Le Figaro, 22 novembre – Par Georges Malbrunot – Le président irakien, Jalal Talabani, est attendu ce week-end en Iran pour discuter du chaos dans son pays.
LIran a choisi de prendre les devants. À quelques semaines de la publication d’un important rapport américain, qui préconiserait l’ouverture d’un dialogue avec Téhéran et Damas pour stabiliser la situation en Irak, la République islamique veut être maîtresse de son agenda. Son président, Mahmoud Ahmadinejad, a décidé d’inviter ce week-end ses homologues irakien Jalal Talabani et syrien Bashar al-Assad. La présence de ce dernier n’est pas encore confirmée.
« Les Iraniens et leurs alliés Syriens veulent montrer qu’ils sont solidaires actuellement », affirme un expert des affaires iraniennes à Téhéran. « Qu’ils ont une vision commune de la situation en Irak et une approche commune pour trouver une solution au chaos à Bagdad. »
L’Iran et la Syrie sont régulièrement accusés de soutenir des groupes armés qui combattent les forces américaines en Irak. Jusqu’à présent, Georges Bush a toujours refusé d’associer l’Iran et la Syrie à la recherche d’une solution à Bagdad. Mais il pourrait changer d’avis, après les conclusions du rapport de James Baker, l’ancien secrétaire d’État, qui recommande au contraire de « parler aux ennemis » syrien et iranien, pour ramener un peu de calme en Irak.
Depuis l’invasion américaine de l’Irak, chacun à leur manière, Téhéran et Damas ont patiemment bâti une capacité de nuisance chez leur voisin, qu’ils n’entendent pas dilapider, sans contrepartie. Face au probable changement de cap américain, l’Iran et la Syrie tiennent désormais à montrer leur disponibilité à oeuvrer positivement sur le cours des choses dans l’ancienne Mésopotamie. « Les Iraniens comme les Syriens sont attachés à un Irak uni », ajoute l’expert à Téhéran. La crainte de voir la guerre civile déborder à leurs frontières inquiète Téhéran et Damas. Les deux alliés ne tiennent pas davantage à ce que certaines de leurs minorités suivent l’exemple des Kurdes irakiens pour réclamer leur indépendance. Mais la coopération irano-syrienne a un prix. « Les Américains doivent établir un calendrier de retrait de leurs troupes d’Irak », explique notre interlocuteur, qui ajoute : « L’Iran en effet veut que l’Irak redevienne un vrai État indépendant, sans bases américaines chez les Kurdes, faute de quoi personne ne sera prêt à aider les Américains à se sortir du bourbier. » Aux yeux des Iraniens, ce minisommet pourrait offrir une porte de sortie aux Américains, à condition que ceux-ci acceptent in fine « une discussion globale » sur les différends qui les opposent à Téhéran, du nucléaire au soutien aux islamistes palestiniens du Hamas.
Puissants relais iraniens en Irak
Des trois protagonistes, Téhéran est indiscutablement le mieux armé pour affronter une nouvelle donne régionale. La République islamique garde toute latitude pour continuer d’utiliser ses relais en Irak. Sans parler de son « levier d’action » sur le Hezbollah chiite libanais, résolu à faire tomber le « gouvernement proaméricain » à Beyrouth. Les Syriens, eux, font figure de maillon faible. « Quel est leur intérêt de faire un cadeau à un gouvernement irakien très affaibli ? », se demande un expert du dossier syrien. Accusé par la communauté internationale d’être derrière l’assassinat de l’ancien premier ministre libanais Rafic Hariri, le régime syrien veut sans doute desserrer l’étau autour de lui, et faciliter un dialogue avec les États-Unis. « Le marché irakien et le pétrole sont très importants également pour les Syriens », ajoute Kaïs al-Azaoui, journaliste irakien. « Mais les Syriens ne peuvent pas livrer les dirigeants baasistes à un gouvernement proaméricain », poursuit l’expert des affaires syriennes. Le voyage à Bagdad de leur ministre des Affaires étrangères Walid Mouallem, couronné par le rétablissement hier des relations diplomatiques avec l’Irak, s’inscrit dans ces velléités d’apaisement sur le dossier irakien.
Des intentions qui restent à se traduire en actes : chaque mois, entre 70 et 100 djihadistes passeraient la frontière syrienne pour aller combattre en Irak, selon des estimations américaines. L’assassinat hier à Beyrouth de Pierre Gémayel, imputé par de nombreux Libanais à la Syrie, vient déjà contredire la thèse d’une nouvelle posture syrienne. Ce qui n’étonnera pas tous les sceptiques habitués au double jeu syrien : calmer le front irakien tout en continuant la déstabilisation du Liban.
Quant aux responsables irakiens, leur marge de manoeuvre est faible face à Téhéran. Une précédente visite de Jalal Talabani avait été reportée le mois dernier. Mais les récentes déclarations de son premier ministre Nouri al-Maliki sur la volonté de Bagdad de garder dans le giron irakien la ville pétrolière de Kirkouk, réclamée par les Kurdes, ont apaisé Téhéran.