Marzieh, une voix contre les mollahs
Le Soir, 24 novembre 1997 – Par BAUDOUIN LOOS – J’ai chanté pour les étoiles, les montagnes, les rivières et les oiseaux, parce que la nature comprenait mieux que le régime. Mais je ne chanterai jamais pour les mollahs. La voix de Marzieh est pure, son regard noir : exilée volontaire depuis 1994, la légendaire chanteuse iranienne a décidé de mettre son art et son énergie au service d’une cause, la lutte contre la république des mollahs, ce régime qui lui avait imposé quinze années de silence.
De passage à Bruxelles, la semaine dernière à l’occasion d’un concert «Des voix pour la paix» organisé par Yehudi Menuhin, Marzieh nous a expliqué la nature de son combat. La révolution qui a abattu le shah en 1979 était parfaitement légitime, dit-elle. Mais le régime qui s’est alors installé sous la direction de l’ayatollah Khomeiny a rapidement montré son visage : celui de la répression, des exécutions, de l’exportation du terrorisme. En dix-neuf ans, ce régime s’est enrichi sans rien faire pour la population, les seules infrastructures qu’il a développées, ce sont l’armée et les cimetières.
Il y a pourtant du neuf en Iran : en mai, les Iraniens ont triomphalement élu un nouveau président Mohammed Khatami, qui a recueilli 69 % des voix, soit quelque vingt millions de suffrages, avec un programme moderniste et libéral. L’homme avait occupé le poste clé de ministre de la Culture et de l’Orientation islamique – gérant donc la censure et la propagande du régime – de 1982 à 1992, passant à l’époque pour relativement ouvert, ce qui lui coûta finalement sa place. Mais, pour celle qui fut la première artiste à chanter en direct à la radio iranienne, en 1948, l’élection de Khatami n’est qu’un leurre : Comme ministre, il inventa l’appareil de censure, il a cassé plusieurs plumes d’écrivains et brisé des carrières d’artistes, je le compare à Goebbels. Vous savez, un mollah reste un mollah. D’ailleurs, rien n’a changé : il y a eu 65 exécutions publiques ces trois derniers mois et la fatwa de mort contre Salman Rushdie n’a pas été annulée.
Le sérail iranien, il est vrai, comporte en son sein plusieurs centres de pouvoir et celui dévolu au président de la république apparaît moins influent que celui du Guide de la révolution, l’ayatollah Khamenei. Pour beaucoup d’observateurs, les conservateurs gardent ainsi sous contrôle les velléités libérales de Mohammed Khatami. Ne jugez pas selon les déclarations d’intentions, tranche Marzieh. Regardez plutôt les actes, ce qui vous montrera que ce régime n’a rien de modéré. Mais il est aux abois, il suffit de voir le chiffre de 80 % de la population qui vit sous le seuil de pauvreté, évalué par la Banque mondiale, pour s’en convaincre. Alors, oui, Khatami a été élu par le peuple, mais parce que celui-ci voulait empêcher l’élection du candidat conservateur, Ali-Akbar Nategh-Nouri, l’homme de Khamenei.
RÉSISTER
Pour beaucoup d’opposants, seule la résistance armée viendra à bout du régime. Marzieh a ainsi rejoint le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), qui dispose en Irak, non loin de la frontière iranienne, d’une véritable armée, entre 30.000 et 50.000 hommes et femmes bien armés, qui attendent le jour J pour attaquer. Mais comment battre une armée régulière beaucoup plus puissante ? La population, très mécontente, peut exploser à tout moment. Quant à nos forces, si elles étaient si peu fiables, pourquoi les mollahs les bombardent-ils souvent ?
Les Européens entretiennent depuis plusieurs années un «dialogue critique» avec l’Iran – une expression qui signifie «nous commerçons mais nous n’apprécions pas vos méthodes en matière de droits de l’homme et d’exportation du terrorisme». Sans surprise, Marzieh critique cette politique : Le CNRI a toujours condamné l’ambiguïté européenne. Faire prévaloir les intérêts économiques restera toujours une vision étriquée, qui ne profite qu’aux mollahs. Nous demandons deux choses : un boycott des armes vers l’Iran et un soutien actif à la résistance, ou au moins une neutralité dans le conflit qui nous oppose à ce régime anti-démocratique, anti-art, anti-femmes, anti-tout.
Marzieh sourit, s’excuse presque de son exaltation. Moi, dit-elle, je me bats avec comme arme ma voix.