Le Monde, 9 février Par Corine Lesnes Où sont les preuves ? Echaudées par le précédent des armes de destruction massive de Saddam Hussein, la classe politique et la presse américaine réclament des détails sur les accusations d’ingérence portées par l’administration Bush contre l’Iran en Irak. Le gouvernement, qui avait promis fin janvier de publier un dossier établissant les faits, en a reporté la parution.
Devant la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, la secrétaire d’Etat, Condoleezza Rice, a une nouvelle fois été invitée à expliquer, mercredi 7 février, « pourquoi les Américains devraient faire confiance » au gouvernement lorsqu’il leur parle de la « menace croissante » que représente l’Iran. Elle a répété les mêmes arguments : les Iraniens soutiennent « les pires milices et escadrons de la mort » en Irak. Les militaires américains, « comme les Britanniques », ont découvert des engins explosifs puissants portant la marque de Téhéran. « Nous ne prévoyons ni ne préparons d’attaque contre l’Iran, a-t-elle assuré. Nous ne faisons que répondre aux actions iraniennes qui menacent notre sécurité nationale. »
Les premières accusations américaines datent de mars 2006, lorsque le ministre de la défense, Donald Rumsfeld, avait affirmé que les Gardiens de la révolution iraniens, et en particulier la brigade Al-Qods, assistaient des milices chiites en armes et explosifs.
En septembre, les accusations se sont faites plus précises. Le major général Richard Zahner, l’un des responsables du renseignement en Irak, a affirmé que les étiquettes sur les explosifs C-4 prouvaient qu’ils venaient de l’Iran, où ce type d’explosif n’est accessible qu’aux militaires. Le général Abizaid a, lui, évoqué des lance-grenades RPG-29 et des missiles chinois.
Le 31 janvier, le lieutenant général Odierno, qui commande la Force multinationale, a allongé la liste des armes venant d’Iran : lance-grenades, roquettes Katioucha… Les officiels ont aussi émis des soupçons sur la complicité de l’Iran dans l’attaque, le 20 janvier, d’un poste à Kerbala, où les assaillants se sont introduits grâce à de faux uniformes américains. Dimanche, la technique des faux uniformes a de nouveau été utilisée, mais c’est un diplomate iranien qui a été kidnappé. Téhéran a accusé les Etats-Unis.
L’administration avait promis, fin janvier, de publier les preuves de ses accusations. Mercredi, le porte-parole du département d’Etat, Sean McCormack, a appelé à la patience. Il a promis un dossier « clair, factuel et ciblé », et indiqué que le retard n’était « pas dû à un manque de faits » mais au souci qu’ont les responsables de « ne pas divulguer leurs sources ou leurs méthodes ». Selon le New York Times, le report n’est pas du fait des militaires mais des responsables politiques, qui estiment que le ton a assez monté.
Les antiguerre relèvent que l’administration s’en prend à l’Iran alors que la majorité des victimes américaines sont prises sous le feu des insurgés sunnites et non des milices chiites. Cette constatation leur fait dire que l’Iran est en train de devenir la justification de l' »escalade » en Irak. A un moment où les démocrates estiment que l’envoi de renforts n’est pas dans l’intérêt national, la « menace iranienne » apporterait la démonstration inverse. « L’échec des Irakiens sera imputé à l’Iran », craint Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller diplomatique de Jimmy Carter.