Nucléaire. Bush menace, les dirigeants de Téhéran se déchirent. La population ne croît pas à la guerre
Le Journal du Dimanche, 28 janvier par Karen Lajon – George Bush osera-t-il attaquer lIran ? Si les cercles autorisés et lintelligentsia américaine ne sont pas loin de le croire, à Téhéran, on a dautres préoccupations : profiter de la relative douceur hivernale le thermomètre avoisine les 10 °C , se préoccuper de son porte-monnaie désespérément vide pour nombre de personnes, et repenser à toutes ces promesses du candidat président Mahmoud Ahmadinejad, qui, au lendemain de son élection en 2005, assurait au peuple iranien un confort et un niveau de vie inégalés depuis la révolution islamique de 1979. « Ce sont les problèmes économiques qui intéressent avant tout la population, explique un journaliste à Téhéran. Les Iraniens saperçoivent que les promesses nont pas été tenues. Sans compter que la plupart des gens dans le pays ne savent même pas ce qui se passe dans le reste du monde. Alors, la politique étrangère de lIran, ils sen moquent. Ils ont bien compris que la question du nucléaire nest là que pour faire diversion et étouffer les problèmes intérieurs. »
« ICI, CEST LA DEBACLE ECONOMIQUE »
Et beaucoup de sinterroger désormais sur le comportement « curieux » de leur Président. « Il a donné une interview la semaine dernière à la télé, souligne ce commerçant du bazar (sud de la capitale) et cétait surréaliste. Il souriait bêtement et persistait à dire que ce nétait pas un problème en cas dattaque américaine, que le pays était prêt, que notre armée était puissante et que le peuple suivrait. » Rien nest moins sûr, à entendre encore les commentaires qui circulent dans les cafés ou dans les taxis. « Ici, cest la débâcle économique, et le gouvernement vient encore de donner de largent à la Palestine, à lAfghanistan et à lIrak, ce pays justement qui nous avait attaqués dans les années 1980. Nous, ce que lon veut, cest quil dépense ici, en Iran, pour les Iraniens. »
La classe politique iranienne, en revanche, prend la menace très au sérieux. Elle sen sert pour malmener le président iranien. Il y a quelques mois, lancien président Rafsandjani a mis sur pied le Centre de recherches stratégiques de conseil et de discernement, une sorte de think tank qui a coalisé les mécontents du régime, dont bon nombre de diplomates rappelés en Iran et des fonctionnaires limogés après la victoire dAhmadinejad. Le Centre a également recruté des experts en nucléaire. Ce sont eux qui critiquent le plus Ahmadinejad. Il y a huit mois, le Centre a osé organiser une conférence sur la question du nucléaire iranien, invitant au passage des spécialistes américains. Si la conférence na débouché sur rien de concret, limportant, cest que le gouvernement na pu en empêcher le déroulement.
Le 11 février prochain, lIran va célébrer en grande pompe le 28e anniversaire de la révolution islamique. Encore une occasion pour Ahmadinejad de montrer quil nentend pas céder dun pouce sur le nucléaire. Des fêtes dites « nucléaires », chants, lectures et autres cérémonies, auront dailleurs lieu un peu partout dans le pays, à compter du 1er février.
Alors même si la menace monte, les Iraniens ne semblent pas croire à cette démonstration de force verbale, et sen servent même dans leurs luttes politiques internes. Pourtant, Bush a prévenu, vendredi, que les Etats- Unis « stopperaient » quiconque sen prendrait aux soldats américains en Irak, réitérant ainsi sa volonté de contrer plus énergiquement les agissements des Iraniens chez leur voisin.
BUSH A ASSURE PRIVILEGIER LA « DIPLOMATIE »
Selon le quotidien The Washington Post, cette volonté se traduit depuis 2006 par lautorisation donnée par ladministration aux soldats de tuer ou de capturer les agents de renseignements iraniens ou les membres de larmée idéologique iranienne opérant en Irak. Toujours selon The Washington Post, il sagirait de contenir linfluence grandissante de la république islamique dans la région, et de forcer Téhéran à renoncer à ses activités nucléaires sensibles. Des informations quun haut responsable de ladministration Bush, sous couvert danonymat, a estimé vendredi un peu « survendues » mais quil na pas démenties formellement. Cependant, Bush lui-même a réfuté lidée que les Etats-Unis aient lintention dattaquer lIran et assuré privilégier la « diplomatie ». Un point de vue largement soutenu par le directeur général de lAIEA, Mohamed El-Baradeï, qui insistait vendredi à Davos, en Suisse, sur laspect « totalement contre-productif et catastrophique dune opération militaire contre lIran. Je suis persuadé que la seule manière de progresser dans le dossier iranien, cest le dialogue ».