Lexpress.fr, 6 décembre – Propos recueillis par Marie Simon – Le rapport du renseignement américain sur le nucléaire iranien est « trop prudent », aux yeux de Bruno Tertrais, chercheur associé au CERI et auteur de Iran, la prochaine guerre (Le Cherche Midi). Il crée, selon lui, un climat politique « favorable » qui pourrait même inciter Téhéran à se doter de l’arme nucléaire plus rapidement.
Q- LIran est-il « disculpé » de toute ambition nucléaire militaire par ce rapport?
R – Ce rapport ne dit pas que lIran a abandonné cette ambition, attention! Il indique quun programme nucléaire militaire clandestin a été arrêté en 2003 mais ne donne aucune certitude sur ce qui sest passé depuis la mi-2007. Il nous apprend en revanche une chose très inquiétante: Téhéran a importé récemment de la matière fissile de qualité nucléaire. Cet élément est souvent passé à la trappe dans les commentaires, effectivement. Or il est très inquiétant, dautant que les renseignements américains ne reculent pas la date à laquelle lIran pourrait potentiellement avoir la bombe atomique. Ils parlaient de 2010 à 2015 et ont même évoqué la fin de lannée 2009.
Q – La menace dun Iran doté de larme nucléaire est donc réellement forte, malgré ce rapport que certains ont qualifié de rassurant?
R – On peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. Pour moi, cela ne fait aucun doute, la menace est réelle. Je pense que les agents américains ont péché par prudence: après avoir été trop pessimistes pour l’Irak, ils ont fait pencher la balance dans l’autre sens, au profit de l’Iran. Jai une estimation plus sévère que la leur car je pense que lIran pourrait avoir la bombe atomique dès fin 2008.
Q – Comment cela?
R – Cest un scénario extrême qui implique que les 3000 centrifugeuses iraniennes fonctionnent bien, jour et nuit, mais il est possible. Un autre scénario est encore plus envisageable selon moi. Dici fin 2008, lIran peut enrichir civilement de luranium, cest-à-dire obtenir un matériau enrichi à 3 ou 4%. Très tranquillement. Puis, une fois réalisée cette étape qui est la plus difficile, en quelques semaines, passer à un enrichissement à 90%, le seuil militaire. Je pense dailleurs que le rapport des renseignements américains pourrait accélérer les choses.
Q – Pourquoi Téhéran irait-il plus vite après ce rapport?
R – Parce que, médiatiquement parlant, lIran a marqué des points. Ce rapport apporte de leau à son moulin et crée une situation politique qui lui est favorable. Regardez aux Etats-Unis, le débat sur loption militaire contre Téhéran est gelé depuis le début de la semaine. Au passage, Bush est sans doute rassuré car cela lui évite de prendre une décision, la pression sur le dossier est relâchée. Et au niveau international, la menace de futures sanctions séloigne.
Les positions des grandes puissances semblaient toutefois se rapprocher récemment sur lopportunité de nouvelles sanctions.
Juste après la publication du rapport, la Chine et la Russie ont fait savoir que le temps nétait pas venu pour de nouvelles sanctions. Les efforts sont donc interrompus. Cest le paradoxe dans cette affaire. Car le rapport des renseignements américains souligne que la pression internationale a poussé lIran à arrêter son programme clandestin en 2003 et, dans le même temps, sape les efforts qui pourraient conduire à un nouveau train de sanctions. Ceci dit, la question du nucléaire militaire iranien risque, à mes yeux, de revenir sur le tapis dici un an.