Life in IranLa vie en IranIran : le témoignage de Clotilde Reiss sur France...

Iran : le témoignage de Clotilde Reiss sur France Culture (transcription)

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Iran Focus : Clotilde Reiss a donné une interview le 10 et le 11 juin dernier sur France Culture dont voici la transcription. Un témoignage émouvant sur l’état de non droit qui sévit en Iran.

 
Clotilde Reiss : Je vous ai ramené mes dessins parce que en sortant de prison j’avais un gros besoin de témoigner, mais l’écriture ce n’est pas vraiment mon truc, et en fait c’est encore plus des images que des mots qui m’ont marquée, et j’avais envie de pouvoir sortir ces images là, dans l’idée aussi de pouvoir montrer mes dessins, de montrer aux gens ce que j’ai vécu.

Après j’ai ramené aussi des petits textes que j’avais collés dans ma chambre à l’ambassade, qui me donnaient du courage. Il y en a une qui vient de Persépolis, le livre de Marjane Satrapi, et c’est la grand-mère de Marjane qui dit ça dans Persépolis. Je l’avais relu à l’ambassade et j’avais beaucoup aimé cette phrase : « la peur nous fait perdre notre conscience, elle nous transforme en lâche. Et donc cette phrase à chaque fois je me la répétais quand je devais aller au tribunal, que j’étais terrifiée, je me disais : « n’aie pas peur, ne sois pas lâche, affronte ton destin. »

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France Culture : elle est venue avec des dessins, des documents et quelques appréhensions. La veille elle n’a pas beaucoup dormi. C’est la première fois qu’elle raconte publiquement ce qui lui est arrivé en Iran entre le 1er juillet 2009 et le 15 mai 2010 et c’est peu de dire qu’elle a été échaudée par ce qu’on a dit d’elle. Mais Clotilde Reiss est une jeune fille pleine de discernement. Elle sait que la question de savoir si elle est une espionne ou pas et de quelle marchandage elle a fait l’objet pour être libérée, ne nous semble à nous pas très pertinente et n’intéresse en fait pas tellement. Elle sait que, comme elle, nous aimons beaucoup l’Iran, on se connaît depuis quelques années, l’Iran ça crée des liens. Mais ce qu’elle devine surtout un an après la réélection contestée du président Ahmadinejad, c’est que ce qu’elle a vécu à la prison d’Evine entre son arrestation et son procès pour l’exemple, ce qu’elle a vu de l’intérieur de l’Iran et ce qu’elle en a rapporté, constitue un témoignage exceptionnel et unique sur l’une des périodes les plus mouvementées de l’histoire de la république islamique. Elle sait que son récit peut aider à une meilleure compréhension d’un pays souvent présenté de manière caricaturale. Et pour ne rien gâcher, en l’écoutant se livrer peu à peu, on découvre une chic fille qui se soucie bien plus des autres que de son propre sort, certes endurcie par son séjour en prison, mais aussi fort attachante.

Clotilde Reiss : alors le premier dessin c’est l’aéroport, parce que moi je m’apprêtais à quitter l’Iran le 1er juillet 2009, et après avoir passé la première entrée de sécurité où on présente passeport et valise, j’étais attendue de l’autre côté par trois hommes qui ont bredouillé vaguement mon nom. J’ai compris que c’était moi qu’on cherchait. Ils m’ont dit « on va vous poser quelques questions, veuillez nous suivre ». Là j’ai commencé un peu à m’inquiéter bien sûr. Je les ai suivis et ils m’amènent près d’une voiture. Moi j’ai dit « je ne monte pas dans la voiture ». Ils font : « ah si, si. Vous devez nous suivre. On va vous amener un petit peu plus loin on a des questions à vous poser. » Donc moi je refuse toujours de les suivre et en fait ils m’ont forcée à monter dans la voiture. J’ai demandé à appeler quelqu’un pour prévenir de ce qui était en train de m’arriver. On m’a pris mon portable des mains. On m’a aussi pris mon passeport. Et je me rappellerai toujours de la femme que je voyais de l’autre coté de la vitre de l’aéroport, qui m’a regardée être poussée dans la voiture et qui devait certainement comprendre que les services de renseignements étaient en train de m’enlever. Ensuite ils m’ont emmenée à Evine.

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Moi je ne connaissais pas vraiment Evine, je ne savais pas où c’était. J’espérais qu’on m’emmène dans un bureau pour me poser quelques questions et qu’on s’en tienne là. Et puis on est arrivé devant cette grande prison. Je me souviens aussi de la première image, je l’ai dessinée, c’était à l’extérieur de la prison où il y avait une foule de gens. J’ai compris ensuite que c’était les parents des prisonniers qui attendaient à l’extérieur d’avoir des nouvelles de leurs enfants. De savoir si les enfants ont été arrêtés, s’ils sont emprisonnés ou pas. J’ai vu cette foule là en dehors de la prison et eux attendaient devant une petite porte et moi je suis passée par la grande porte d’entrée avec la voiture et puis ensuite on m’a amenée dans une partie de la prison. C’est une très grande prison à l’intérieur, il y a plusieurs bâtiments, moi j’ai été emmenée dans une partie où se trouve la section 209 d’Evine qui est celui des prisonniers politiques, qui est très connue historiquement comme la prison des prisonniers politiques.

