Le Monde, 13 avril – Par Laurent Zecchini – L’annonce, mardi 11 avril, par les responsables iraniens, de l’expérimentation réussie d’une unité de 164 centrifugeuses destinées à enrichir l’uranium constitue une étape importante dans le long processus pouvant déboucher sur la fabrication d’une arme nucléaire. L’Iran, a précisé le chef du Conseil national de sécurité, Ali Akbar Hachémi Rafsandjani, « a fait fonctionner sa première cascade de 164 centrifugeuses, a introduit du gaz (hexafluorure d’uranium, UF-6) et a réussi à obtenir une production industrielle » d’uranium enrichi, à l’usine-pilote de Natanz.
Cette opération consiste à faire tourner des centrifugeuses à grande vitesse, ce qui sépare l’hexafluorure d’uranium 235 (qui va devenir un combustible nucléaire plus ou moins enrichi) de l’hexafluorure d’uranium 238, qui est rejeté à la périphérie.
Si ces affirmations sont confirmées, estime Bruno Tertrais, spécialiste des questions nucléaires à la Fondation pour la recherche stratégique, « les Iraniens ont franchi une étape tout à fait essentielle ». Celle-ci, depuis que l’Iran, en août 2005, a repris la production d’UF-6 dans l’usine d’Ispahan, était attendue, mais à une date plus lointaine. Fin février, une seule des six cascades de 164 centrifugeuses prévues à Natanz était prête à fonctionner. On savait que, depuis le début de l’année, l’Iran avait produit environ 85 tonnes d’UF-6 à Ispahan, ce qui – théoriquement -, permettrait de produire environ 280 kg d’uranium hautement enrichi (UHE).
Les responsables iraniens ont indiqué, mardi, avoir enrichi de l’uranium à hauteur de 3,5 %, ce qui correspond à du combustible utilisable dans une centrale nucléaire. Pour atteindre la qualité nécessaire au combustible militaire, l’uranium doit être enrichi jusqu’à 90 %. Des centrifugeuses qui fonctionnent normalement (ce qui est loin d’être acquis, car les ruptures des rotors sont fréquentes) peuvent progressivement enrichir l’uranium jusqu’à la qualité militaire, à condition qu’elles soient en nombre suffisant.
Si l’Iran a réussi à faire fonctionner une première cascade de 164 centrifugeuses, il ne faudrait sans doute pas plus de six à douze mois (si tout se passe bien), pour que les six cascades prévues à Natanz puissent fonctionner, et sans doute le même délai pour qu’elles soient testées. Ces 984 centrifugeuses auraient alors la capacité de produire environ 100 kg d’UHE par an. Pour produire une seule bombe, 20 kg d’UHE sont nécessaires, mais un délai supplémentaire de dix-huit à vingt-quatre mois paraît indispensable.
En admettant que la bombe soit alors techniquement prête, reste la mise au point du vecteur capable de la lancer. Les Iraniens travaillent sur l’adaptation de leur missile balistique Shahab-3 M (dont la portée est de 1 400 km) en missile nucléaire, mais rien ne dit qu’ils aient maîtrisé le processus de l’usinage de l’uranium métallique. Dans le meilleur des cas, l’Iran ne serait donc pas en mesure de mettre en oeuvre une bombe nucléaire avant fin 2008, début 2009. Sauf que ses scientifiques semblent progresser plus vite que prévu…