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Législative en Iran – « Elections sans vainqueur, le perdant est la stabilité du régime » (Interview)

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Législative en Iran – « Elections sans vainqueur, le perdant est la stabilité du régime » (Interview)

 Deux mois après le premier tour, vendredi, s’est déroulé le deuxième tour des élections législatives. L’enjeu des élections du 29 avril, sont les 68 sièges sur 290 que compte l’assemblée du Conseil islamique (le Majlis).

Le scrutin s’est déroulé dans 21 provinces et 55 circonscriptions à travers le pays, notamment de grandes villes comme Tabriz (nord-ouest), Chiraz (sud) ou Ahvaz (sud-ouest) sous une tension parfois violente pendant la campagne.

Nous avons voulu savoir plus sur ces élections et ses enjeux en interrogeant Afchine Alavi, membre de la commission des affaires étrangères du Conseil national de la Résistance iranienne, principale force d’opposition.

Q. Comment analyser-vous les résultats des récentes élections en Iran ?

Ces élections ne sont pas dignes de ce nom, d’abord parce qu’aucune force d’opposition réelle ne peut y participer. C’est une sélection parmi les clans internes au pouvoir. Par ailleurs, la suppression massive par le Conseil des gardiens sous contrôle du Guide suprême, des figures du clan adverse qui furent écartées du scrutin, a fait perdre toute capacité à créer la surprise. Du coup, pour remplacer les candidats censurés sur des listes présentées par des proches de Rohani, on est allé repêcher des conservateurs bien affirmés ou des illustres inconnus, également inconnus dans leurs convictions !

Par conséquent, les élections qui se sont déroulées en Iran le 26 février et dont le deuxième tour vient de se dérouler deux mois plus tard n’ont pas de véritable vainqueur, mais ont un perdant : la stabilité du régime. On peut dire avec certitude qu’aucune tendance n’obtient une majorité absolue des 290 sièges. Le pouvoir au sein de l’assemblée des mollahs (le Majlis) s’émiette entre des factions périssables qui ne sont même pas des partis politiques : celle des ultra-conservateurs dit « fondamentalistes », des conservateurs, toujours pro-Khamenei, qui se présentent sous l’étiquette « indépendants », des soi-disant « réformateurs », et enfin ceux qui se font appeler « modérés » sans avoir la moindre apparence correspondant à la modération ; ces deux derniers se sont présentés sur une liste commune mais très contradictoire et tout autant volatile appelée «Espoir, Sérénité, Prospérité économique».

Certains médias occidentaux se sont empressés de saluer une victoire du gouvernement de Rohani. Mais la réalité est beaucoup plus complexe. L’absence de partis politiques fait que ces listes sont extrêmement poreuses et superficielles. Par ailleurs le régime étant fondé sur le principe du pouvoir absolu d’un Guide suprême, l’affaiblissement du clan et du statut du Guide ne bénéficie pas à une faction, mais déstabilise l’ensemble du système.

Le résultat est loin de bouleverser la donne politique au sein du Majlis, encore moins pour le pays. Le Majlis n’a jamais été déterminant dans le système de la « République islamique » compte tenu de la présence d’un Guide suprême au-dessus des lois et d’un Conseil des Gardiens capable de valider ou de rejeter les décisions de cette assemblée.

Q. Qu’en est-il de la participation ?

En ce qui concerne le premier tour, le régime a annoncé officiellement une participation de 33 millions sur les 55 millions d’électeurs soit 62% de participation. Pour le deuxième tour il y avait 17 millions d’électeurs potentiels mais la participation était moindre. Il est évident qu’en absence de contrôle international il est extrêmement difficile de valider ces chiffres avancé par un régime si peu fidèle à la vérité. Les mises en scènes habituelles et les queues formées devant certains bureaux médiatisés, du fait du nombre élevé au premier tour des noms à inscrire pour les deux assemblées – ce qui prenait pour chaque électeur plus d’une demi-heure à écrire les noms – ne trompent personne.

Mais les contradictions apparaissent très vite dans les détails. Par exemple le ministère de l’intérieur a compté dans ses chiffres 3,5 millions de bulletins blancs comme autant de participant. Les chiffres réels non publiés du ministère de l’intérieur inquiète sérieusement le régime avec environ plus de 40 millions d’abstention, les électeurs ont donc boudé le régime. Dans la capitale 20% d’électeurs ont seulement fait le déplacement. Le plus inquiétant pour les dirigeants de cette théocratie est que le taux d’abstention dans les quartiers pauvres de Téhéran a été plus important encore. Outre les militaires et fonctionnaires et tous ceux contraints à voter pour survivre, beaucoup de ceux qui ont participé ont affirmé de l’avoir fait pour barrer la route au Guide suprême, mais sans aucune illusion où sympathie pour Rohani.