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Ils ont gardé mes bagages, ils m’ont bandé les yeux, ils m’ont emmenée dans une pièce où ils m’ont fait changer mes vêtements. Ils m’ont demandé de me déshabiller. Ça aussi je l’ai dessinée cette scène là. En fait on m’a mis dans une petite cour entre 4 murs et on m’a demandée de me mettre toute nue, même de baisser ma culotte, de m’asseoir, comme si j’étais une véritable espionne qui cachait des choses même dans les endroits les plus intimes de sa personne. Mais en fait ils font ça avec tout le monde. Je l’ai compris par la suite et donc je me suis retrouvée nue dans cette cour et puis on m’a donné les tenues de prisonnière.

France Culture : Là on voit une dame en tchador de dos, c’est-à-dire qu’on voit juste une grosse ombre noire et puis une jeune fille dénudée.

Clotilde Reiss : donc une de mes gardiennes, parce qu’elles étaient tout le temps habillées en tchador. Donc on m’a donné mon pantalon, ma chemise et on m’a fait garder mon foulard et puis on m’a donné un tchador…

Un tchador noir ?

Non un tchador à fleur, un tchador bleu foncé avec des petites fleurs blanches, et c’est en effet un tchador d’intérieur. Et des petites sandalettes, en persan on appelle ça « dampa’i », c’est des sandales qu’on utilise aussi en intérieur pour les questions d’hygiène, comme c’est des toilettes turques … Donc la tenue du prisonnier c’est pantalon, chemise en coton très épais comme vous l’avez vu le jour du procès. Tous les Iraniens étaient habillés dans ce pyjama bleu. Les femmes, on a les mêmes tenues en fait. Je pense que c’est aussi parce qu’ils n’ont plus assez de vêtements. Donc nous, on avait des vêtements d’homme. Moi j’avais des vêtements XXL, beaucoup trop grand pour moi. Mais tout ça c’est lié aussi au fait qu’il y avait tellement de gens dans les prisons qu’ils n’avaient plus de vêtements pour les prisonniers et les prisonnières, donc moi j’avais des vêtements d’homme comme mes  codétenues. Donc après m’être habillée, on m’amène dans la cellule où je retrouve trois Iraniennes. Là, j’ai découvert la cellule où j’ai passé mes 47 jours. Petite cellule de 8 m2, où il y a juste un robinet et sinon une moquette. Donc c’est très sale. Par personne on a deux couvertures, une brosse à dents et on dort par terre. Il n’y a rien d’autre en fait.

Il n’y a pas de matelas, il n’y a rien du tout ?

Il n’y a rien du tout. Il y a une fenêtre en hauteur, de telle manière à ce que la lumière puisse entrer dans la pièce mais qu’on ne puisse pas voir l’extérieur. Donc elle se trouve en haut, à 2 m au-dessus de nos têtes.
Il paraitrait qu’une de mes premières phrases a été de demander si on était torturé. Moi je ne m’en souviens même pas, et notamment je ne connaissais pas le mot torture à l’époque « chekanjeh » et donc je demandais « est-ce qu’on va me donner des coups ? Est-ce qu’on va me blesser ? ». J’essayais d’expliquer ça. Très vite elles m’ont dit : non ici, nous on n’a pas eu de mauvais traitement, ne t’inquiète pas. Elles m’ont tout de suite rassurée en fait. Je me souviens aussi que c’était trois filles qui souriaient, qui riaient. Et pour moi ça a été un énorme réconfort de voir qu’on pouvait être enfermée entre quatre murs, être terrorisées, et en fait trouver cette ambiance joviale. Ça m’a énormément réconfortée. J’ai compris par la suite que c’était aussi leur survie à elle qui était en jeu. Je l’ai constaté quand d’autres filles sont arrivées dans notre cellule. Au moment de l’accueil on essaie toujours de faire bonne figure parce que si on se retrouve avec quelqu’un qui souffre et qui va mal, on va toutes mal.

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Quand est-ce que tu as rencontré pour la première fois tes interrogateurs ?
Je les ai rencontrés le soir même de mon arrivée. C’est notamment après ma première soirée que je me suis dis « on s’est trompé de personne ». Parce que le premier soir ils ont plutôt cherché à me faire peur et donc ils se sont mis à me parler d’événement qui s’étaient passés il y a trente ans en Iran. Ils m’ont dit « pourquoi tu t’intéresse à l’Iran ? Qu’est-ce que tu fais en Iran ? » Donc moi j’ai commencé à dire que j’avais des amis iraniens, ceci depuis mon enfance. Et là ils ont commencé à me dire « oui, mais tes amis iraniens c’était des opposants politiques pendant la révolution » et donc ils se sont mis à me parler de choses qui s’étaient passées il y a trente ans. Je ne me sentais pas vraiment concernée, donc je me suis dit qu’on se trompe de personne, je ne comprenais rien à ce qui se passait.

