Le Hezbollah se bat pour l’Iran
Sa démonstration de force est un test décisif pour la souveraineté du pays
Valeurs Actuelles, 17 mai – Par Frédéric Pons – La milice chiite veut conserver son statut dÉtat dans lÉtat. Aidée et utilisée par la Syrie et lIran, elle veut faire du Liban une république islamique.
Menacé de perdre quelques unes de ses incroyables prérogatives au sein de lÉtat libanais, le Hezbollah a réagi par ce quil sait le mieux faire : la guerre. Sa démonstration de force, entre le 7 et le 12 mai, à Beyrouth, puis sur dautres fronts (à Tripoli au nord et dans la montagne druze au centre), a confirmé ses capacités militaires et sa détermination. Au prix dune cinquantaine de morts en cinq jours de combats interlibanais. Les milices sunnites nont pas pesé lourd devant ses combattants aguerris, équipés dun armement adapté à la guérilla urbaine. Larmée libanaise elle-même sest abstenue dentrer dans la bataille, pour ne pas risquer sa fragile unité (les cadres de larmée sont pour la plupart sunnites ou chrétiens, la majorité de la troupe est chiite), alors que le pays est privé de président depuis le 24 novembre 2007, après léchec, cette semaine, de la dixneuvième tentative pour en élire un.
Le Hezbollah avait accrédité son aura de résistance nationale, au moins aux yeux dune partie de lopinion, en concentrant son activité militaire contre Israël. Ses activités politiques et sociales semblaient valider son projet de parti légaliste. Les moins naïfs rappelaient tout de même le grignotage de la souveraineté de lÉtat, à travers le maintien de sa milice armée et le quasi-statut dextraterritorialité arraché par le Hezbollah dans ses fiefs de la banlieue sud de Beyrouth et du sud du Liban, presque défendus aux représentants de lÉtat.
« Nous savons que les régions interdites aux forces légales de sécurité sont un grand réservoir de voitures piégées, qui peuvent être envoyées à tout moment en nimporte quel lieu », accusait le chef druze Walid Joumblatt, le 3 mai, en révélant ce que les services de renseignements, savaient depuis des années, sans oser le dire ouvertement : lexistence dun réseau autonome de télécommunications (100 000 lignes parallèles), monté par le Hezbollah avec laide dexperts iraniens, le contrôle quasi total de laéroport international de Beyrouth (le seul du pays), avec linstallation de caméras de vidéosurveillance braquées sur la piste 17 et le salon dhonneur, par où transitent les avions privés et les délégations officielles.
Le Hezbollah avait aussi obtenu un droit de regard sur tous les agents de laéroport, grâce au général Wafic Choucair, son responsable de la sécurité, leur homme de confiance. Le 3 mai, Joumblatt et la majorité parlementaire demandaient sa destitution, lexpulsion de Mohamed Reda Chibani, ambassadeur de lIran et linterdiction dIran Air sur Beyrouth.
«Nous nutiliserons pas les armes à lintérieur », avait promis Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah. Il na pas tenu parole : « Nous prenons les armes pour défendre nos armes », a-t-il expliqué cette semaine, menaçant le successeur éventuel de Choucair : « Tout autre serait un usurpateur. » Le Hezbollah a réagi dans la rue, au risque de faire éclater le pays dans une nouvelle conflagration communautaire. Depuis deux ans, les chrétiens et les sunnites les plus déterminés se réarment et les druzes se préparent à une guerre de siège dans le Chouf.
Le projet politico-religieux officiel du Hezbollah est connu depuis 1982 : la libération de la Palestine et la destruction de lÉtat dIsraël. Dans cette mission sacréequi alimente la guerre ouverte ou le terrorisme depuis un quart de siècle, le Hezbollah dispose de deux puissants parrains : la Syrie et lIran.
Les Syriens nont jamais reconnu lindépendance du Liban. Ils lont asservi avec plus ou moins de succès entre 1976 et avril 2005, avant den être chassés lors de la révolution patriotique qui suivit lassassinat de lancien premier ministre Rafic Hariri, le 14 février 2005. Depuis, la Syrie a réactivé ses réseaux, pour revenir au Liban. Dans ce jeu de mort où tous les coups sont permis (une quinzaine dassassinats de militants antisyriens ont été commis à Beyrouth depuis 2005), le Hezbollah est le premier de ses supplétifs, plus ou moins obéissant, mais lun des plus efficaces.
« LIran et la Syrie ont investi pendant un quart de siècle environ 30 milliards de dollars pour faire du Hezbollah le bras armé de lIran en Méditerranée », explique à Libération Antoine Basbous, le directeur de lObservatoire des pays arabes. Formée, équipée et entraînée par les gardiens de la révolution, la milice libanaise sest vu confier deux missions stratégiques.
Dabord, instaurer une république islamiste dominée par les chiites à louest de Téhéran. Dans le bras de fer religieux et culturel qui oppose les sunnites et les chiites depuis presque 1 500 ans, le Liban prend figure de modèle possible. Les textes du Hezbollah parlent dune islamisation exemplaire pour une société arabe. Ce rêve impérial chiite permettrait de prendre à revers le monde sunnite, qui sétend de Beyrouth à Bagdad, en passant par les monarchies pétrolières du Golfe, jugées impies et corrompues. La haine qui oppose les chiites aux sunnites annonce une guerre impitoyable au Liban.
Lautre objectif stratégique du Hezbollah et de son parrain iranien est dentretenir linsécurité sur la frontière israélienne, dêtre prêt à tirer des missiles dans la profondeur du territoire hébreu, sur ordre de Téhéran.Le Hezbollah doit pouvoir, à tout moment, ouvrir un nouveau front, dans le cadre de la confrontation entre lIran et la communauté internationale sur le programme nucléaire iranien.
« Les événements de ces derniers jours à Beyrouth sont une guerre civile pilotée par des intérêts étrangers, poursuit Antoine Basbous. Le Liban est une terre où il faut vaincre limpérialisme et le sionisme. Ce pays a été désigné comme un théâtre des opérations, comme une terre de djihad. » Le Liban et Israël sont ainsi considérés comme le champ daction dune bataille de substitution. Si lIran ne peut pas frapper les intérêts occidentaux directement, le Hezbollah le peut. Il la déjà fait dans le passé. Les contingents américains et français lont payé chèrement dans les années 1980. LHistoire peut se répéter.
Face à ce djihad, les Libanais et leurs amis, dont la France (qui entretient 2 000 casques bleus au sud du Liban), nont pas dautre choix que de renforcer la souveraineté du Liban. La prise de risque est importante, mais moins que linertie.Léditorialiste Issa Goraieb a posé clairement le dilemme dans lOrient-le Jour, le 9 mai : « Que sévisse lÉtat et il risque le naufrage dans un océan de violence. Quil laisse faire, il meurt aussi, mais à petit feu. »