Iran Focus : Téhéran, 29 septembre – Ils ont quitté leur village avant laube pour être au portail du complexe qui abrite le palais de justice de Téhéran avant son ouverture. Il y avait plus dune centaine de personnes ; tous des hommes, au visage tanné et aux grandes mains calleuses et rêches. Beaucoup semblaient jeunes, dautres dun certain âge et une poignée de vieillards.
Le groupe dhommes attendait impatiemment devant les portes. Ils étaient venus à la capitale dans lespoir de voir le chef de la justice layatollah Chahroudi pour lui faire part de leur plainte directement et on leur avait dit qu’aujourd’hui il ne tiendrait pas d’audience publique, et ne recevrait personne.
« Nous voulons le voir pour nous plaindre de la façon dont nous avons été traités par son juge religieux dans notre région », grognait Chahab, un robuste jeune au regard vif. « Il a condamné des dizaines dhommes du village à être fouettés en public, simplement parce quils utilisaient leau des puits pour arroser leurs terres. »
Pendant quon discutait, une rumeur a circulé comme quoi Chahab parlait à un journaliste, et beaucoup dhommes se sont attroupés autour de nous. Très vite une volée de commentaires et dinterjections a suivi, alors que les compagnons de Chahab essayaient de lui rappeler ce qu’il n’avait pas dit.
« Dis-lui sur Baba Abdollah », en a soufflé un à Chahab. D’autres ont regardé autour deux et ont laissé passé la frêle silhouette dun vieil homme pour quil vienne au centre de ce cercle humain qui lentourait à présent. Cétait Baba Abdollah.
« Jai 85 ans, dit-il, et tout son corps respirait la vieillesse. On ma jugé dans un tribunal qui a duré à peine quelques minutes. Et puis le mollah juge a dit « Soixante coups, 35 jours de prison » Quand je me suis mis à protester il a levé la main et il a ajouté : « donnez-lui une amende de 120.000 tomans ». Je me suis tu et ils mont emmené directement jusquà la place publique et mont donné 60 coups de fouet ». Ça lui a pris longtemps pour prononcer ces mots d’une voix brisée, presque inaudible, d’où perçait la douleur. Quand il s’est arrêté de parler, il a enlevé sa veste déchirée pour montrer les cicatrices sur son dos.
Pourquoi avait-il été jugé ?
« Ils nous ont dit quon utilisait illégalement leau des puits pour lirrigation. Le fait est que nous vivons de ce cette terre depuis lépoque de nos ancêtres, et nous utilisons l’eau des puits et des qanats. Aujourd’hui ces responsables nous en empêchent parce quils sont corrompus par les grands propriétaires terriens qui veulent leau pour eux seuls. »
La vieillesse de Baba Abdollah lui donne un courage que beaucoup dautres trouvent difficile darborer. Mais même ceux qui ont trop peur de parler, vous disent tranquillement que les choses vont mal au village de Tabartah, près de la ville de Farahan dans le centre de l’Iran.
Ces dernières semaines, le tribunal de Farahan sen est pris aux paysans de Tabartah, scellant leurs puits, les condamnant au fouet, les emprisonnant et leur donnant de lourdes amendes pour avoir utilisé illégalement leau du sous-sol. Le juge religieux de Farahan avait ordonné aux forces de lordre de faire appliquer ses ordres et de réprimer toute protestation des villageois. Les affrontements qui ont suivi et la répression violente ont courroucé les villageois, qui sont néanmoins restés méfiants. « Laissez-les faire ce quils veulent », a dit un homme en chemise kaki en pointant le doigt sur un garde en faction devant le portail. « Le bétail cest notre vie ? Nous sommes des paysans. Nous avons besoin deau. Ils peuvent aller se faire voir. »
Voilà deux autres vieux qui nous ont été amenés par les jeunes du village. Lun dentre eux était terriblement peiné. « Jai deux enfants handicapés. Ils mont collé une amende de 500.000 tomans et mont donné 60 coups de fouet. Pouvez-vous humilier plus que ça un homme de 60 ans? Mais il y a un Dieu et notre jour viendra. »
Lautre homme âgé à ses côtés a dit que son fils avait été tué dans la guerre contre lIrak. « Aujourdhui jai 72 ans, et au lieu de me montrer du respect, ils mont donné 60 coups de fouet en Public. Quest-ce que je dois faire? », a-t-il demandé dans un ton qui laissait percer autant de colère que de désespoir.