Alors en fait, on vient te chercher dans ta cellule, et ça c’est une angoisse terrible parce qu’on est dans une cellule, il ne se passe rien. On attend que la journée se passe et tout à coup il y a la gardienne qui vient et qui dit : « toi maintenant debout, tu te lèves, tu t’habilles, tu te prépares, tu as un interrogatoire. » Donc tu te lèves, tu dois quitter ton pyjama, mettre ta tenue de prisonnière, mettre ton bandeau autour des yeux, mettre ton tchador, mettre des chaussettes parce qu’il ne faut pas que les interrogateurs, c’est tous des hommes, il ne faut pas qu’ils voient tes pieds, il ne faut pas qu’ils voient tes cheveux. Donc tu mets tes chaussettes, tes sandalettes, tout ça la peur au ventre. La gardienne t’accompagne au bout du couloir de détention les yeux bandés, parce qu’on considère que tu ne dois rien voir de ce qui se passe autour de toi. On t’assoit sur une chaise, avec une petite tablette pour écrire, face à un mur les yeux bandés, et il y a trois, quatre hommes derrière toi qui te poses des questions. En fait le déroulement des interrogatoires c’est des séries de questions, et les questions de prédilection c’est des questions sur les gens que tu connais. « Quelle relation tu as avec telle personne ? Quand est-ce que tu l’as rencontrée ? Quand l’as-tu vu pour la dernière fois ? Qu’est-ce que vous vous êtes dit ? » Et on te pose comme ça une vingtaine, une trentaine de questions, les mêmes de manière différente, pour te faire parler, et une fois qu’on a tiré le maximum de choses de toi, on te poses une question écrite et on te dit « et maintenant tu nous répètes tout ce que tu viens de nous dire ». C’est comme ça qu’on t’invite à faire un maximum d’aveux.

Ils t’ont interrogée dans quelle langue ?

Toujours en persan et j’écrivais en anglais. Du coup c’était aussi un moyen de fatigue psychologique que de ne me parler qu’en persan et ils s’en amusaient. On me faisait des blagues en persan, que je ne comprenais pas…

Pourquoi ils ne t’ont pas donné de traducteur ?

Je n’en ai aucune idée. De toute façon, moi, étant dans cette situation, j’étais dans un rejet complet de communication, c’est-à-dire que je répondais aux questions qu’on me posait le plus brièvement possible, parce que je trouvais ça insupportable qu’on me pose des questions sur tous les gens que je connaisse. Du coup je ne leur demandais jamais rien, je ne leur demandais jamais quand est-ce que je vais sortir, parce que je savais que toute question, c’est de donner la main à de la torture psychologique. C’est-à-dire que le peu de fois où j’ai posé des questions, j’ai dis « pourquoi je suis arrêtée ?» Ils m’ont dit « mais tu sais très bien pourquoi t’es arrêtée». Et si tu dis « jusqu’à quand je suis là ? » « C’est toi qui sais jusqu’à quand tu es là ! »  Des choses comme ça qui font que rapidement on ne demande plus rien. On se protège par le silence.

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Ça c’est mes deux interrogateurs, alors celui qui est habillé très modestement, qui est plus âgé, qui a un gros ventre, lui c’était vraiment le révolutionnaire, ancienne génération, c’est-à-dire le musulman qui s’habille très simplement : la chemise grise, le pantalon gris, très modeste. Et ça c’est l’autre interrogateur qui est donc plus jeune, moi je dirai qu’il a 35 ans, alors que l’autre je le voyais bien avoir 55 ans. Lui c’était plutôt le type service de renseignement, habillé tout en noir avec des belles bagues très soigné, les chaussures brillantes, la chemise un peu brillante.

Et comment tu sais ça si tu ne les as pas vus ?

Parce qu’en fait on a les yeux bandés, mais on voit les pieds, on voit les pantalons et puis quand ils nous donnent les feuilles sur lesquelles écrire, on voit les chemises, on voit leurs mains. Et puis dès qu’on sent qu’on peut soulever un peu le bandeau, on soulève le bandeau…
Des interrogateurs en fait, j’en aurais eu trois : le méchant, le gentil et celui qui écrit et qu’on n’entend pas beaucoup. Mais l’interrogatoire durait quatre heures, j’en avais plusieurs par jour. Mais ça c’était la première semaine et après on m’a complètement oubliée. Pendant un mois on m’a laissée dans ma cellule, on venait me chercher une fois par semaine pour discuter, deux, trois heures, me poser encore des questions, revenir sur des choses. Mais je sais qu’il y a des Iraniennes et des Iraniennes qui ont eu des interrogatoires beaucoup plus longs. Justement ils se revendiquaient respectant les droits de l’homme. Un interrogateur m’a dit un jour : « tu vois, nous on respecte les droits de l’homme, on te laisse aller manger, on te laisse dormir ». Le méchant il a été surtout là au début et à la fin, toujours pour faire peur, et après les deux autres interrogateurs étaient un peu moins durs et en fait c’était toujours les mêmes, mais il y avait un peu des roulements.

Le méchant, lui, il fait peur. C’était un homme avec une grosse voix, qui grognait, c’est quelqu’un d’inquiétant en fait. Il me faisait toujours des remarques : « alors tu te souviens de ce que tu as fait ? et ça tu t’en rappelles ? Cette personne tu t’en rappelles ? » Des choses qui ne me parlaient pas, je ne comprenais pas de quoi il parlait. C’est sa voix qui me faisait peur. Et il le savait, parce que la première semaine où j’ai eu beaucoup d’interrogatoires, il était là. J’ai eu à nouveau des interrogatoires avant le procès. Je ne l’avais pas vu pendant trois semaines et je m’en portais très bien comme ça, et il est arrivé dans la pièce, et avec sa grosse voix il a dit « tu te souviens de moi ? » et donc il savait très bien comment parler avec sa voix effrayante. Physiquement, ils ne m’ont pas menacée. Après, ils m’ont fait subir des pressions morales notamment en me faisant peur, en faisant toujours un chantage affectif, en disant « de toutes les façons tu es seule ici, personne ne s’occupe de toi, ton ambassadeur ne s’occupe pas de toi ». On me disait aussi « tu peux rester ici des années, tu peux rester ici sept ans. » Et pour revenir sur le gentil, qui n’est pas si gentil en fait. On le dit gentil, mais c’est lui qui se présente comme gentil. Il te dit « moi je suis ton ami », c’est-à-dire que « moi, je peux t’aider à sortir. Si tu me parles, si tu me dis tout, moi je ferai tout pour que tu sortes. » Donc c’est beaucoup plus vicieux que celui qui te fais seulement peur.

