The New York Times, Washington, 28 novembre Par Michael R. Gordon et Dexter Filkins Un haut responsable du renseignement américain a déclaré lundi que le Hezbollah, soutenu par lIran, entraînait des membres de lArmée Mahdi, milice chiite irakienne dirigée par Moktada al-Sadr.
Il a ajouté quentre 1000 et 2000 combattants de lArmée Mahdi et dautres milices chiites avaient été formés par le Hezbollah au Liban. Un petit nombre dagents du Hezbollah sont également allés en Irak pour participer à cet entraînement, selon ce haut responsable.
Cest lIran qui a mis en place le lien entre le Hezbollah et les milices chiites en Irak, selon lui. Certains officiels syriens sont également impliqués, mais on ne sait pas sils ont la bénédiction des hauts dirigeants de Syrie.
Cette interview a lieu au moment où les débats font rage sur la question de savoir si les Etats-Unis doivent ou non demander laide de lIran dans le processus de stabilisation de lIrak. LIraq Study Group, dirigé par James A. Baker III, ancien secrétaire dEtat républicain, et Lee Hamilton, ancien député démocrate, devrait appeler à des négociations directes avec Téhéran.
Les allégations sur le rôle du Hezbollah dans lentraînement des milices chiites pourraient venir appuyer les arguments de ceux dans ladministration Bush qui sopposent à une nouvelle coopération diplomatique avec lIran.
La nouvelle opinion générale de lAmérique correspond à une déclaration faite cet été en Irak par un commandant de larmée Mahdi, qui a rapporté que sa milice avait envoyé 300 combattants au Liban soi-disant pour combattre aux côtés du Hezbollah. « Ce sont les combattants les mieux entraînés de lArmée Mahdi », a-t-il dit, sous couvert de lanonymat.
Ces allégations spécifiques sur le rôle de lIran vont bien au-delà de celles formulées publiquement par les hauts dirigeants américains, bien que le général Michael V. Hayden, directeur de lAgence centrale du renseignement, ait affirmé devant le Congrès ce mois-ci que « linfluence iranienne alimentait les violences » en Irak.
Les informations du renseignement américain sur le Hezbollah proviennent de sources humaines, de moyens de communication électroniques et dinterviews de détenus capturés en Irak.
Les dirigeants américains affirment que les Iraniens ont fourni également un soutien direct aux milices chiites en Irak, dont des explosifs et des détonateurs pour des bombes de bord de route, ainsi quun entraînement pour plusieurs milliers de combattants, principalement en Iran. Cet entraînement est mis en uvre par les Gardiens de la Révolution dIran et le ministère du Renseignement, disent-ils.
Dans une audience ce mois-ci au Congrès, le général Hayden a affirmé quil était sceptique au début quant aux informations concernant le rôle de lIran, mais quil avait changé davis après avoir examiné les rapports de renseignement.
« Je ladmets personnellement », a-t-il dit au cours de laudience, « je suis arrivée bien tard à cette conclusion mais je suis absolument persuadée maintenant de limpact négatif que les Iraniens ont sur la situation en Irak ».
Le lieutenant général Michael D. Maples, directeur de lAgence de renseignement de la défense, a fourni le même témoignage.
Ni le général Hayden ni même le général Maples nont évoqué le rôle du Hezbollah dans leurs témoignages.
Dans linterview de lundi, le haut responsable du renseignement a été sollicité pour fournir de plus amples détails sur le rôle présumé de lIran.
« Ils ont des liens avec le Hezbollah libanais et participent à lentraînement du Hezbollah en Irak, mais aussi des membres de Jaish al-Mahdi allant au Liban », a-t-il répondu en décrivant le rôle de lIran et en utilisant le nom arabe de lArmée Mahdi.
Il a ajouté que lentraînement du Hezbollah était réalisé grâce au savoir-faire de M. Sadr, ecclésiastique chiite très influent.
Bien que lIran veuille un Irak stable, a-t-il dit, il voit un avantage « à court terme dans une instabilité contrôlée » pour enliser larmée américaine et faire échouer les objectifs de ladministration Bush dans la région.
