The New York Times, Auvers-sur-Oise, 24 septembre Maryam Radjavi, une femme aux grands yeux qui porte le titre de présidente élue du Conseil national de la résistance iranienne est désireuse de parler des dernières découvertes de ses espions : des tunnels dun kilomètre de long, assez larges pour permettre à des camions dy circuler, creusés dans les montagnes autour de Téhéran.
« Il y a au moins 14 à 15 tunnels de cette ampleur qui ont été construits en secret », dit-elle assise dans une salle de réception de couleur crème engoncée dans sa propriété. Elle suggère que les tunnels dissimulent des éléments du programme clandestin darmes nucléaires dont les Etats-Unis soupçonnent lexistence mais que les inspecteurs nont pas encore trouvé.
Il serait aisé de récuser Mme Radjavi comme une zélote politique servant ses propres intérêts en tailleur bleu vif avec un foulard et des chaussures assortis, si ce nest que son groupe a vu juste par le passé.
En août 2002, le groupe qui affirme compter des milliers de partisans basés en Irak, a annoncé que lIran poursuivait un programme secret denrichissement de luranium qui pouvait servir à la fabrication de la bombe atomique. Linformation sest avérée vraie et a conduit à la situation actuelle avec le programme de développement nucléaire de lIran. Les nombreuses révélations suivantes du groupe ont été soit moins significatives soit totalement fausses.
La ville indolente dAuvers-sur-Oise, à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Paris, est mieux connue pour avoir abrité les derniers mois de la vie de van Gogh. Les touristes américains et japonais déambulent le long de la rue principale, regardant les reproductions de ses tableaux en face des bâtiments quils représentent. Peu de touristes savent que la ville abrite désormais un groupe dopposition iranien proche dune secte, dont certains membres ont divorcé en signe de loyauté à la cause et dont le bras armé est sur la liste du département dEtat des organisations étrangères terroristes. La dévotion du groupe à Mme Radjavi est si extrême que des membres se sont immolés par le feu quand elle a été brièvement arrêtée par la police française il y a deux ans.
Mme Radjavi, 52 ans, aime les ensembles coordonnés de couleur qui mettent en valeur le bleu de ses yeux gris pâle et arbore un large sourire presque malicieux qui menace à tout moment déclater en rire. Elle a grandi à Téhéran dans une famille de fonctionnaires de classe moyenne descendant dun membre de la dynastie Qadjar, qui a régné en Iran pendant 125 ans avant le coup dEtat de Reza Khan en 1921, un officier de larmée, qui a conduit à son élection comme chah héréditaire quatre ans plus tard et à linstauration de la dynastie Pahlavi.
La famille était opposée au pouvoir des Pahlavi et Mme Radjavi raconte que son propre militantisme a commencé quand elle avait 22 ans après que sa sur, Narguesse, ait été tuée par la police secrète du chah. Mme Radjavi a rapidement rejoint les Moudjahidine Khalq, les combattants sacrés du peuple, une association détudiants de gauche formée en 1965 qui est devenue un des groupes dopposition les plus actifs au chah Mohammad Reza Pahlavi.
Mme Radjavi a monté progressivement les échelons des Moudjahidine, et après le renversement du chah en 1979, elle en a épousé un membre et a eu deux enfants. Mais la famille a fui en France après que le gouvernement islamique de layatollah Rouhollah Khomeiny se soit retourné contre les Moudjahidine en se mettant à en exécuter les membres. Mme Radjavi dit quune autre de ses surs, qui était enceinte de huit mois, a été tuée dans cette répression.
A Paris, Mme Radjavi a étroitement collaboré avec le dirigeant charismatique des Moudjahidine, Massoud Radjavi, dont la première femme, Achraf, avait aussi été tuée en Iran. La seconde épouse de M. Radjavi était la fille de Abolhassan Bani-Sadr, le président progressiste de lIran dans les premiers jours qui ont suivi la chute du chah. Son second mariage sest terminé après que lui et M. Bani-Sadr se soient séparés en exil. Mme Radjavi déclare que son propre mariage avec M. Radjavi, en 1985, était une démarche politique calculée.
« Ma responsabilité contre le régime des mollahs et contre Khomeiny ma conduite à la conclusion que je ne pouvais pas avoir la même relation maritale normale que dans une vie ordinaire », dit-elle. « Ce fut donc ma propre décision tout à fait politique ».