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Les deux premiers jours c’était les contacts et après on est entré dans une nouvelle phase. C’était «maintenant il faut que tu collabores avec nous » et donc il y a eu deux jours aussi de pressions morales où on m’a répété : « mais tu peux travailler pour nous et si tu travailles pour nous, tu seras libérée, t’es libérée demain, on arrête tout. »

Et là tu as dis quoi ?

Et là j’ai dis que ça ne m’intéressait pas, que je ne voulais pas travailler pour eux. En plus on ne se comprenait pas, parce qu’eux, ils étaient persuadés que j’écrivais des rapports, que je faisais des recherches pour la France, et moi je leur disais non, je ne me destine pas à la recherche, j’ai envie de faire des projets, travailler dans des ONG. Moi faire des rapports, ça ne m’intéresse pas, ce que vous me proposez.
On me posait des questions sur ma vie privée. On me disait « oui, tel garçon, tu le connais depuis quand ? Et tu dors chez lui ? Et t’as quel type de relation avec lui, c’est ton ami, mais dans quelle mesure c’est ton ami ? Parce que nous on sait que c’est plus que ton ami. » Pour une Iranienne c’est terrifiant parce que quand on lui dit : tu vois tu es une mauvais musulmane, tu es une mauvaise fille. Il y avait aussi l’alcool : « Donc tu buvais aussi de l’alcool avec telle personne » et des choses comme ça qui, à moi ne me faisaient rien, mais c’est sûr que c’était inquiétant pour les Iraniens, parce qu’on se dit après on va allez voir telle personne on va lui dire : « tu as bu de l’alcool avec telle personne alors on va te donner des coups de fouet».

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J’ai ramené aussi un autre document qui est un journal qui est composé de photos qui ont été prises lors des manifestations et qui invite à la délation, à dénoncer des gens qu’on connaitrait. Donc ça c’est des journaux qui ont été distribués dans les rues à travers l’Iran après les manifestations, et ça je trouve que c’est terrible.

Les gars sont encerclé en rouge, c’est des chiffres, c’est pour qu’on puisse les identifier avec des chiffres ?

Oui, exactement. Ce sont des chiffres et les portraits sont encerclés.

Là on t’appelle à dénoncer une vieille dame, là une jeune fille, là une fille en tchador…

Des hommes de tous âges

Et ça s’appelle comment ? Tu peux me dire ce qu’il y a écrit là ?

En gros ça veut dire : identifier les casseurs.

J’ai dessiné ma cellule, donc ma petite cellule, toute vide, avec le robinet, les deux portes, parce qu’en fait c’est deux cellules individuelles donc, des cellules d’isolement. Le mur a été cassé, pour faire une plus grande cellule. Donc il y a deux portes dans la cellule. En bas il y a une petite fente, qu’on utilisait certainement pour donner à manger. Mais nous, on ouvrait quand même la porte pour nous donner à manger. Et donc la cellule c’était notre petite maison, on avait nos vêtements. On l’avait bien organisée : dans un coin on rangeait nos vêtements, dans un autre coin on rangeait l’alimentation. C’est vrai qu’on en faisait notre nid de protection. Quand on revenait de l’interrogatoire, on était soulagé de revenir dans la cellule avec les mêmes personnes. Quitter la cellule, c’était très, très dur. Et jamais on n’envisageait qu’une de nous parte. Tardivement on s’est dit, il faut aussi qu’on se prépare psychologiquement, à ce qu’il en est qui partent avant les autres.

Et les filles qui étaient avec toi, tu ne peux pas dire leurs noms je suppose ?

Non, non. Je ne parlerai pas de mes codétenues en fait. Je préfère pas, parce que oui j’ai peur pour elles. Il y avait différentes personnalités. Il y en avait une par exemple qui chantait, qui est musicienne. Donc souvent elle chantait un peu pour nous et on l’écoutait beaucoup et puis on chantait ensemble. Et il y en avait une autre qui était bavarde le soir, mais la journée, elle souffrait beaucoup, elle angoissait beaucoup. Donc le matin elle ne pouvait pas parler, l’après-midi elle passait son temps à soupirer, elle tapait un peu contre le mur, elle supportait très mal les journées. Le soir par contre elle trouvait plus de tranquillité, parce qu’elle savait, je pense, que le soir il y avait beaucoup moins de chances qu’on vienne l’inquiéter. Elle savait aussi qu’une journée était passée, une journée de moins à passer là.