« Il semblerait quune décision stratégique ait été prise à un certain moment à la fin de lhiver ou au début du printemps par Damas, Téhéran ainsi que leurs partenaires au Hezbollah libanais, consistant à fournir plus daide à Sadr afin daccentuer la pression sur les USA », a affirmé le haut responsable du renseignement américain.
Certains experts du Moyen Orient étaient sceptiques à propos du rôle du Hezbollah dans les entraînements.
« Cela me semble un peu tiré par les cheveux », a affirmé Flynt Leverett, haut membre de la New America Foundation et expert du Moyen Orient ayant fait partie du Conseil de sécurité nationale. « Jai du mal à croire quil sagisse dune partie significative de ce que nous voyons sur le terrain chez ces différentes forces miliciennes chiites. »
Mais dautres spécialistes estiment que cette allégation est plausible. « Je pense que cest possible parce que le Hezbollah est le meilleur dans ce domaine et quil est en train de consolider sa position avec lIran, la Syrie et lIrak », a affirmé Judith Kipper, du Conseil des relations étrangères.
LArmée Mahdi et dautres miliciens sont partis pour le Liban par groupes de 15 et de 20, dont certains étaient présents pendant le combat entre le Hezbollah et Israël cet été, bien que rien nindique quils aient été envoyés sur le front, a déclaré le haut responsable du renseignement américain.
Lorsquon lui a demandé ce que les miliciens avaient appris, il a répondu : « La manipulation des armes, la fabrication de bombes, lespionnage, le meurtre, le savoir-faire technique ».
Certaines informations indiquent que lIran a fourni des machines-outils au Liban pouvant être utilisées pour des « attaques ciblées », des engins explosifs sophistiqués conçus pour percer les blindages, selon les hauts responsables américains. Mais on ne sait pas comment cet équipement a été utilisé.
Ceux-ci affirment que puisque les miliciens irakiens sont passés par le territoire syrien, au moins quelques dirigeants syriens sont complices. Des réunions auraient eu lieu également entre Imad Mugniyah, haut membre du Hezbollah, Ghassem Soleimani, des Gardiens de la Révolution iranienne, et des représentants syriens pour trouver un moyen daugmenter la pression sur les Etats-Unis en Irak.
Le commandant de larmée Mahdi, interviewé cet été, a affirmé que le groupe envoyé au Liban était baptisé Brigade Ali al-Hadi, du nom de lun des deux imams reposant à la mosquée Askariya à Samarra. Lattentat contre ce sanctuaire en février a déclenché la furie des milices chiites et attisé la violence sectaire.
Selon le commandant de larmée Mahdi, la brigade a été formée et envoyée sur place par un haut officier de la même armée connu sous le nom dAbu Mujtaba. Elle est partie en Syrie en bus en juillet et a ensuite traversé la frontière vers le Liban, a-t-il expliqué. Il a ajouté que les combattants venaient de Diwaniya et de Bassora, ainsi que des quartiers chiites Shoala et Sadr City de Bagdad.
« Ils voyagent comme des personnes normales dIrak vers la Syrie », a affirmé un des miliciens. « Une fois en Syrie, les combattants déjà sur place les accueillent. »
Certains hauts dirigeants américains sont préoccupés par le renforcement récent du rôle présumé de lIran, de la Syrie et du Hezbollah, hypothèse provenant du fait quune arme antitank RPG-29 a été utilisée contre un tank américain M-1 en Irak.
« La première que nous lavons vue, ce nétait pas en Irak », a déclaré le général John P. Abizaid, chef du Commandement central des Etats-Unis, à la presse en septembre. « Nous lavons vue au Liban. Donc pour moi, cela indique forcément un lien avec lIran. »
Des hauts responsables du renseignement américain ont affirmé que la source de cette arme nétait toujours pas déterminée.
Le général Abizaid a également dit quil était difficile de définir précisément les relations entre les factions armées au Moyen Orient, ajoutant : « Il existe des liens très clairs entre le Hezbollah qui entraîne des hommes en Iran qui seront ensuite envoyés au Liban et des hommes en Iran qui sont membres de groupes dissidents chiites qui pourraient agir contre nous en Irak. Ces liens existent, mais il est très, très difficile de les définir avec précision ».
Mark Mazzetti a contribué à la rédaction de cet article depuis Washington, et Hosham Hussein depuis Bagdad.