M. Radjavi a été expulsé de France en 1986 et sest rendu en Irak, où il a établi une base militaire baptisée du nom de sa première épouse. On la vu pour la dernière fois peu avant linvasion américaine et, selon les Moudjahidine, il se cacherait pour échapper aux escadrons de la mort iraniens. Mme Radjavi dira uniquement quelle est sûre quil est vivant. En attendant, cest elle qui en charge du groupe en exil.
Dans sa petite résidence touffue coincée entre le terrain de football municipal et la rivière de lOise, Mme Radjavi et environ une centaine de ses partisans nont quun seul objectif, celui de renverser la théocratie islamique à Téhéran et dy installer un gouvernement avec Mme Radjavi à la présidence jusquà la tenue des nouvelles élections. Aucune des réponses de Mme Radjavi ne sont brèves ou vont droit au but. Elle parle énormément à la manière de Castro, bien que son message soit restreint : son organisation a été injustement taxée de terroriste par les efforts malavisés de lOccident pour se rapprocher du gouvernement iranien, et que le seul espoir dopérer un changement effectif en Iran sans une guerre, est de soutenir son organisation et de lui laisser carte blanche.
Elle se présente comme le phare politique de lislam progressiste, lantithèse, comme elle le dit, des mollahs chiites intégristes au pouvoir en Iran. Mais la rigidité de son organisation et lextrême dévotion de ses membres a donné à lorganisation un aspect fanatique.
Son sourire prend un éclat dacier quand elle discute des divorces massifs ordonnés par la direction du groupe, qui ont brisé les familles du mouvement en 1989 et qui ont envoyé leurs enfants auprès de tuteurs à létranger. La politique a été de concentrer lénergie sur la cause au lieu des relations personnelles, dit-elle.
« A cause des circonstances, nos membres ne peuvent avoir un statut marital normal dans la vie comme tout le monde peut en avoir », ajoute Mme Radjavi, avançant que le mouvement est face à une ennemi « féroce » et que les partisans ne peuvent se permettre dêtre distraits.
Pour illustrer son argument, elle ouvre un livre épais rempli de photos de personnes dont elle dit quils étaient sympathisants du mouvement et qui ont été tués par le gouvernement iranien. Il y a 21 676 noms dans le livre, juste un sixième des « martyrs » de que son organisation dit compter.
« Chaque membre de ce mouvement croit sincèrement dans lobjectif de la démocratie et a fait des sacrifices pour cela », ajoute Mme Radjavi, le sourire qui ne varie point. « Je nappelle pas ça du fanatisme. »
Ce nest que sur le sujet des immolations de quelques membres quelle concède que la dévotion à la cause a parfois été mal dirigée. Après que la police lait arrêtée en juillet 2003 durant une enquête sur le groupe, plusieurs de ses partisans se sont immolés par le feu. Deux en sont mortes.
«Jai été extrêmement peinée par ces morts », dit-elle, mais elle en fait porter la responsabilité aux autorités françaises qui ne lont pas laissé parler aux manifestants qui sétaient rassemblés pour protester contre son arrestation. Elle dit que ses partisans pensaient quelle et les autres partisans allaient être déportés en Iran, « alors ils ont senti quil ny avait plus rien dautre à faire ».
De nombreux critiques disent que lorganisation est en grande partie rejetée en Iran pour avoir cherché refuge auprès du gouvernement de Saddam Hussein en Irak, mais Mme Radjavi dit que ce nest pas le cas. Elle dément que le mouvement ait jamais accepté une aide financière de lIrak ou quelle ait combattu les chiites irakiens et les Kurdes pour M. Hussein, comme le prétendent certains. Pour preuve de la viabilité constante de son organisation, elle cite les révélations du groupe sur les activités nucléaires secrètes de lIran.
« Cest le résultat dun mouvement de résistance ayant une base sociale très large et ayant des racines profondes et une présence dans tous les secteurs de la société iranienne », dit-elle, en sappuyant sur le dossier et en ouvrant les mains.
Le permis de séjour en France de Mme Radjavi expire en 2006. Son assistante dit quelle a reçu un statut de réfugiée politique permanent en France, ce qui na pas été confirmé par les autorités françaises. LIrak de son côté a inséré une clause dans son projet de constitution qui interdit lasile politique pour « ceux que lon accuse de crime internationaux ou terroriste », rendant le séjour futur du groupe là-bas incertain.
Mais Mme Radjavi continue de sourire.
« Je suis optimiste », dit-elle. « Ce ne sera peut-être pas pour ma génération, mais les mollahs finiront par partir. »