Moi je sais que j’aimais beaucoup faire des massages à mes codétenues en fait. On avait mal partout, parce qu’on était soit en position debout, soit en position assise. Du coup dormir sur le sol, être tout le temps assises sur les fesses, c’est très fatiguant. En fait, c’est vrai qu’on s’est rendue compte qu’on était toutes des étudiantes. Donc même si on n’est pas du même pays, on a le même âge à peu près, on a une culture en commun. Et après il y a une femme plus âgée qui est arrivée et c’était différent. Là, il a fallu l’intégrer dans notre mode de vie et c’est vrai que c’est dur de voir quelqu’un partir et après ce n’est pas forcément facile de reconstruire un cocon de protection avec une nouvelle personne.

Et qu’est-ce que vous faisiez toute la journée ?

On n’avait accès à aucun livre. Moi j’ai eu la chance d’avoir deux livres apportés par l’ambassadeur mais que je ne lisais pas devant mes codétenues parce que je trouvais ça insupportable de lire alors qu’elle n’avait pas de livre. Elles par contre, elles n’avaient aucun livre à part le Coran et les prières, sauf la dernière semaine où il y avait une de mes codétenues qui avait eu un livre sur Khomeiny, sur les idéaux révolutionnaires de Khomeiny, ses premiers textes … 
 

A part ça, chaque jour avait son activité principale qui était soit la douche, soit la sortie en plein air de 15 minutes, donc ça c’était le seul événement qui rythmait la journée. Sinon on discutait, on chantait, on prenait les repas ensemble, on les faisait durer le plus longtemps possible. On avait un thé le matin, un thé l’après midi. Moi et mes codétenues, on fait partie des gens qui ont eu les meilleures conditions je pense de détention.

Et la douche c’était combien de fois par semaine.

Trois fois. En plein été, à 35 degrés, avec des interrogatoires où on va de sueurs froides en sueurs froides, avec des vêtements en coton très épais, c’est insupportable. Je pense que le plus difficile c’était de voir le temps passer en fait, le temps à ne rien faire.

Tu avais quel âge ?

23 ans, et j’ai eu mon anniversaire le 31 juillet à Evine, 24 ans. En fait j’avais prévenu mes codétenues et on avait gardé tous les fruits de la semaine, parce qu’en moyenne une à deux fois par semaine, on avait des fruits et donc on avait gardé tous nos fruits et on les avait mis de côté pour le soir de mon anniversaire. On devait avoir 3 concombres et trois pêches.

Les concombres étant considérés comme des fruits !

Parce que c’est frais ! Et puis le soir je n’étais pas bien, dans la journée ça allait, mais le soir quand on a voulu chanter pour mon anniversaire, je ne pouvais pas. Mais c’est surtout que moi, dans cette situation-là, j’ai un peu complètement rejeté ma vie française, c’est-à-dire que j’ai dû me faire un peu Iranienne par rapport aux Iraniennes. Je me suis dit : maintenant moi je suis ici avec les codétenues, il n’y a que les codétenues qui comptent. C’est-à-dire que je ne pensais qu’aux filles avec qui j’étais, aux filles des cellules d’à côtés. Mon monde, c’était la prison et je ne pensais à rien d’autre.

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Nous ce qu’on voyait, c’est que les prisons se remplissaient. A chaque événement un peu important, on voyait des personnes arriver à la prison. Je dis événements importants, parce qu’après on comprenait que il y avait eu une manifestation dans la journée et qu’ils avaient arrêté des personnes et du coup on voyait des vagues de prisonniers, et on voyait les prisons se remplir comme ça. Les filles pleuraient qu’elles n’avaient rien fait, qu’ils s’étaient trompés de personnes. Et puis après je me souviens aussi en interrogatoire, j’ai entendu des Iraniens pleurer, poussés à bout, j’ai entendu les interrogateurs insulter les Iraniens. Des choses que moi je n’ai pas eues à subir, mais que j’ai entendues et c’était terrifiant.

Ça, ce sont deux codétenues dans la cour, on était à l’extérieur. C’est aussi une image que j’ai en tête, une image d’une de mes codétenues, celle qui supportait très mal les journées, et qui une fois dans la cour s’est assise par terre et nous avait regardées et en pleurant, elle avait dit « mais pourquoi ils nous prennent nos vies ? »

2e partie

Ça c’est le jour où j’ai été libéré, donc c’est la fameuse photo qui a fait le tour du monde où on me voit en train de remettre mon foulard qui glisse de mes cheveux au tribunal. Donc ça, ce sont des choses que j’aimerai garder, mes photos dans la presse iranienne. Montrer que j’ai aussi marqué l’opinion publique iranienne.

Moi je pense qu’à aucun moment ils ont pu croire que j’espionnais, parce qu’ils n’avaient rien contre moi. En Iran je n’ai rien fait qui relève de l’espionnage, rien. Sur leur territoire je n’ai rien fait, à part avoir été témoin des événements, d’avoir parlé avec des Iraniens, d’avoir vu ce qui s’est passé. Ils expliquent dans mon procès que j’étais surveillée depuis le départ. En même temps peut-être que j’étais surveillée. Mais s’ils m’ont surveillée ils ont vu que je menais une vie tout à fait normale de professeur de français. Ils n’ont rien à me reprocher sur les 5 mois que j’ai passé en Iran avant les élections.

