Le Monde, 29 septembre – Par Marie-Claude Decamps – Abdolfattah Soltani est encore un peu pâle – 219 jours de prison, dont plus de 40 en isolement total, laissent des traces – mais plus que jamais décidé à continuer son combat pour les droits de l’homme en Iran. Un combat de chaque jour, mené uniquement sur le terrain « légal », explique cet avocat réputé, proche collaborateur du Prix Nobel de la paix Shirin Ebadi. Aux yeux des autorités, il a eu le « tort » de défendre des cas sensibles. Entre autres, il a été l’avocat de la famille de Zarah Kazemi, la journaliste irano-canadienne morte sous les coups en prison en 2003, ou encore celui de plusieurs opposants.
Le choix de ses clients, défendus souvent sans honoraires, a, semble-t-il, irrité le gouvernement iranien. Arrêté en juillet 2005, Abdolfattah Soltani a été accusé d' »insultes envers le régime » et de « propagande ». Des accusations très vagues auxquelles a été ajoutée celle d' »espionnage ». Sous le coup d’une condamnation à cinq ans de prison, l’avocat, en liberté sous caution depuis le printemps, a fait appel. Mais de son passage dans la section spéciale 209 à la prison d’Evin, à Téhéran (« On n’existe plus, on n’a plus ni droits ni visites »), il tire des conclusions alarmantes sur un régime qui se « radicalise, dit-il, surtout vis-à-vis des intellectuels et des juristes ». Déjà, la mise en détention, pendant quatre mois, de l’essayiste Ramin Jahanbegloo, arrêté en mai, avait laissé craindre un nouveau durcissement. A présent, les autorités envisageraient une nouvelle disposition contre les intellectuels et les journalistes, passibles d’être accusés d' »espionnage » s’ils fréquentent trop les médias étrangers.
« Il n’y a pas de réelle violence, mais des pressions continues. La liberté de pensée est partout mise sous tutelle, même dans l’édition : il y a plus de 3 000 livres prêts à être publiés qui n’ont pas reçu l’autorisation. Une catastrophe pour les éditeurs ! », raconte le sociologue Jalai Pour.
L’université n’est pas épargnée. Chaque année, des centaines de jeunes diplômés préfèrent prendre le chemin de l’exil. En juin et juillet dernier, 45 professeurs « rebelles » ont même été contraints de prendre leur retraite anticipée. « Ils m’ont conseillé de ne plus parler aux étrangers sans autorisation et m’ont dit : « Toi aussi, tu perdras ton travail si tu continues » », confie un éminent religieux qui enseigne à l’université. Et cet homme courageux d’ajouter : « Ce n’est pas la prison qui m’effraie. J’en ai déjà fait dix-huit mois… C’est plutôt l’accident de voiture impromptu, un soir… Car cela aussi arrive en Iran. »