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Les Iraniennes en pincent pour le foot

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Le Figaro, 11 juin – par Delphine Minoui – L’équipe nationale de football iranienne s’apprête à affronter celle du Mexique, à Nuremberg, en Allemagne. En République islamique, les matchs font partie des loisirs les plus prisés. Mais ils sont interdits à la gent féminine depuis 1979. Les Iraniennes ont pourtant appris à user de ruses pour défier les interdits.

«Mes chères soeurs, si vous voulez vous trémousser, c’est dans un club de danse qu’il faut aller !» La gardienne de la morale, en tchador noir, l’oeil braqué sur les gradins remplis de belles Persanes en furie, s’égosille à en perdre haleine. Rien à faire. Les cheveux recouverts de foulards et le visage peinturluré aux couleurs du drapeau iranien, voilà les spectatrices qui hurlent de plus belle, avant d’amorcer une vague pour fêter le but que vient de marquer Khosrowyar, la star locale du football féminin. Ce jour-là, elles ont envahi par centaines le petit stade Ararat pour venir assister à un match amical entre l’équipe féminine de la République islamique et les Berlinoises d’Aldersimspor. Une première en Iran, où les femmes sont strictement interdites de stade depuis l’arrivée des religieux au pouvoir, en 1979. «C’est vachement mieux qu’à la télé», remarque Shaghayegh Shah Hosseini, 14 ans, alias Footy Girl. Cette fan de l’AC Milan et du Français Zidane ne rate aucune rencontre diffusée sur le petit écran. Pour une fois, elle peut se laisser aller au plaisir des accolades, à la manière des supporters qu’elle a minutieusement observés à la télévision. Sous haute surveillance, l’événement reste limité aux femmes. Et rigueur islamique oblige, les footballeuses ont dû renoncer aux shorts moulants. Sur le terrain, asséché par la chaleur, l’ambiance est aux tee-shirts blancs et foulards noirs – pour l’équipe iranienne – contre tee-shirts rouges et foulards blancs – pour l’équipe allemande.

«C’est la première fois que je peux assister à un match, et cela, c’est une avancée. Mon rêve, bien sûr, c’est d’assister à un match disputé par des hommes. Il y a plus d’action. Mais ce n’est pas pour demain, car les autorités nous disent que les footballeurs y sont à moitié nus», confie Shaghayegh. Elle a pourtant failli crier victoire en avril quand, surprise, le président Ahmadinejad, tenant d’un islam pur et dur, se déclara favorable à la présence des femmes dans les stades. Las, les grands ayatollahs de la ville sainte de Qom crièrent au scandale, évoquant les risques du «mélange corrompu entre les deux sexes». Ali Khamenei, le guide religieux du régime, mit donc fin à la polémique en déclarant le projet caduc. «C’était avant tout un coup médiatique d’Ahmadinejad, relativise la militante féministe Mahboubeh Abbassgholizadeh. À l’heure où l’Iran se trouve sous la pression des Nations unies pour son programme nucléaire, c’était un moyen de renforcer sa popularité auprès d’une tranche de la société qui n’a pas voté pour lui.» Cette activiste de 47 ans ajoute : «C’est par la volonté des femmes, pas par des décisions politiques artificielles que le changement finira par se faire.» Cette volonté, les Iraniennes l’ont manifestée dès novembre 1997 quand, sous l’euphorie de la qualification de leur équipe pour la Coupe du monde 98, à l’issue du match contre l’Australie, plus de 5 000 d’entre elles défièrent, pour la première fois, des barrages de police à l’entrée du stade Âzâdi (Liberté), afin d’accueillir le retour des «héros».

Quelques mois plus tard, elles brisaient à nouveau le tabou de la ségrégation sexuelle en descendant dans les rues pour célébrer la victoire de l’Iran contre les Etats-Unis, sous le regard hébété des policiers. Depuis, elles n’ont jamais lâché prise. Casquettes sur la tête, pantalons à la gavroche, elles sont une petite dizaine à s’infiltrer régulièrement dans les stades, en se faisant passer pour des hommes. Parfois, elles parcourent des heures de route en bus, depuis des villes reculées de province, pour tenter leur chance. Leur fronde a inspiré le cinéaste iranien Jafar Panahi, qui en a fait le sujet de son dernier long métrage Offside. Filmée à travers les mailles de la censure, et récompensée cette année au Festival international de Berlin, son oeuvre dépeint les tribulations de cinq jeunes femmes passionnées de football. Le film sera bientôt à l’affiche en France. Rigueur oblige, il n’a pas obtenu l’autorisation d’être montré en Iran. «Je me suis toujours penché sur les limites imposées aux femmes», déclare le réalisateur.