France Culture : Au nombre des milliers d’arrestations qui font déborder les prisons d’Iran depuis plus d’un an, l’une d’elle a connu en France un écho particulier. C’est celle de la jeune Clotilde Reiss, 23 ans, au moment où elle a été conduite en prison, le 1er juillet 2009. Une jeune fille vite devenue otage politique, objet de marchandage et de tractations diverses, avant d’être à son retour en France, l’objet d’une controverse très fumeuse, sur la question de savoir si Clotilde Reiss est un agent de la DGSE. N’attendez pas de « Les pieds sur Terre » la moindre réponse, ni même la moindre question. Pas davantage d’ailleurs que sur la question du marchandage concernant sa libération. Ce qui nous intéresse aujourd’hui en revanche, c’est ce qui se passe derrière la photo de son procès qui a fait le tour du monde. Quelle histoire cette photo raconte pour Clotilde et les autres prisonniers à côté d’elle ? Quelle histoire elle raconte pour l’Iran, en Iran ? L’histoire d’une chic fille racontée à partir des dessins et documents qu’elle a conservés pendant tout ce temps.

Clotilde Reiss : J’ai ramené des journaux en fait, j’ai amené le Canard enchainé où se trouve la caricature que je trouve la plus intéressante me concernant dans tout ce que j’ai vu en fait dans les journaux. C’est : « à Téhéran, la jeunesse ne mesure pas toujours sa force ». Et donc on me voit le jour du procès dire « désolée d’avoir déstabilisé le régime iranien ». Je trouve que c’est ce qui a été dit de plus juste me concernant. C’est le seul commentaire en fait qui montre bien ce qu’on a voulu me faire subir : c’est-à-dire me faire passer pour quelqu’un qui a mis en péril le régime iranien. C’est quand même drôle que moi jeune fille, ayant juste été témoin de ce qui s’est passé dans ce pays là, je sois responsable de ce qui s’est passé là-bas ! Et donc, moi je trouve que c’est ce qu’il y a de plus juste.

Donc après j’ai ramené aussi des textes. Le jugement qui a été rendu le 15 mai. C’est mon avocat qui nous a retranscrit ça. C’est vrai que pour moi, ce qui est très frappant, dans ce jugement où je suis condamnée à 10 ans de prison pour atteinte à la sécurité du pays ! Parce que j’ai participé à des manifestations et parce que j’ai collecté des informations pour l’étranger ! Ce qui me frappe le plus, c’est que là, il y a 4 pages dactylographiées pour expliquer tous mes méfaits et en fait on voit que sur ces 4 pages, il y a trois pages qui sont les informations obtenues au cours des interrogatoires qui sont faits face à un mur, les yeux bandés avec trois, quatre hommes derrière toi qui te font peur, qui te forcent à dire les choses comme ils le veulent. C’est quand même frappant ! la justice iranienne c’est ça pour moi, mais aussi pour tous les Iraniens. Et pour moi, quand je vois ça, c’est ce qui me fait le plus mal au cœur.

Et toi tu pensais que la justice iranienne, elle était juste ?
En fait je ne l’avais vu dans une telle horreur. (Voice le texte de l’inculpation 🙂 « En obtenant des informations de ses contacts iraniens, l’intéressée se présentait comme sympathisante du peuple iranien. Et en faisant preuve de sympathie avec les comploteurs et les émeutiers, elle les a présentés comme des opposants au régime qui ont été vus par les peuples du monde entier. Elle les a ainsi incités à descendre dans la rue et à participer aux rassemblements illégaux. Pendant ce temps, elle a également incité ses amis étudiants de l’université de Téhéran. Elle collectait elle-même les informations sur les événements et les émeutes au campus de l’université de Téhéran et à l’université d’Ispahan, au bazar de Téhéran et d’Ispahan » – j’en faisais des choses quand même hein ! (rire) – « informations qu’elle obtenait par téléphone et email de ses amis. Elle les transmettait à de multiples centres et personnes en Iran et en France. Dans ses rapports, elle essayait de montrer que la situation en Iran était troublée, les élections truquées, que le peuple qui essayait de protestait en manifestant contre ces fraudes électorales, voulaient en réalité voter pour un changement de l’Etat, ce que le gouvernement voulait empêcher par tous les moyens. »
Est-ce qu’ils l’ont empêché par tous les moyens ? Il faudrait leur demander.
***

J’ai passé 47 jours à Evine, 60 heures d’interrogatoires. Ensuite on m’a oublié pendant un mois. On venait me voir une fois par semaine pour me reposer quelques questions. Et c’est au bout de 5 semaines, qu’on est revenu me chercher et qu’on m’a dit : « bon maintenant tu vas passer devant le juge. Tu vas lui dire tout ce que tu nous as dit, parce que si tu lui présentes les choses autrement, il va avoir des doutes. Et si le juge doute, ça veut dire qu’on va recommencer depuis le début, tous les interrogatoires. » En fait, dans tous ces interrogatoires aussi, on travaillait la culpabilité. Ils passaient leur temps à me dire « mais tu regrettes tout ce que tu as fait ? » Donc moi bien sûr je regrettais d’avoir vu les manifestations. Si je savais que voir deux manifestations, ça devait être payé d’un mois et demi en prison, je n’y serais pas allée. Donc je disais « oui je regrette ». Et on m’a dit « demain, tu vas rencontrer ton avocat ». J’ai dit oui, mais moi j’aimerais bien appeler l’ambassade, parce que je ne connais pas d’avocat et je voudrais avoir des conseils pour choisir mon avocat. Ils m’ont dit : « non mais, le téléphone ne marche pas, on a un problème technique. Pendant trois jours il n’y a plus de téléphone. L’avocat, on le choisi pour toi.  Tu vas le rencontrer demain. »

