Le Figaro, Vienne, 3 mars – Un zeste de mauvaise volonté et beaucoup de bluff : pressé de toutes parts de renoncer à ses velléités nucléaires, l’Iran renâcle toujours à coopérer pleinement avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui, depuis deux ans, enquête sur un programme aux finalités civiles ou militaires mal établies.
En refusant une nouvelle visite du site militaire de Parchine aux inspecteurs de l’AIEA et en réaffirmant haut et fort vouloir reprendre ses activités d’enrichissement de l’uranium, Téhéran manifeste à nouveau son refus de céder aux pressions impérieuses de l’Union européenne et des Etats-Unis d’abandonner la maîtrise totale du cycle nucléaire. Au risque d’attiser le courroux de ses interlocuteurs occidentaux, déjà passablement échaudés par dix-huit mois de joutes diplomatiques.
Lundi, le directeur-général de l’AIEA, Mohammed ElBaradei, inaugurant la session de printemps du Conseil des gouverneurs, l’organe exécutif de l’agence, exhortait Téhéran à coopérer pleinement, afin de «boucler ce dossier au plus vite». C’est-à-dire avant le début de la conférence de révision du traité de non-prolifération en mai à New York, sur laquelle un désaveu dans l’affaire iranienne aurait un effet dévastateur.
Le dossier, pourtant, est loin d’être «bouclé». Mardi, Pierre Goldschmidt, directeur adjoint pour les garanties de l’AIEA, faisait le point des manquements iraniens vis-à-vis de leurs engagements au titre du traité de non-prolifération : Téhéran aurait tardé à informer l’agence de la construction de tunnels de stockage nucléaire sur le site d’Ispahan (centre), refusé de répondre aux questions sur un autre site suspect, Lavizan, aujourd’hui désaffecté, et continué la poursuite d’activités de conversion d’uranium jusqu’à la veille de la suspension de l’enrichissement, le 14 novembre dernier.
Plus grave, l’Iran poursuivrait, contre l’avis de l’ONU, la construction d’un réacteur à eau lourde, capable de produire du plutonium, et donc «potentiellement proliférant».
Officiellement, l’agence de Vienne, en charge de la non-prolifération nucléaire, continue «d’affiner sa connaissance» d’un programme clandestin vieux de 18 ans, et dont les liens avec la filière du professeur Abdul Qadir Khan, le «Docteur Folamour» pakistanais, restent obscurs.
«Le programme nucléaire iranien ressemble à un vaste puzzle que l’agence s’efforce d’assembler depuis deux ans, note Mark Gwozdecky, porte-parole de l’AIEA. Nous avons une image presque complète de l’ensemble, même s’il reste quelques failles.»
Pour autant, la ligne de conduite affichée par Téhéran reste extrêmement préoccupante. Si rien ne l’oblige à autoriser une deuxième visite du site de Parchine, puisque sa nature militaire l’exclut des accords d’inspection, ce refus d’obtempérer ne peut qu’alimenter les soupçons à son encontre. Les analyses d’échantillons prélevés lors de la première visite, le 7 janvier, n’ont pas encore livré leur verdict quant à l’existence d’éventuelles activités litigieuses.
En outre, l’Iran se livre à une surenchère en matière de besoins énergétiques, justification essentielle pour la maîtrise totale du cycle nucléaire : alors que les prévisions tablaient sur l’érection de sept centrales de 1 000 mégawatts d’ici à 2020, Téhéran a décidé le 13 février de porter ce total à 20 000 mégawatts, soit vingt centrales nucléaires.
Des ambitions incompréhensibles pour les experts occidentaux, dans la mesure où l’Iran, riche en réserves de pétrole et de gaz, ne disposerait pas d’une économie capable d’absorber une telle production d’électricité.
«Nous voulons mener une production de combustible [… »> et pouvons nous arranger pour fournir des garanties crédibles à la communauté internationale que rien ne sera détourné» à des fins militaires, a déclaré Cyrus Nasseri, chef de la délégation iranienne à l’AIEA.
Face à cette impasse, la solution pourrait venir paradoxalement des Etats-Unis, jusque-là résolus à traîner Téhéran devant le Conseil de sécurité. Washington serait sur le point de se joindre à la démarche européenne, en offrant à l’Iran son entrée à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), entre autres incitations, en échange d’un renoncement à l’arme nucléaire. C’est ce que laissait entendre hier la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice, évoquant une «stratégie commune» en cours d’élaboration avec l’Union européenne.