Le Figaro, 18 décembre – A peine la synthèse des rapports des agences américaines de renseignements sur «les intentions et les capacités» nucléaires de lIran a-t-elle été connue que ce fut en Europe, et dans les rangs des colombes américaines, un soupir de soulagement. Puisque, sur les seize agences américaines, quatorze estimaient que le régime des mollahs avait suspendu depuis 2003 le processus dexploitation militaire de lenrichissement de luranium engagé par celui-ci en 2002, il devenait évident, aux yeux des adversaires de la politique de George Bush, que lOccident était de nouveau victime dune campagne dintoxication, comparable à celle des débuts du second conflit irakien, inspirée par les opposants iraniens de létranger au régime des mollahs, et exploitée par la Maison-Blanche.
Or le George Bush de fin de mandat, qui semble avoir compris les effets désastreux de son coup de pied dans la fourmilière irakienne, nest plus le même que celui qui tombait dans le piège tendu par Ben Laden le 11 septembre 2001, et qui fabriquait, pour frapper lIrak le mythe de la détention darmes de destruction massives par Saddam Hussein. LIran mi-théocratique et mi-démocratique daujourdhui, uni autour du chiisme, na rien à voir avec lIrak divisé entre sunnites et chiites, rendu exsangue par dix ans de guerre, puis autant dan¬nées de blocus, que le président américain na eu aucune peine à écraser.
Enfin, Ahmadinejad nest pas Saddam Hussein. Le dictateur irakien était un autocrate sangui¬naire, aux idées courtes, appuyé sur son armée, qui a ruiné son peuple et qui sest cru une vocation à entraîner derrière lui le monde arabe dans une politique agressive dont il navait pas les moyens.
Lilluminé de Téhéran est le modèle du dictateur populiste, qui impose le parallèle avec Hitler par le mélange de cynisme dans lannonce de sa fin le leadership du monde musulman au prix de la destruction dIsraël , et de rouerie dans les relations quil entretient à la fois avec les mol¬lahs, inquiets de son ambition, et avec le peuple, quil console de linflation et du chômage en lui redistribuant une partie de la rente du pétrole.
Le rapport synthétique des agences américaines reconnaît, du reste, que lIran a engagé une politique darmement nucléaire avant de paraître labandonner en 2003, et quAh- madinejad a pu la reprendre, depuis, comme il le proclame lui-même, tout en se félicitant de la sagesse des experts de Washington.
En somme, autant le Bush du premier mandat était irresponsable et dangereux, autant il est peu probable que celui daujourdhui, qui na plus quun an de mandat devant lui, prenne à légard de lIran une nouvelle décision unilatérale, en sengageant sans crier gare dans une série de frappes dont les conséquences sur la ¬stabilité des pays du Golfe et sur léconomie mondiale seraient incalculables. Mais autant, aussi, il est évident que le Saddam Hussein de laprès-2001 aurait pu et dû être neutralisé par le maintien dune simple politique de sanctions, accompagnée de négociations, autant il est clair quAhmadinejad, qui sest donné deux ans pour atteindre son but, correspondant à la date mystique du retour de limam caché, ne pourra être dissuadé que sil trouve en face de lui des alliés convaincus de sa capacité de nuire et prêts à prendre le risque dun conflit lo¬calisé pour éviter une guerre nucléaire.
Comme Raymond Aron lavait souligné dans son Clause¬witz, à propos de la crise de Cuba, la seule conclusion à laquelle conduise le rapport de synthèse des agences de renseignements américaines est le danger de raisonner par tout ou rien.
Si les faucons lemportent, la perspective dune nouvelle em¬prise des États-Unis dans la zone conduira la Russie et la Chine à se ranger au côté de lIran, aggravant ainsi les risques descalade : dès le lendemain de la publication du rapport américain, Poutine, difficilement rallié à la politique de sanctions, déclarait sans objet une nouvelle résolution de lONU, et relançait, en faveur du chantier de la centrale nucléaire de Bouchehr, dans le sud de lIran, une aide quil avait jusqualors interrompue.
Si les colombes lemportent, la transgression du traité de non-prolifération nucléaire par les autres pays de la zone, Turquie, Égypte, Arabie saoudite, en ré¬ponse à la menace dhégémonie chiite, créera une situation explosive et privera Israël de toute possibilité de dissuasion dans le cas dune agression conventionnelle massive. Les négociations sans condition avec lIran senliseront au même rythme que les négociations dAnnapolis entre Olmert et Abbas, cependant que se développera au Proche-Orient une nouvelle veillée darmes. Ceux qui, jusquà présent, comptaient sur léviction dAhmadinejad par le Conseil des gardiens ont le temps contre eux. Les rapports amé¬ricains en conviennent, lIran ¬possède, actuellement, tous les moyens davoir la bombe en 2009 sil le décide. Et rien nassure quil ne lait pas décidé.
La seule issue de ce dilemme est celle que propose la France : relancer lenquête de lAgence internationale de lénergie atomique, dirigée par M. ElBaradei, qui, jusquà présent, déclare navoir rien vu, et remobiliser lONU avec lappui de la Russie, de la Chine, de lInde et des pays sunnites. Le durcissement des sanctions est seul à pouvoir conjurer le péril dune guerre de civilisations.