Donc le lendemain je rencontrais mon avocat, et c’est lui qui m’a dit : «demain on se retrouvera donc au tribunal à 8h. » Et c’est comme ça que j’ai appris que j’allais au tribunal et on ne m’a jamais dit que ce serait une séance publique télévisée comme ça a eu lieu. Donc deux jours avant, on m’avait dit « oui, tu vas voir le juge, dis-lui tout ce que tu nous as dit, et ce sera terminé pour toi. Inchallah dans dix jours tu reverras ton père ». Et puis on m’avait changé de cellule en fait, pour me faire aussi une pression morale. C’est-à-dire qu’on m’a séparée de mes codétenues et on m’a mis dans une cellule avec une femme qui venait d’arriver, donc qui était très inquiète. C’était une cellule plus sombre et plus sale. Moralement c’est très dur de changer de cellule, c’est très, très dur, parce qu’on a perdu son cocon de protection et on se retrouve dans les peur du début où on n’a plus rien pour se rassurer. (…)

Moi j’y suis allée en voiture et il y a plein de prisonniers qui sont venus aussi en autobus, on les mettait à plusieurs dans les autobus, par vingtaine comme ça. On est arrivés donc à 7h, j’ai attendu pendant une heure et demie toute seule avec mon tchador …

Le tchador à fleurs…
Et avec mon tchador à fleur et en fait on m’avait dit « oui, le jour où tu iras au tribunal, on te laisse aussi mettre tes vêtements pour que tu gardes un bon souvenir ». C’est pour ça que je suis arrivée au tribunal habillée avec ma tenue en fait de l’aéroport. Et j’étais la seule au milieu de tous ces prisonniers. On m’avait fait quitter mon pyjama bleu le matin pour me faire porter mes vêtements, alors que j’avais les mêmes vêtements que tous les autres. Tout ça c’était pour ne pas choquer l’opinion publique. Et pareil, j’avais un tchador à l’entrée de la salle d’audience. Et au moment d’entrer dans la salle on m’a dit : « maintenant tu retire ton tchador ». Donc je suis arrivée avec mon petit foulard. Le foulard que j’ai le jour du procès, c’est la prison qui me l’a offert. Donc tout ça c’était vraiment de la manipulation, pour montrer que j’avais bonne mine, que j’étais bien traitée, que tout allait bien ! Et moi je ne comprenais pas très bien tout ce qui m’arrivait.

Donc le procès auquel j’étais présente a duré 5 heures, et la première heure on a entendu le président du parquet s’exprimer pendant une heure et dire une diatribe d’une violence politique incroyable. C’est vrai que nous prisonniers, on sortait de prison. On n’avait aucune nouvelle pendant plus d’un mois où on a subi des traitements et des conditions de vie très difficiles et la première chose qu’on voit du monde, et bien c’est une scène de justice qui ressemble à une caricature de ce qu’il y a de pire dans la justice. Moi j’avais l’impression d’être au jugement dernier, d’être déjà condamnée avant même de m’être exprimée. Ça me glaçait le sang, de me retrouver dans cet endroit et d’entendre des choses aussi violentes. Justement j’ai dessiné le représentant du parquet et j’ai résumé ses propos d’une heure en disant : « au nom de Dieu, au nom de notre grande révolution, au nom de notre magnifique république islamique, tout ça c’est la faute des étrangers qui se déguisent et qui manipulent, les Américains, les Anglais, c’est la faute des ennemis, des Moudjahidine, des royalistes, des terroristes. » Et c’était aussi grossier que ça et pendant une heure il nous a dit des choses pareilles.
****

C’était le jour le plus dur de ma vie, franchement, et en fait ce qui était atroce, c’est qu’on s’est retrouvé une centaine de prisonniers dans cette salle. Là je me suis retrouvée avec des hommes, sauf une femme, qui étaient tous fatigués. Il y avait beaucoup d’hommes âgés. On voyait les cheveux blancs qui avaient poussé, on voyait la fatigue. Il y avait des gens, on voyait qu’ils n’avaient pas vu la lumière du jour depuis des semaines. Moi j’imaginais bien que ces gens-là avaient été en cellule d’isolement, ou étaient des gens comme moi, c’est-à-dire des gens qui ne comprenaient rien à ce qu’on était en train de raconter. Il y a 7 personnes ce jour-là qui sont passées à la barre. Il y a eu trois personnes qu’on présentait comme des royalistes, une personne présentée comme Moudjahidine et trois personnes travaillant pour les étrangers, dont moi.

Ce qui était terrible c’est que j’ai vu un jeune homme de 19 ans, aller se présenter à la barre en disant « oui, j’avoue avoir eu des activités terroristes, oui, j’avoue avoir eu des activités politiques », et moi mon ressenti c’était de me dire, mais cette personne-là, premièrement, les aveux qu’elle est en train de faire sont passibles de la peine de mort. Deuxièmement, pour arriver à de tels aveux, quelles conditions il a pu vivre ? Et ce garçon, il était très maigre, très pâle, il était très affaibli, c’était évident. Et donc j’ai eu l‘impression de voir défiler comme ça des gens et je savais que ces gens allaient être condamnés à la peine de mort. En fait j’avais l’impression d’assister à un jugement sur la place publique, où on crée des faux coupables. C’était très lourd, très, très lourd.