L’idée du film lui est venue le jour où, assis dans les gradins du stade Âzâdi, il reconnut sa propre fille, 18 ans, cheveux courts et chemise large, qui était parvenue à se glisser parmi les hommes. Le petit jeu n’est pas sans risque. Il est arrivé que les spectatrices rebelles payent durement leur fronde. Mahboubeh Abbassgholizadeh en sait quelque chose. Le match Iran-Bahreïn du 8 juin 2005 – dont s’est inspiré Panahi pour planter son décor – lui a valu une jambe cassée. Il y a un an, jour pour jour, Mahboubeh et d’autres s’étaient rassemblées par dizaines, billets en poche, devant une des grilles du stade Âzâdi, pour bloquer l’entrée des autres spectateurs tant que la police leur interdirait l’accès au match. Sur leurs banderoles, on pouvait lire : «Liberté, égalité, justice sexuelle.» «Notre objectif était de protester contre les paradoxes d’une interdiction qui n’a aucun fondement, se souvient Mahboubeh. Aucune loi écrite n’interdit aux Iraniennes d’assister aux matchs. Et pourquoi empêcher les femmes d’entrer dans les stades pour assister à un match qu’elles regardent, de toute façon, sur le petit écran ?» Les gardiens du lieu menacèrent de frapper si les femmes ne se dispersaient pas. Prise en sandwich entre la grille et la police, Mahboubeh se coinça une cheville.

«Ça en valait tout de même la peine», sourit-elle aujourd’hui. Attaqués par une pluie d’insultes provoquées par l’accident, les policiers finirent, ce jour-là, par laisser passer les plus rebelles. Le soir même, Parastoo Dokouhaki, une des «blogueuses» en vogue à Téhéran, parlait de «victoire» sur son journal en ligne. «Comme l’a dit Mahboubeh, il s’agit d’un succès féminin contre un tabou stupide. Nous adressons nos félicitations à toutes les femmes qui militent en faveur de la liberté», nota-t-elle dans son compte rendu des événements, lu le soir même par de plus de 7 000 visiteurs. Depuis, c’est devenu un rituel : grâce aux flyers et messages sur Internet et téléphones mobiles, elles sont chaque fois plus nombreuses à se rassembler devant le stade Âzâdi pour revendiquer le droit d’accéder aux tribunes. Quitte à endurer les coups de matraque et l’humiliation d’être «déportées» par bus sur des terrains vagues, comme en mars dernier, lors du match Iran-Costa Rica. Une rencontre que les internautes ne se lassent pas d’évoquer. Cette rébellion par le ballon rond incite maintenant certaines spectatrices à pousser le vice jusqu’au bout, en faisant du football une de leurs pratiques sportives préférées. «C’est un de mes passe-temps favoris», souffle Shaghayegh, la jeune lycéenne, les yeux braqués sur le match féminin Téhéran-Berlin qui se déroule sous ses yeux. D’ailleurs, elle en ferait bien son métier, à l’instar de Niloufar Ardalan, une des prodiges du football iranien au féminin.

Cette profession a récemment été officialisée grâce aux efforts d’une autre Iranienne à poigne, Faezeh Hachemi, fille de l’ancien président Rafsandjani. Après avoir bataillé pour que les femmes s’adonnent aux joies de la bicyclette, c’est elle qui est à l’origine de la création de la première équipe nationale féminine de foot. Soudain, des cris de joie viennent étouffer les rappels à l’ordre du cerbère en tchador noir. Sur la pelouse du stade Ararat, Persanes et Berlinoises viennent de faire match nul (2-2). Pour les Iraniennes, c’est un pas en avant dans le combat pour reconquérir des droits bafoués depuis la révolution. «Le foot féminin a de beaux jours devant lui», sourit l’entraîneuse, jubilant de bonheur.

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