Intelligence ReportsTerrorismeL’Iran, Al-Qaïda et... Dostoïevski

L’Iran, Al-Qaïda et… Dostoïevski

-

Temoignage chretien: 9 decembre – Le philosophe iranien Dariush Sayegan évoque, sur France culture, l’influence de la révolution iranienne sur le terrorisme contemporain.

Propos recueilli par Luc Chatel

TC : Exilé de Téhéran en 1979, suite à la révolution islamique, vous vivez à nouveau en Iran depuis douze ans. Quelle influence exerce les religieux sur les Iraniens ?
Dariush Sayegan : Il y a, chez les jeunes, une désaffection totale pour la religion comme phénomène littéraliste, comme système global. Mais ils ne sont pas devenus antireligieux, à l’exception de quelques-uns, agnostiques. Une expression a été créée pour désigner ces derniers : ceux qui ont fui la religion.

Peuvent-ils exprimer publiquement leurs convictions ?
Non, ils risquent la peine capitale. L’Iran est une société complètement schizophrène. D’un côté, 75 % de la population qui a moins de 25 ans est fascinée par l’Amérique, symbole de l’Occident et la modernité. Ils expriment un besoin de changement, de réformes. De l’autre côté, il y a un régime non réformable. Cela ne peut que déboucher sur une crise. La seule issue pourrait venir de l’extérieur. Les Européens et les Américains ont trop longtemps oublié l’Iran. Ils n’ont pas réalisé que la révolution islamique a servi de modèle aux mouvements terroristes actuels.

Quel point commun entre Al-Qaïda et les ayatollahs iraniens ?
La révolution iranienne est un événement fondamental de la fin du xxe siècle. Elle a changé la face du monde, notamment en inventant les formes, les instruments du terrorisme contemporain. Elle a fait de la religion une idéologie de combat. L’Iran est un grand pays. Il est devenu un exemple pour les pays musulmans, comme Moscou autrefois pour les pays de l’Est. Il n’y avait jamais eu de gouvernement islamique avant cette révolution.

Cette idéologisation de la religion, comment s’est-elle construite ?
Les islamistes iraniens ont récupéré les terminologies marxistes. Ils se définissaient comme des combattants anti-occidentaux et anti-impérialistes. Des tribunaux révolutionnaires ont vu le jour. L’un des premiers slogans de la révolution disait : « On va jeter le royaume monarchique dans les poubelles de l’histoire ». C’était une phrase de Lénine. Le régime évoquait aussi une lutte des classes entre les laissés-pour-compte et les orgueilleux, ce qui revenait au conflit entre bourgeois et prolétaires. Le régime se présentait comme une troisième voie. Un slogan disait : « ni l’Est, ni l’Ouest : une république islamiste ». Cette troisième voie était tellement attirante que beaucoup de gens se sont trompés. Même Michel Foucault avait cru y voir une sorte de nouvelle spiritualité politique.

Aujourd’hui, quelle est l’idéologie de mouvements terroristes comme Al-Qaïda ?
Ce n’est pas un phénomène islamique. Ces gens-là ressemblent davantage aux personnages de Dostoïevski dans Les Démons qu’aux terroristes ismaéliens du xiie siècle, dont les actions meurtrières avaient des objectifs très ciblés. Leur terrorisme n’était pas aveugle. Les membres d’Al-Qaïda veulent faire sauter toute la baraque. Ce sont des nihilistes modernes. Ils rejettent l’autre, et, à travers lui, les valeurs modernes, occidentales.

Ce rejet de l’autre ne risque-t-il pas de nous atteindre à notre tour, par réaction ?
Ce que je vois en Inde m’inquiète beaucoup. Il n’y a jamais eu, dans l’histoire de ce pays, de fondamentalisme hindou. L’Inde a toujours été un pays très accueillant, et l’hindouisme un immense éventail qui intégrait toutes sortes de croyances. Le fondamentalisme hindou que l’on voit naître aujourd’hui s’est créé en réponse au fondamentalisme musulman. Ce type de réactions dessine un monde très dangereux.
L’héritage d’Averroès
Spécialiste de l’Inde, professeur de philosophie comparée à l’université de Téhéran, Dariush Shayegan a publié des ouvrages de référence où il analyse les tensions entre tradition et modernité dans les civilisations orientales. Au risque d’être parfois provocateur, comme lorsqu’il publia en 2003 La lumière vient de l’occident (éditions de l’Aube). Aujourd’hui retraité, il se consacre aux voyages et à l’écriture. Il était invité, parmi d’autres intellectuels, aux 11e Rencontres d’Averroès à Marseille, fin octobre sur le thème : « Dieu, le monothéisme et le désenchantement du monde ». France culture diffuse de larges extraits de leurs interventions.

Radio libre, France culture, samedi 11 décembre, de 15h à 16h58.

7,062FansJ'aime
1,182SuiveursSuivre
0AbonnésS'abonner

Dernières nouvelles

Le Congrès américain soutien la quête du peuple iranien pour une République démocratique et laïque

Plusieurs membres bipartites de la Chambre des représentants des États-Unis ont présenté une résolution (H. RES. 100) soutenant le...

Une vague d’attaques par empoisonnement contre des écoles laisse des centaines de personnes malades

L'Iran est secoué depuis trois mois par des empoisonnements en série contre des écoles réservées aux filles, qui ont...

Iran – La fête du feu, veille du dernier mercredi de l’année, cauchemar pour la dictature

Tcharshanbé Soury est une ancienne tradition iranienne qui suscite l'inquiétude du régime iranien. La veille du dernier mercredi de...

Conférence de la Journée internationale de la femme en soutien à la lutte des femmes en Iran

Le 4 mars, une conférence a eu lieu en l'honneur de la journée internationale de la femme. Conférence intitulée...

Les démocrates devraient entendre la voix des Iraniens, pas celle des dictateurs

Le soulèvement national iranien se poursuit malgré ses hauts et ses bas. La disparition du système clérical ne semble...

Les Iraniens rejettent une supposée alternative monarchiste pour l’Iran

Par : Nader Nouri Malgré une répression féroce et plusieurs pendaisons, le mouvement de protestation pour le changement affiche une...

Doit lire

Iran – La fête du feu, veille du dernier mercredi de l’année, cauchemar pour la dictature

Tcharshanbé Soury est une ancienne tradition iranienne qui suscite...

Les démocrates devraient entendre la voix des Iraniens, pas celle des dictateurs

Le soulèvement national iranien se poursuit malgré ses hauts...

vous pourriez aussi aimer EN RELATION
Recommandé pour vous