Iran Focus
Neka (nord de lIran), Le 31 août Lorpheline de 16 ans pendue devant les habitants de cette ville côtière de la mer Caspienne le 15 août a souffert pendant des années de violences, dexploitation et de viols aux mains de sa famille, des autorités locales et dinconnus. Dans un pays où les filles sont les éléments les plus vulnérables de la société, personne ne lui est venu en aide.
Cest une image tragique qui ressort des dizaines dinterviews menées par le correspondant dIran Focus avec les camarades de classe dAtefeh Rajabi, ses amis, sa famille et ses voisins dans cette ville industrielle surpeuplée en bordure dune voie rapide reliant Téhéran au nord du pays.
La pendaison dAtefeh Radjabi a choqué les habitants de Neka dont les avis divergent sur ladolescente, mais qui condamnent tous le châtiment dont elle a été victime. Latmosphère est tendue et un lourd silence emplit les Chaikhanés [cafés ou littéralement « maisons de thés » »> enfumées où les hommes passent des heures à discuter paisiblement par groupes de trois ou quatre autour dun thé. Dans un mois dété comme celui daoût, les affaires devraient prospérer dans cette ville où des milliers de Téhéranais affluent sur les plages de sable de la Caspienne. Mais les clients aujourdhui ne sont pas des vacanciers.
« Il y a beaucoup détrangers qui viennent et on y est habitué », dit Akbar, un jeune commerçant qui vend toutes sortes de confitures citronnées. « Mais en ce moment, tout le monde pose des questions sur la jeune fille. Ils veulent savoir qui cétait et comment elle est morte. »
Londe de choc de lexécution dAtefeh sest propagée bien plus loin que la ville. Même dans un pays qui compte le plus grand nombre dexécutions au monde et qui exécute systématiquement des mineurs, les Iraniens ont été déroutés par le récit de la pendaison de cette adolescente de 16 ans. Le fait que le juge religieux lui ait lui-même mis la corde au cou et les lettres de « félicitations » du gouverneur de la ville lui rendant hommage pour sa « fermeté » nont fait quajouter au tourment et à la douleur que beaucoup ont ressentis.
Daprès son casier judiciaire, à seize ans Atefeh avait été condamnée cinq fois pour avoir eu des relations avec des hommes célibataires. A chaque fois elle avait fait de la prison et avait reçu cent coups de fouet. (Sous la loi iranienne, le châtiment pour avoir eu des relations avec un homme marié est bien plus lourd).
Le père dAtefeh est un toxicomane au chômage sans domicile fixe. Sa mère est morte quand elle était en bas âge et elle a été élevée par des grands parents octogénaires incapables de sen occuper.
« Elle a été violée par un de ses proches parents », confie Mina, une des rares filles à se dire amie dAtefeh. « Mais elle na jamais osé en parler à personne. Le dire aux profs ? Ils vous traiteraient de pute. Le dire à la police ? Ils vous enfermeraient pour vous violer. Vaut mieux la fermer. »
Des larmes coulent sur le visage de Mina qui se souvient de la vie tourmentée de son amie, mais bien de ces terribles expériences sont des faits quotidiens dans la vie des jeunes filles sous un régime théocratique rigide qui a institutionnalisé la misogynie, dans la loi et la pratique.
« Elle nous parlait parfois de ce que les agents de la police des murs islamiques lui ont fait quand elle était en prison. Elle en avait encore des cauchemars. Elle disait que la prison de Behchahr cétait lEnfer. »
Alidjan, un épicier du coin aux cheveux grisonnants, dit que de nombreux parents ne voulaient pas que leurs enfants fréquentent Atefeh, parce quils pensaient quelle aurait eu une mauvaise influence sur leurs gamines. »
« Qui pourrait le leur reprocher ? » dit-il, dans un long soupir. « Dans ce pays si vous êtes un homme et que vous allez en prison, vous pouvez oublier vos projets davenir. Alors, imaginez-vous quand une fille va en prison ! Elle navait plus despoir. »
« Je connaissais très bien cette fille et elle ne méritait pas ce quils lui ont fait », explique une institutrice dune cinquantaine dannées qui a eu Atefeh dans sa classe. « Elle était vivante, intelligente et bien sûr rebelle. Elle nacceptait linjustice de personne. Mais les autorités ici assimilent ces qualités dans une fille à de la prostitution. Ils voulaient donner une leçon à toutes les filles et à toutes les femmes. »
Hamid était un de ces pères du voisinage qui ne voulaient pas que ses deux filles fréquentent Atefeh, mais avec le recul, il se sent coupable de navoir rien fait pour aider lenfant.
« Je pense que lévénement le plus catastrophique dans sa vie a été la mort de sa mère , dit Hamid. Avant ça, cétait une fille normale. Sa mère était tout pour elle. Quand elle est morte, elle navait plus personne pour soccuper delle. »
Un pharmacien installé à quelques pas de la place de la gare, où Atefeh a été pendue, se souvient de sa dernière heure, si douloureuse. « Quand les agents de la sécurité lont amenée à la potence, jai senti une sueur glacée me couler le long du dos. Elle avait lair si jeune et si innocente, se tenant là au milieu de tous ces barbus en uniformes militaires. Le juge Rezai devait avoir une dent contre elle. Il lui a mis la corde au cou et la laissée se balancer pendant 45 minutes. Jai regardé autour de moi et tout le monde dans la foule pleurait et maudissait les mollahs pour faire ça à nos jeunes. »
Atefeh na pas eu davocat et sa condamnation à mort a été confirmée par la cour suprême qui est dominée par des mollahs intégristes. Hadji Rezaï, le juge religieux, a été rendu si furieux par linsolence dAtefeh durant le procès, quil a fait le voyage jusquà Téhéran pour convaincre les mollahs de la cour suprême de confirmer la peine de mort.
La vie tragiquement éphémère dAtefeh Rajabi et sa fin brutale nous rappelle la souffrance de millions de jeunes filles dans un pays où, selon la presse officielle, 75% de la population vit sous le seuil de pauvreté, 66% des femmes sont victimes de violences domestiques, et plus de 70% des femmes souffrent à divers degrés de dépression. LIran reste, pour reprendre les termes du rapporteur des droits de lhomme de lONU Maurice Copithorne, « une prison pour femmes ».