Le Monde, 7 septembre – Par Corine Lesnes – Depuis des mois, la stratégie de l’administration Bush en Irak consiste à assurer la formation de la police et de l’armée irakiennes. Comme l’a répété le président américain, « au fur et à mesure que les Irakiens montent, nous diminuons ». L’état de préparation des Irakiens a fait l’objet de polémiques entre le Congrès et l’administration, mais, jusqu’ici, un large accord existait autour de l’objectif.
Mais une question iconoclaste commence à être entendue : pourquoi entraîner les forces irakiennes? Elle est posée par les partisans de la partition de l’Irak, par ceux qui préconisent un retrait militaire rapide et aussi par un certain nombre de vétérans, perturbés par le fait que l’armée américaine distribue désormais des armes dans des régions sunnites, jusque-là hostiles à la présence des GI.
Trois élus démocrates, membres du groupe Out of Irak, ont déposé, le 5 septembre, un projet de loi visant à cesser de financer l’entraînement des forces irakiennes. « Ce ne sont pas des forces de sécurité que nous entraînons, ce sont des factions. Comment être sûrs que nous ne mettons pas ces armes dans les mains de nos futurs ennemis? Dans le passé, Saddam Hussein et Oussama Ben Laden ont été soutenus par les Etats-Unis dans des circonstances très similaires », explique la représentante de Californie, Maxine Waters. « Nous ne sommes pas seulement en train d’armer un côté contre un autre, ajoute Lynn Woolsey, autre représentante démocrate de Californie. Nous armons les deux côtés contre nos propres troupes. »
Depuis 2003, le Pentagone a dépensé 20 milliards pour l’armement et l’entraînement des Irakiens. Un rapport officiel a estimé à 190 000 le nombre d’armes dont le Pentagone a perdu la trace. Début août, à Bagdad, la représentante démocrate de l’Illinois, Jan Schakowky, a demandé des explications au commandant des forces américaines, le général Petraeus. « Il n’a pas du tout apprécié, raconte-t-elle. Il a dit qu’elles n’étaient absolument pas perdues, qu’elles étaient allées à leurs destinataires, mais qu’il n’avait pas les papiers, c’est tout. » Pour Lawrence Korb, ex-secrétaire adjoint à la défense, certains Irakiens sont « mieux formés » que certains des jeunes Américains qui sont envoyés au combat. « Mais il y a un problème de motivation », critique-t-il.
Le général William Odom, ancien directeur de l’Agence nationale de renseignement (NSA), qui soutient aussi le projet de loi, comprend mal la politique du président Bush. Il n’y a « pas d’exemple dans l’Histoire où des Etats stables aient été créés en disséminant des armes et le pouvoir aux groupes locaux, souligne-t-il. Les sunnites qui acceptent de combattre Al-Qaida aux côtés des Etats-Unis en échange d’armement le font, car ils n’ont aucune confiance dans le gouvernement central. En d’autres termes, nous armons les ennemis d’un gouvernement dont nous avons soutenu l’élection et la légitimité. »
Les partisans de cet amendement ont été confortés, jeudi 6 septembre, par les conclusions de la commission sur les forces de sécurité irakiennes, un groupe indépendant dirigé par le général James Jones, ancien commandant des forces alliées en Europe, et composé de 20 ex-officiers supérieurs. Selon cet organisme, les forces irakiennes ne seront pas capables d’assurer seules la sécurité en Irak avant « douze à dix-huit mois ». L’armée a fait des progrès et commence à « développer les infrastructures de base d’une capacité de défense nationale, mais la police est minée par les divisions confessionnelles et la corruption ». Forte de 26 000 membres, elle devrait être « démantelée », préconise la commission.