Le Figaro, 19 septembre – Propos recueillis par Alain Barluet et Renaud Girard – Bernard Kouchner a expliqué mercredi au Figaro la politique étrangère que la France mène au Moyen-Orient. Cette région explosive a été au centre de son entretien avec son homologue russe Sergueï Lavrov, mardi, et le sera encore lors de sa rencontre avec le secrétaire dÉtat américain, Condoleezza Rice, vendredi.
– LE FIGARO. Le directeur de lAgence internationale de lénergie atomique (AIEA) a critiqué votre emploi du mot «guerre». Êtes-vous prêt à accepter laccord quil a passé au mois daoût
– avec Téhéran ?
– Bernard KOUCHNER. Je suis prêt à accepter cet accord et à donner le temps nécessaire au directeur de lAIEA pour aller sur place et vérifier quil est appliqué. Jai estime et respect pour M. ElBaradei. À la communauté internationale, je dis quon doit absolument laisser une chance supplémentaire pour quun accord puisse être trouvé entre lOccident et lIran, sur la base dune suspension du programme denrichissement duranium.
– La France devrait-elle jouer le rôle dintermédiaire entre lOccident et lIran ?
– Oui, cest notre intention. Jai été tellement mal compris quil est temps de rétablir lhonnêteté et la transparence de ma démarche. Nous ne sommes pas hostiles au dialogue avec les Iraniens, au contraire. Nous lavons toujours maintenu. Jai moi-même reçu à Paris Ali Larijani (président du Conseil de sécurité iranien, patron de la diplomatie et de la défense de lIran); à New York, jai rendez-vous avec mon homologue iranien; il ny a pas une semaine qui passe sans que je téléphone à M. Larijani. Nous disons à tous ceux qui ont mal interprété des mots pris hors de leur contexte que nous sommes prêts à continuer à dialoguer avec acharnement avec les Iraniens, sans craindre les échecs. Aucun échec ne nous fera renoncer au dialogue nécessaire. Mais ces discussions ne peuvent pas durer des années : il faut trouver une solution. Je ne veux surtout pas faire de procès dintention à lIran, mais certains observateurs estiment que laccord que lIran a passé avec lAIEA est une façon de gagner du temps. Tous les experts de la planète sont inquiets.
– Et les pays arabes ?
– Ils sont encore beaucoup plus inquiets que nous. Pour résumer, oui au dialogue permanent avec lIran. Oui aux efforts menés par lAIEA. Pendant ce temps-là, laissez-nous imaginer des sanctions ciblées, afin de persuader les Iraniens de notre sérieux. Je suis un partisan acharné du multilatéralisme. Mon vu le plus cher serait que ces sanctions passent par le Conseil de sécurité. Mais cela ne nous empêche pas de travailler à la préparation de sanctions ciblées avec nos partenaires européens.
– Seriez-vous prêt à vous rendre à Téhéran, si vous y étiez invité ?
– Oui.
– La France devrait-elle se positionner également comme intermédiaire sincère sur le conflit israélo-palestinien ?
– Merci davoir ajouté cette formule. Parce que si cest pour gêner des négociations qui ont lair de déboucher, peut-être, sur quelque chose, il ne serait pas bon de sen mêler. Depuis la création de lÉtat dIsraël, la France est à ses côtés. Nous sommes fermement décidés à continuer à nous battre, pour son existence bien sûr, mais aussi pour sa sécurité. Mais, en même temps, nous sommes les amis des Palestiniens. La France est lun des rares à pouvoir dire quelle est lamie des deux parties. La France est évidemment disponible pour faire avancer la paix. Aujourdhui, jai limpression quun espoir est né, car le courant passe entre Ehoud Olmert (premier ministre israélien) et Abou Mazen (président de lAutorité palestinienne). Le président de la République et moi sommes décidés à accompagner cette démarche et à participer à la Conférence internationale annoncée par Condi Rice (secrétaire dÉtat américain) pour novembre, si lon nous y invite.
– Quattendez-vous de cette Conférence ?
– Si nous pouvions déboucher sur une reconnaissance, même symbolique, dun État palestinien, nous serions heureux. Nous savons quil resterait beaucoup de questions pratiques à régler : frontières, démilitarisation, réfugiés, etc. Sur ces questions, il y a dailleurs déjà des plans qui existent, et qui peuvent servir de bases de départ.
– Votre préférence va-t-elle aux accords de Genève ?
– Romantiquement, intellectuellement, sentimentalement, oui. Politiquement, il faut être pragmatique : il faut prendre la réalité du terrain telle quelle est. Lavantage de la France, cest dêtre sentimentalement proche des gens, et dêtre reconnue comme telle. Et davoir fait preuve dobstination pour, depuis soixante ans, essayer de régler ce conflit.
– Au Liban, vos efforts pour un dialogue national sont-ils en passe de réussir ?
– Jétais à Beyrouth jeudi dernier. Je crois que nous avons un peu progressé, que lesprit de La Celle-Saint-Cloud (conférence où Kouchner avait réuni les représentants des 14 partis libanais en conflit, le 14 juillet dernier, NDLR) sétait mis à souffler. Le ciment était en train de prendre entre ces protagonistes très divers, qui furent très longtemps ennemis. Mais je viens dapprendre avec une très vive émotion, le terrible attentat qui vient dêtre commis contre le député Antoine Ghanem, que javais accueilli à La Celle-Saint-Cloud. La France est aux côtés du Liban face à cette politique de terreur. Ceux qui linspirent doivent savoir quils ne parviendront jamais à leurs fins. Alors quapproche léchéance de lélection présidentielle, lheure est au rassemblement de tous les Libanais. Le dialogue politique, auquel Antoine Ghanem avait contribué, reste la seule solution pour sortir de la crise.