Iran and its NeighboursIrakLa stratégie américaine d'"étranglement" de l'Iran

La stratégie américaine d' »étranglement » de l’Iran

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Le Monde, 16 février – Par Corine Lesnes – Plus ils en parlent, moins on les croit. Tous les jours, les responsables américains affirment qu’il n’est pas question de bombarder l’Iran. « Pour la énième fois, a encore dit, jeudi 15 février, le secrétaire à la défense, Robert Gates, nous ne sommes pas à la recherche d’un prétexte pour entrer en guerre contre l’Iran. » Rien n’y fait. L’administration Bush est créditée de préparatifs secrets. Nancy Pelosi, la présidente démocrate de la Chambre des représentants, a encore lancé jeudi une mise en garde : le président n’a « pas l’autorité pour aller en Iran ».

Ce n’est pas la première fois que la fièvre monte à Washington. Les rumeurs sur une « solution militaire » coïncident généralement avec une échéance diplomatique importante. Le 23 février, le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Mohamed ElBaradei, doit présenter à l’ONU son rapport sur l’application de la résolution 1737, adoptée en décembre 2006, imposant des sanctions à l’encontre de l’Iran.

La température a également monté du fait des accusations portées quotidiennement par les responsables américains contre les « réseaux iraniens » en Irak. Le Pentagone assure qu’il n’est question que de défense, pas d’attaque, et que l’escalade verbale répond au souci de protéger la vie des soldats, menacée par les engins explosifs fabriqués en Iran. Mais si Washington a décidé de « s’affirmer activement en Irak », comme l’a confirmé Nicholas Burns, le numéro trois du département d’Etat en charge du dossier iranien, c’est aussi dans une perspective plus éloignée.

Quoi qu’ils en disent, les Américains préparent l’après-escalade : la phase de retrait d’Irak. Or ils n’entendent pas laisser le terrain à la frange dure du régime de Téhéran et claironnent leur intention de rester au Moyen-Orient. « Nous sommes dans le Golfe depuis 1949. Nous avons la responsabilité d’assurer la sécurité de nos amis », a déclaré récemment M. Burns. Dans un spectaculaire entretien au New York Times, l’ambassadeur iranien à Bagdad, Hassan Kazemi Qumi, lui a répondu, le 29 janvier, que les Iraniens étaient là, eux aussi, pour « aider », et qu’ils avaient l’intention d’étendre leur rôle et même d’implanter une succursale de la Banque nationale iranienne aux portes de la « Zone verte », à Bagdad…

Malgré les constantes références à la menace « grandissante » que représente l’Iran, la guerre n’est peut-être pas au programme, du moins « pas pour l’instant ». L’Iran n’est pas l’Irak. Début 2003, on sentait un appétit d’en découdre. Aujourd’hui, même les « faucons » n’évoquent l’idée d’une attaque contre l’Iran que comme « la pire des situations à l’exception d’un Iran nucléarisé ». Dans une conférence, mercredi, au Sénat, l’ancien néoconservateur Francis Fukuyama a même dit qu’il ne voulait pas « faire la même erreur que Jacques Chirac » et qu’il lui paraissait hors de question de se satisfaire d’une « solution qui reposerait sur la dissuasion ». Mais il sous-entendait qu’il faudrait peut-être en arriver là…

L’administration a développé une stratégie – l’étranglement – et elle commence à la trouver efficace. « On serre et on voit si ça fait mal », résume un officiel. Les Américains estiment qu’ils ont du temps. « Nous sommes convaincus que, tôt ou tard, le coût pour l’Iran de son isolement sera tel qu’il viendra à la table des négociations », a expliqué mercredi Nicholas Burns. La stratégie américaine pour « contenir l’Iran » est « multiforme », a-t-il déclaré lors d’une intervention à la Brookings Institution.

Après avoir hésité, compte tenu des trois mois et demi de pourparlers à l’automne 2006, l’administration a décidé de se réengager dans un cycle de négociations à l’ONU sur les suites à donner à l’adoption de sanctions en décembre. Onze pays seulement font l’objet de sanctions internationales, signale M. Burns. « La résolution 1737 a eu un impact majeur en Iran. Elle a déclenché un débat. »

Les Américains ont l’intention de resserrer l’étau en incluant dans la discussion le sort des combattants d’Al-Qaida qui ont été arrêtés en 2002 en Iran alors qu’ils fuyaient l’Afghanistan. Ces combattants sont en résidence surveillée mais les « durs » de l’administration les accusent de continuer à diriger des attaques. Selon le Washington Post, la Maison Blanche voudrait qu’ils soient mis en accusation quelque part et elle invoque le respect des résolutions antiterroristes de l’ONU pour forcer les Iraniens à les juger ou à les extrader.

L’administration Bush, enfin, a découvert un nouvel outil. Les sanctions financières. Celles-ci ne nécessitent pas de passer par l’ONU. « C’est très précis. On vise tel ou tel individu. On les applique, on les suspend. C’est comme de la chirurgie au laser », explique Matthew Levitt, l’ancien adjoint du chargé du renseignement au département du Trésor.

En vertu du Patriot Act, la loi antiterroriste, plusieurs institutions financières iraniennes ont eu l’interdiction d’utiliser le dollar pour leurs transactions ou de passer par des banques américaines. Les responsables américains sont allés dans les banques d’une quarantaine de pays pour leur présenter les inconvénients à travailler en Iran. Selon un expert financier, les institutions craignent des contrôles administratifs si elles ne coopèrent pas. « Nous ne formulons aucune menace, affirme Matthew Levitt. Nous leur disons : Est-ce que vous voulez que votre réputation soit associée à un régime comme celui-là ? »

Cette diplomatie financière a été appliquée contre la Corée du Nord, contre le Hamas palestinien, et Washington vient de l’étendre au Soudan. Affaiblis sur le plan politique et militaire, les Etats-Unis entendent utiliser la puissance qui reste entière : Wall Street.

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