Q. Peut-on quand même parler d’une percée des alliés de Rohani ?

A Téhéran aucun inscrit sur la liste proche de Khamenï n’a pu se faire élire. Le chef de liste des conservateurs, Gholam-Ali Hadad-Adel, un ancien président du Parlement, et par ailleurs beau-père du fils du Guide suprême, n’est arrivé qu’en 31eme position et a perdu son siège. Le Conseil des Gardiens ayant pris le soin d’éliminer de la compétition les figures de l’autre clan, par conséquent, le majlis se trouve sans tête pour les uns et pour les autres. Cette situation rend plus probable une autre présidence d’Ali Laridjani qui conservait déjà ce siège dans l’assemblée sortant.

Mais à Téhéran, sur la liste du camp de Rohani figuraient aussi des candidats plutôt compatibles avec le camp adverse. Certains de son clan ont expliqué n’avoir pas eu d’autre choix que de choisir « entre le moins mauvais et le pire ». Il faudrait rappeler que le comble du ridicule est que ceux qui se font passer pour modérés ou réformateur ont dû traverser les filets du Conseil des Gardiens. S’ils ont pu se présenter c’est qu’il n’existe aucun soupçon dans leurs allégeances au principe du Guide suprême et à la théocratie.

Q. En est-il de même pour l’Assemblée des experts ?

R. S’agissant de l’Assemblée des Experts, c’est encore le vote du moindre mal qui est intervenu. Résultat, certains ayatollah ultra conservateurs, notamment Mohammad Yazdi, ancien président de cette assemblée et Mohammad Taghi Mesbah Yazdi ont été battus alors qu’un rival du Guide suprême, l’ancien président Rasfandjani, a pu confortablement s’installer sur son siège. L’élection du futur président de cette assemblée pèsera lourdement dans le conflit que se livrent les factions. Un irréductible, Ahmad Janati, chef du Conseil des Gardiens, continuera à siéger dans cette assemblée et à diriger sa faction ultra-conservateur qui détient la majorité.

57 des 88 mollahs qui siègent appartiennent à l’assemblée sortant. Si le Guide suprême n’arrive pas à imposer le président qui préfère alors le système risque un grave danger. Le véritable enjeu reste bel et bien le choix que fera cette assemblée qui devrait trancher pour désigner le successeur de l’actuel Guide suprême après sa mort. La situation est bien plus périll
euse comparée à la mort de Khomeiny. La dispersion interne, les crises confrontées dans le pays et dans la région, rendent la situation incontrôlable en cas de mort du Guide.

Autre exemple de la porosité entre factions, la liste où figuraient Rohani et Rafsandjani comportait aussi les noms d’une quarantaine de personnes présentes également sur la liste des ultras. On peut citer à cet égard deux anciens ministres des Renseignements (VEVAK), Ghorban Ali Dorri Najafabadi et Mohammad Reyshahri. Alors qu’il était à la tête du sinistre VEVAK de 1997 à 2000, Najaf Abadi et ses services avaient trempé dans les assassinats à grande échelle de dissidents et d’intellectuels. Reychahri a, pour sa part, été mis en cause et sanctionné par l’Union Européenne en 2011 pour des motifs de « violations sérieuses des droits de l’Homme ».

Une autre figure notoire de la liste des réformateurs fut Ali Fallahian, lui aussi ministre des Renseignements de 1989 à 1997. Mis en cause par la justice suisse pour l’assassinat de Kazem Radjavi en 1990, il est visé par un mandat d’arrêt lancé en 1992 par la justice allemande pour l’attentat dans un restaurant berlinois qui avait entraîné la mort de quatre opposants kurdes iraniens. Il est également recherché par Interpol pour son implication dans l’attentat contre le centre juif d’AMIA à Buenos Aires en 1994. Il n’a toutefois pas pu siéger. Il faut donc se méfier des déclarations triomphalistes des uns et des autres et d’une réelle capacité de réforme, surtout que le Guide suprême, bien qu’affaibli, compte défendre son autorité.

Q. Comment va réagir le Guide suprême justement?

R. Deux mois après le premier tour, et plusieurs mois après l’exécution de l’accord sur le nucléaire, les tensions au sommet du régime affaiblissent la totalité tu système. Le Guide a continué à semer le trouble et verrouiller toute ouverture, en boostant un programme balistique controversé en violation de la résolution du Conseil de Sécurité, en encourageant les violations des droits de l’homme , en s’attaquant aux opposants – particulièrement en faisant bombarder le camp Liberty des Moudjahidine du peuple en Irak (le 29 octobre) – et en maintenant les efforts bellicistes dans la région.

Le gouvernement de Rohani qui a soutenu le programme balistique a brillé par son incapacité à passer outre les obstacles et reste fidèle aux principes qui paralysent le régime. Son budget 2016 démontre une lourde dépense au service des aventures guerrières et de l’exportation de l’extrémisme religieux. Résultat : le système fonce à grande vitesse vers une instabilité sociale et politique et une économie en faillite. La vulnérabilité du régime ne laisse pas trop de choix au Guide. Il craint de commettre l’erreur qui mettra le feu aux poudres : une insurrection populaire fatale. Le clan de Rafsandjani et de Rohani ne veulent pas voir non plus le régime s’effondrer. L’impasse demeure donc.

