Iran Focus, Machad, 3 juin Faezeh nous reçoit chez elle. Une petite maison dun quartier modeste de Machad, construit peu avant la révolution, Kouy-é-Tollab, aux rues droites différentes des ruelles tortueuses de la vieille ville. Cest un trois pièces cuisine qui abrite deux familles. Celle de Faezeh, avec son mari et ses deux enfants, et celle de son beau-frère semblable à la sienne. La cuisine est commune.
Les employés ne roulent pas sur lor en Iran, loin de là, et leurs journées ressemblent plutôt à un parcours du combattant pour trouver de quoi vivre. Faezeh nous fait asseoir sur le tapis et place devant nous assiettes, couteaux et salières. Au milieu, un saladier avec de petits concombres frais, délicieux en ce moment, mais surtout abordables. Pas dautres fruits, ils sont beaucoup trop chers.
« Ce net pas encore la saison des melons », fait-elle presque en sexcusant. Les melons de Machad, réputés pour leur douceur mielleuse, arrivent en septembre. Les Iraniens sont très friands de fruits qui, il est vrai, ont un goût et un parfum bien différent de ceux insipides des supermarchés européens.
Faezeh rajuste son foulard, et nous sert un thé au samovar électrique. Aujourdhui elle nest pas allée travailler à Astan Qods Razavi, la fondation du mausolée de lImam Reza, le huitième imam chiite, enterré à Machad. La capitale du Khorassan est aussi un centre de pèlerinage qui attire des millions de fidèles. Ils viennent implorer lImam Reza pour régler tous les problèmes de la terre, depuis la maladie à la stérilité, en passant par la réussite aux examens ou les problèmes financiers. Et lon compte bon nombre de miracles
Ce que lon compte aussi, cest la fortune fabuleuse de la fondation, des pièces et des billets déposés dans des troncs, ou des terres, des immeubles et même des entreprises léguées à la fondation. Il sagit donc dun étrange conglomérat, aussi étendu que riche et puissant, un des plus important du Moyen-Orient. A sa tête, le mollah Vaez Tabassi, également représentant du guide suprême, Khameneï, dans cette province de lest. Sa mauvaise réputation est à la mesure de son compte en banque.
Faezeh regarde les deux pans de son foulard. « Si seulement je pouvais ne porter que ça à la fondation ! Mais on nous oblige à avoir un tchador là-dessus, et je déteste ça. Cest chaud, lourd, encombrant, et je passe la moitié de mon temps à surveiller quil ne glisse pas, quun cheveu ne sorte pas du foulard qui est en dessous et qui métrangle tant il est serré. Jen ai assez de ces règles vestimentaires, jen ai assez de ces salaires de misère. »
Faezeh touche environ 150.000 toman par mois. Le kilo de viande est à 5000 tomans. On peut faire le calcul. « Il faut payer le loyer, les charges, la nourriture hors de prix, les études des enfants. On ne sen sort pas. » Son mari Abbas est professeur dans un lycée, « mais il travaille aussi dans un garage le soir ». On compte peu de gens qui naient pas deux emplois.
« Moi je vais aller voter. Jy suis obligée. Jai besoin dun tampon sur ma carte didentité, sinon jaurai de graves problèmes pour garder ma place. Mais je voterai blanc. Plein de gens vont faire comme moi. Il faut que ça sarrête !» souffle-t-elle
Si labstention semble la candidate favorite de ces élections, le vote blanc est juste derrière, pour la minorité qui devra se déplacer aux urnes. Les votes blancs avaient remporté un franc succès lors des dernières législatives.
« A la fondation, on sait tout sur la corruption de la direction. On sait bien que Vaez Tabassi et son fils Nasser ont détourné des sommes faramineuses. On nous jette des miettes en guise de salaire. Mais Tabassi, ce nest pas pour rien quon lappelle le Sultan du Khorassan ! »
« Oui, fait-elle en hochant la tête, il faut que ça sarrête. Et sils ne le font pas, cest la jeunesse qui sen chargera. »