’AIEA a finalement accepté d’ôter elle-même les scellés apposés à Ispahan en novembre dernier. «S’ils veulent (les) retirer, qu’ils le fassent tout seuls», assurait-on catégoriquement à l’AIEA la semaine passée. L’image d’experts des Nations unies ôtant leurs propres scellés aurait donné une image déplorable de l’agence de Vienne, dont le travail d’investigation mené sur le terrain était loué par tous. Il a suffi de quelques jours pour que la donne change. «Nous allons nous en occuper, pour des raisons de continuité du contrôle», avance Peter Graham Rickwood, mal à l’aise. Inquiète des signes de faiblesse manifestés ces derniers jours par la diplomatie européenne et l’AIEA, l’opposition iranienne en exil est entrée hier dans la danse. Quelques heures avant une réunion à haut risque du «Board», le conseil des gouverneurs de l’AIEA, les Moudjahidins du peuple ont rendu public à Vienne un rapport adressé il y a un mois par le Conseil suprême de la sécurité nationale (CSSN) à l’ayatollah Ali Khamenei, le guide de la révolution. Ce texte conclut au «succès absolu» de l’Iran après deux ans de négociations avec l’Union européenne. Ce délai lui aurait permis de gagner du temps pour son programme nucléaire, de se préparer «militairement, politiquement, économiquement» à «une crise limitée» comme celle qui prévaut aujourd’hui. Le texte affirme aussi que les Européens, plus encore que les Iraniens, «ont intérêt à ce que les négociations se poursuivent». Enigmatique, il évoque enfin les «milliers de centrifugeuses» assemblées pendant les négociations, loin des regards. En trente mois d’inspections continues, les spécialistes de l’AIEA n’en ont découvert… que 164.