Par Mohammad Amin*
L’accord nucléaire entre l’Iran et les 5+1 (JCPOA) vient de fêter son deuxième anniversaire en mi-juillet. Pour les compagnies françaises et tous les Européens qui lancent un regard intéressé vers le marché iranien, le grand point d’interrogation qui subsiste deux ans après la signature de cet accord, est de savoir si l’Iran avance bien vers une normalisation économique et politique ou non ?
La recherche des éléments de réponse à cette question nous confronte à des signaux contradictoires. Les volontés iranienne et européenne pour des investissements sur le marché de Téhéran se renforcent, alors que trois défis de taille sont là pour miner cette résolution : les tensions en Iran-même, au Moyen-Orient et dans les relations entre Téhéran et Washington.
Lundi, le Département d’État américain a bel et bien confirmé dans son rapport périodique présenté tous les 90 jours, que l’Iran a tenu à ses engagements vis-à-vis de l’accord de 2015. Mais le lendemain, les Département des Trésors américain a introduit 18 personnes et entités iraniennes dans sa liste des sanctions, pour leurs rôles dans l’élaboration du programme balistique de Téhéran. En même temps, le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad-Javad Zarif, vient de souligner que « Téhéran se réserve le droit de se retirer de l’accord nucléaire (JCPOA) ».
http://nationalinterest.org/feature/exclusive-irans-foreign-minister-warns-donald-trump-tehran-21565
Autres éléments contradictoires : le 3 juillet, le PDG de Total, Patrick Pouyanné, signe à Téhéran un accord gazier fructueux avec le ministère iranien du Pétrole, alors que le 19 juillet, des milieux proches du gouvernement iranien avancent la probabilité d’évincer le ministre du Pétrole, Bijan Namdar Zanganeh, qui est le défenseur le plus important de cet accord avec la firme française.
Alors que l’Iran rassure les Européens qu’elle restera fidèle à l’accord JCPOA, Hussein Fereydoun, le frère et proche conseiller du Président Hassan Rouhani, qui a été le personnage clé dans les négociations sur le nucléaire, est mise en examen et écroué. Bien qu’il soit libéré 24h plus tard, le 17 juillet, cet incident permet de mieux cerner la situation qui prévaut à Téhéran.
Connaissant les rouages de la théocratie iranienne, il n’y a pas l’ombre d’un doute que l’ordre de la mise en examen est venu directement du Guide suprême lui-même. Il s’agit des pressions qu’il est en train d’infliger à Rohani pour que celui-ci accorde la part de lion de son cabinet au Corps des Gardiens de la Révolution iraniens (CGRI / Pasdaran).
Avant cet évènement des Pasdaran en civil avaient attaqué Hassan Rohani lors d’une manifestation. Les médias proches du CGRI avaient diffusé le vidéo de cette agression, dans lequel on peut voir Rohani fuir vers son véhicule.
https://www.youtube.com/watch?v=PTW_twqMhTA
Il s’agissait déjà d’une première dans l’histoire de la théocratie en Iran. Ceci permet de constater que les tiraillements internes débordent des sphères du pouvoir vers la rue.
Depuis le lendemain des élections, Ali Khamenei a eu douze interventions publiques qui ont toutes eu pour cible privilégiée, Hassan Rohani.
Le 7 juillet, le Guide suprême ordonne aux « agents en civil », d’intervenir partout où ils constatent « des lacunes dans le pouvoir central », avec la méthode de « feu à volonté » !
http://www.leader.ir/fa/content/18444/
Les « agents en civil » sont les sbires à la solde du régime que le Guide suprême emploie pour passer au-delà de la loi, comme des descentes punitives dans les rues.
Cinq jours plus tard Khamenei lance une mise en garde contre une répétition des évènements de l’époque de la présidence de Bani Sadr.
http://www.leader.ir/fa/content/18516/
Celui-ci était le premier Président de la théocratie, démis de ses fonctions en 1981, par l’Ayatollah Ruhollah Khomeiny. L’allusion avait donc renforcé la probabilité d’évincer Rohani.
Ces pilonnages influencent les grands traits de la politique iranienne. Un grand point d’interrogation est de savoir si on se dirige vers une destitution de Hassan Rohani ?
Selon les articles 89 et 110 de la Constitution, le Majlis (Parlement) et la Haute Cour de la Justice ont tous deux habilité à évincer le Président de la République. Le Guide suprême peut également s’abstenir de confirmer le poste de présidence de Rohani.
http://rc.majlis.ir/fa/content/iran_constitution
Les circonstances actuelles ne facilitent pas cette destitution. Pour bon nombre d’observateurs de la politique iranienne, il s’agirait d’un suicide en bonne et due forme pour le régime.
Quoi qu’il en soit, on ne semble pas être au bout du tunnel d’une instabilité politique qui maintient l’économie iranienne dans la léthargie. Depuis la Présidentielle du 19 mai, la valeur moyenne des actions sur la Bourse de Téhéran connaît une baisse croissante. Sur la scène internationale, les compagnies hésitent d’investir en Iran.
La composition du cabinet de Rohani qui doit être annoncée dans les semaines à venir, et l’orientation de la nouvelle politique iranienne de la Maison Blanche, pourront mieux fixer le destin des échanges économiques avec l’Iran.
* Mohammad Amin, est chercheur associé à la Fondation d’Etudes pour le Moyen-Orient (FEMO). Il a écrit plusieurs ouvrages et essais sur la théocratie iranienne, les mutations de l’économie politique de l’Iran sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad et l’essor de l’intégrisme islamique au Moyen-Orient. Co-auteur de « Où va l’Iran », Éditions Autrement, 15 mai 2017.