Opinion
Iran Focus, Londres, 29 octobre Cela faisait quelque temps que Téhéran navait été aussi irrité par lEurope et que les autorités fulminantes du ministère des Affaires étrangères navaient convoqué des ambassadeurs de lUE en un si bref laps de temps pour se répandre en injures contre des actions malveillantes » visant à « saper » le régime religieux.
Lagence de presse officielle iranienne a rapporté le 25 octobre que le ministère des Affaires étrangères avait convoqué les ambassadeurs de Belgique et de Finlande pour une deuxième protestation contre linvitation faite par le sénat belge à Maryam Radjavi, la femme qui dirige la coalition dopposition, le Conseil national de la Résistance iranienne.
Invitée par des sénateurs belges de divers partis politiques, Maryam Radjavi a été accueillie par la présidente de la Chambre haute de Belgique, Anne-Marie Lizin, avant de prononcer un discours très critique envers la politique de lUnion européenne vis-à-vis de Téhéran.
A lévidence cétait trop pour les autorités iraniennes, qui ont considéré laffaire comme une provocation et un geste inamical de la part de la Belgique. Dans une série de déclarations publiques, le gouvernement ultra du président Mahmoud Ahmadinejad sen est pris au deux poids, deux mesures de la politique de la Belgique et de lUnion européenne et na pas hésité à mettre en garde lEurope contre « les risques » de jouer « un jeu politique pareil » avec la théocratie.
Intervenant à un moment où lIran a lancé une offensive de charme pour diviser les Européens et les Etats-Unis sur son programme nucléaire, la réaction courroucée de Téhéran à la visite de Radjavi en Belgique a surpris de nombreux diplomates et observateurs. Les autorités officielles iraniennes doivent sûrement savoir que se faire les dents sur les ambassadeurs européens et lancer des tirades à peines voilées de menaces ne sera pas dune grande aide pour éviter des sanctions au Conseil de sécurité.
Mais lexpression de colère de Téhéran nest ni spontanée ni mal calculée. Derrière la fureur du ministère des Affaires étrangères se cache un stratagème délibéré des plus hautes autorités de la théocratie. Le but est de dissuader loccident, de la manière la plus efficace, dapporter son soutien aux figures et aux groupes de lopposition iranienne.
La logique derrière cette stratégie des mollahs est simple : des pression économiques et politiques de lextérieur et même des frappes militaires sans une invasion – pourraient causer un grand tort au gouvernement iranien mais ne pourrait menacer la mainmise des radicaux islamiques sur le pouvoir. Dans un pays où la population, jeune en majorité, est excédée par les lois intégristes islamiques et la montée des crises économiques et sociales, la « seule menace existentielle » pour le pouvoir des ayatollahs ne peut venir que des figures charismatiques de lopposition et de groupe dopposition organisés capables de canaliser limmense réservoir de mécontentement des Iraniens ordinaires.
Pour les ayatollahs, Maryam Radjavi représente exactement ce mélange très explosif de charisme et dorganisation. En tant que dirigeante, elle peut appeler de larges couches dIraniens, avant tout les femmes et les jeunes, alors que la coalition quelle dirige comprend les groupes doppositions les plus importants et les mieux organisés avec une présence établie en Iran et à la périphérie du pays.
Jusquà présent, les dirigeants religieux de lIran ont eu la haute main. Ils ont trouvé un grand allié dans lOccident : une complaisance initiale vis-à-vis de la menace de lislamisme radical et une préoccupation constante des intérêts économiques.
Finalement, Téhéran a été capable dengranger un coup politique majeur en mai 2002: il a convaincu lUE de taxer le plus grand groupe de la coalition de Radjavi, les Moudjahidine du peuple, dorganisation terroriste en retour de concessions économiques et géopolitiques de lIran.
La mesure est passée pratiquement inaperçue dans un monde de laprès 11 septembre préoccupé par le terrorisme islamique, linvasion de lAfghanistan dirigée par les Etats-Unis et la préoccupation dune guerre qui sannonçait en Irak. Mais il sagissait dune victoire politique précieuse pour la théocratie iranienne. Dun geste, les ayatollahs consolidaient leur sécurité chez eux en sapant leur ennemi juré et privaient loccident de son levier dinfluence le plus efficace sur lIran : le soutien à lopposition. Dune perspective occidentale, ce fut une des bourdes politiques les plus énormes de lEurope dans la région depuis la montée au pouvoir de lislam radical en Iran en 1979.
Avec les Etats-Unis ayant éliminé deux des principaux rivaux régionaux du régime iranien en Irak et en Afghanistan et avec lEurope qui entravait leurs principaux opposants, les ayatollahs ont vu se présenter une bonne occasion et ont sauté dessus. Cest ainsi qua commencé le processus qui a mené Téhéran à lintransigeance sur son programme nucléaire, sa vaste ingérence en Irak et son utilisation arrogante de pions régionaux comme le Hezbollah pour faire avancer ses ambitions. Le résultat cest que le Moyen-Orient traverse aujourdhui la phase la plus dangereuse de son histoire turbulente depuis la guerre israélo-arabe de 1973.
Il nexiste pas de solution facile pour des problèmes complexes qui ont rendu la situation au Moyen-Orient si périlleuse aujourdhui. Mais la recherche de grande solution doit commencer par des petits pas. Ce qui sest passé la semaine dernière en Belgique et la réaction courroucée de Téhéran doit conduire les gouvernements occidentaux à repenser sérieusement leur politique vis-à-vis des groupes dopposition iraniens. LEurope doit embrasser la cause de la démocratie et des droits de lhomme en Iran par des initiatives courageuses et soutenir les figures et les groupes de lopposition iranienne. De cette manière Téhéran recevra le bon signal. Il est temps que les ayatollahs sachent que leur talon dAchille nest plus un secret.