Le Monde, 23 mars – Par Jacques Follorou – Le directeur général du pétrolier Total, Christophe de Margerie, a été mis en examen, jeudi 22 mars, par le juge d’instruction financier Philippe Courroye dans une affaire visant les activités de l’entreprise en Iran entre 1998 et 2003. Il est poursuivi, en sa qualité d’ex-directeur Moyen-Orient à l’époque des faits, des chefs de « corruption d’agents publics étrangers » et « abus de biens sociaux ».
Cette mesure, prise au terme de plus de 30 heures de garde à vue dans les locaux de la brigade de répression de la délinquance économique (BRDE), est assortie d’un contrôle judiciaire lui interdisant de rencontrer les personnalités étrangères, notamment la famille de l’ancien président iranien Hachemi Rafsandjani, qui apparaissent au cours des négociations du contrat signé en 1997. Ses déplacements et donc son activité professionnelle ne sont pas affectés par les termes de ce contrôle.
La justice est saisie, depuis le 18 décembre 2006, de soupçons « d’abus de biens sociaux » et de « corruption » commis dans le cadre du contrat gazier conclu avec la société pétrolière nationale iranienne (National Iranian Oil Company, NIOC) pour exploiter une partie du champ offshore de South Pars.
Le groupe aurait utilisé sa trésorerie à des fins contraires à son objet social dès 1998. De plus, des transferts de fonds suspects liés à ce contrat auraient perduré après 2000, date d’entrée en vigueur de la convention de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) réprimant la corruption dans le commerce international.
L’affaire doit beaucoup aux éléments découverts en 2003 par la justice norvégienne dans le cadre d’une vaste enquête, lancée par l’ex-juge Eva Joly devenue conseillère du gouvernement d’Oslo sur la compagnie pétrolière norvégienne Statoil. Ce groupe était soupçonné d’avoir versé 15,2 millions de dollars de pots-de-vin à l’entourage du fils du président Rafsandjani.
« Très choqué » Un an plus tôt, Statoil avait obtenu une part de l’exploitation de South Pars, l’un des plus grands champs pétroliers et gaziers du pays. D’autres groupes étrangers, dont le français Total, le russe Gazprom et le malaisien Petronas avaient aussi des licences d’exploitations du site.
Or, au cours de l’enquête norvégienne, des pièces étayant les soupçons de corruption ont été découvertes lors de perquisitions conduites à Londres notamment dans les bureaux d’un avocat iranien, Abbas Yazdi, réputé proche du fils Rafsandjani. Parmi ces éléments figurait un contrat signé par Total laissant entendre que le groupe pétrolier aurait versé des fonds afin d’obtenir la faveur de personnalités iraniennes et participé à un système de corruption.
M. Yazdi était aussi le directeur d’une succursale de la NIOC, partenaire de Statoil et de Total et contrôlait une société de conseil Horton Investment, basée dans les Caraïbes. Des contrats étaient signés entre les grandes compagnies pétrolières désireuses de travailler en Iran et Horton Investment. Statoil avait ainsi signé avec Horton un contrat de 11 ans assorti d’une commission de 15,2millions de dollars au fils Rafsandjani sur un compte ouvert au Crédit Suisse First Boston.
Dans le même esprit, Total, a versé 40 millions de dollars via une société de consultant, Baston Limited, qui, à son tour, reversait l’argent aux proches de M. Rafsandjani par l’intermédiaire d’une fondation présidée par son fils. Par ailleurs, la procédure française contient les déclarations d’un ancien dirigeant de Statoil interrogé par le service norvégien de lutte anticorruption décrivant le système mis en place avec l’Iran. Dans l’une de ses déclarations, il se déclare « très choqué par l’implication de Total dans ce système ».
L’entourage de M. Margerie indique, pour sa part, que son nom ne figure pas sur le contrat trouvé à Londres et qu’il ne faut pas confondre action de lobbying et corruption surtout lorsque ces fonds ne sont pas versés à des décideurs mais seulement à des intermédiaires. Joint par Le Monde, son avocat, Emmanuel Rosenfeld, ne conteste pas « la matérialité des faits mais l’analyse juridique qui en découle ». « Dans ce dossier, ajoute-t-il, rien ne dit que le droit iranien ne permettait pas ce genre de pratiques. » Interrogé mardi par Le Monde sur les investissements réalisés en Iran, M. de Margerie avait indiqué que son « groupe estimait que les accords passés, en 1997, sur le contrat gazier en Iran l’ont été dans le respect le plus total des lois applicables ».