Q. La progression des femmes à l’Assemblée, avec au moins 14 quatorze femmes, est-elle significative ?

R. En ce qui concerne le Majlis, il y a en effet 5 femmes de plus par rapport à l’Assemblée sortante qui ne comportait que 9 femmes. Mais rien de plus. Le nombre de femmes entrées à l’Assemblée ne représente que moins de cinq pour cent des députés. Ce n’est pas une première, en 1996 il y avait déjà quatorze femmes députées. Les députées du régime doivent aussi faire allégeance au principe du Guide suprême pour être candidates ; elles approuvent donc les lois extrêmement misogynes du pouvoir et se trouvent sous la domination d’un parlement qui restera ultra machiste. Une des quatorze femmes ayant pu entrer au Majlis depuis Ispahan a été invalidée par le Conseil des Gardiens. Il ne reste plus que 13 femmes. Il est possible que quelques rares autres femmes entrent au Majlis au deuxième tour. Mais il n’y a pas de véritable changement à ce niveau.

Les mésaventures de Parvaneh Salahchouri en dit long sur la marge de manœuvre de ces femmes. Cette députée de Téhéran avait osé espérer, dans un entretien à une journaliste italienne, l’éventualité pour les femmes de choisir librement ou non de porter le hijab. Ses propos ont provoqué les foudres, et elle a dû rapidement se désengager de cette pensée outrageuse pour conserver son siège. Souvent, les femmes sont au Majlis pour apporter une caution aux lois les plus misogynes. C’est le cas de la députée sortante Fatemeh Alia, qui s’était opposée à ce que les filles puissent assister aux matchs masculins de volley. « La responsabilité de la femme est de prendre soin de son mari et de ses enfants », avait-elle déclaré. Comme je l’ai rappelé, le Majlis n’a jamais été un centre de décision majeur sous la théocratie en Iran. Là où les choses sérieuses sont censées se passer à la succession de l’actuel Guide, c’est à l’Assemblée des Experts, là, aucune femme n’a été admise.

Q. On entend souvent des « experts » dire que Rohani, qui a promis avant son élection en 2013 des progrès en matière de droits civils, compte s’en occuper après l’amélioration de la situation économique. Est-ce crédible ?

Une chose est sûre, Hassan Rohani est tout sauf un réformateur. Il est un homme du sérail, pendant trois décennies il fut l’une des figures sécuritaires clés du régime. Son objectif est de sauver coûte que coûte un système en faillite. Il est un partisan convaincu du « velayat-e faqih », principe directeur du régime et n’a pas l’intention de la remettre en cause.

Cet argument aligne des priorités qui ne sont pas contradictoires. L’évolution économique n’est pas en contradiction avec l’émancipation de la société, s’est même indispensable pour un système verrouillé par la répression et une population découragée par la corruption des militaires et du clergé qui dominent l’économie. Il faut le reconnaître, il s’agit de la pire excuse que l’on peut apporter à l’inaction et à la trahison de Rohani envers ses promesses. La croissance économique ne viendra pas sans la liberté. Il y a un rapport entre la montée en flèche des exécutions en Iran et la poursuite de la récession. Exemple: face aux mécontentements des travailleurs et des employés qui ont perdus leur emploi, Rohani a placé à la tête du ministère du travail l’un des directeurs les plus cruels du ministère des renseignements, Ali Rabiï. Il avoua avoir provoqué l’étouffement d’opposants en les faisant transporter vivant dans des cercueils ! Comment voulez-vous obtenir un apaisement social avec ces boureaux?

Q. Dernière question ; on avance souvent qu’un président en Iran n’est en fait qu’un premier ministre incapable de stopper les exécutions et que le Guide suprême nomme le pouvoir judiciaire.

C’est une fausse idée qui circule souvent dans les médias sans la maîtrise de ce qu’est la théocratie. Selon l’article 113 de la constitution de la « République islamique », le président de la République est le numéro deux du régime et est « responsable de l’application de la constitution ». Le Président des mollahs est également le chef du Conseil suprême de la sécurité nationale qui veille à l’application de la constitution par les trois pouvoirs. Par conséquent, Rohani est au-dessus du judiciaire et ne peut prétendre avoir aucun droit de regard sur les exécutions, qu’il a d’ailleurs approuvées comme étant «conformes aux ordres divins et aux lois du Majlis ». Si Rohani ne peut empêcher l’hémorragie des pendaisons alors on peut se demander quel est son pouvoir réel ? Ne serait-ce pas plus simple d’admettre qu’après toutes ces années passées dans les postes les plus sensibles du pouvoir, il est également convaincu que les exécutions et la répression sont indispensables à la survie du régime ?

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