Moi je me sentais assez ridicule parce que je suis passée après six personnes, après 4 heures d’audience, pour arriver et dire « oui, j’ai vu deux manifestations, oui j’ai écrit un mail ». C’était tellement ridicule que c’était complètement irréel.

Et ces gens-là, est-ce que tu sais ce qu’ils sont devenus ?
Ben, le garçon de 19 ans, comme un autre homme, il a été exécuté, il a été pendu en janvier dernier.

Et un autre aussi, deux des gens qui ont comparu en même temps que toi ?
Deux des personnes qui ont comparu en même temps que moi. Et c’est ce que j’ai écrit sur mon dessin. J’ai écrit en haut : condamné, le jour du jugement dernier est arrivé. Parce que c’était vraiment ma sensation profonde. On sentait que tout ça, c’était déjà pensé, qu’on était déjà jugé avant même de parler.

***

Ce que je montre là, ce que j’ai dessiné : à gauche il y avait les avocats, les journalistes, il y avait des photographes, des cameramen. Je me doutais bien que c’était pour la presse mais je ne savais pas que les films, c’était pour la télé.  Donc c’est après, une fois retournée en prison, qu’une de mes gardiennes m’a dit « ah ! je t’ai vue à la télé ! Et donc j’ai compris que j’étais passée à la télé et je ne savais pas que c’était tout mon discours qui avait été présenté à la télé.

Donc tu as dis quoi ?
J’ai dit tout ce que j’avais dit dès le premier jour à Evine, c’est-à-dire que : oui j’ai été à deux manifestations, oui j’ai écris des mails à des proches pour les rassurer, oui j’ai parlé avec des Iraniens de ce qui s’était passé, et oui je m’excuse d’avoir fait tout ça, et je vous demande de m’excuser.
Et en fait ce qui est frappant c’est qu’on m’a demandé d’avouer ce que j’avais fais en me forçant à utiliser des mots qui n’était pas vraiment les miens, parce que pour moi, j’avais été témoin de manifestations, je n’avais pas participé à des manifestations, je les ai vues un quart d’heure ces manifestations. Ou bien, envoyer un rapport ; tout ça c’est eux qui voulaient me faire dire que j’avais envoyé un rapport. Je n’ai jamais envoyé de rapport, c’était des mails amicaux, voilà. Pour moi, ils ne pensaient pas sincèrement que je faisais du renseignement. Je pense qu’ils voulaient montrer que les étrangers avaient eu un rôle dans tout ce qui s’était passé. Donc ça a été la première audience pour moi. Ensuite j’ai été libérée une semaine après, et une fois en liberté surveillée à l’ambassade, j’ai eu quatre audiences.

Et tu savais en sortant de là que tu allais être libérée ?
Non je ne savais pas que j’allais être libérée. Deux jours après, j’ai pu retourner dans ma cellule d’origine. Ça, ça a été mon premier réconfort. Après, comme je n’avais pas eu de nouvelles de l’ambassadeur depuis une dizaine de jours, j’ai demandé à nouveau à lui parler, et là je l’ai eu au téléphone et il m’a dit « tu vas bientôt être libérée, on t’attend dans deux ou trois jours » et après deux ou trois jours en fait j’y étais encore. C’était très dure parce qu’à un moment on finit par ne plus y croire. En fait les derniers jours ont été très, très durs.

Ils savaient beaucoup de choses sur toi ? Ils avaient quand même un bon dossier ?
En fait ils ne savaient pas grand-chose de moi, mais ils ont trouvé des affaires dans mon sac qui leur ont permis de m’embêter pendant des heures : déjà le téléphone portable. Ça fait qu’ils ont trouvé une cinquantaine de numéros, et à partir de là pour chaque personne ils te disent « et avec telle personne, quelle relation tu avais ? » Après il y a l’ordinateur et ça c’est terrible, parce que moi je garde tout dans mon ordinateur et du coup il y a même des choses qui dataient d’il ya 3, 4ans qu’ils ont retrouvés. Ils m’ont demandé ce que c’était. Je ne comprenais plus. Des vieilles fiches de lecture, des exposés universitaires que j’avais gardés. C’est là qu’on se dit qu’il faut vider son ordinateur. (Rires)

Là j’ai dessiné Mortazavi.
 
Parce que tu l’as vu ?
Je l’ai vu Mortazavi, oui. C’est lui qui m’a fait mon dernier interrogatoire la veille du procès. C’est l’ancien procureur de Téhéran qui est très connu pour sa violence

Sa cruauté extrême
Sa cruauté extrême

On dit qu’il est responsable notamment de la mort de Zahra Kazemi, cette journaliste irano-canadienne. On dit qu’il l’a frappée à la tête avec ses chaussures.
Il a été tenu responsable des incidents qu’il y a eu à la prison de Kahrizak, c’est-à-dire la prison où il y a eu des viols, où il y a eu des morts. Je me suis retrouvée assise face à lui. On m’a débandé les yeux. Donc je l’ai vu, face à moi, il m’a invité à boire le thé.

Et tu savais qui c’était ?
Je ne savais pas qui c’était et justement il m’a dit : « tu sais qui je suis ? » et je lui ai dit non, je ne sais pas qui vous êtes. Il m’a dit « moi je suis le juge. » et en fait moi je m’en souviens comme d’un homme terrible, notamment parce qu’il avait un regard très dur, très froid et on sentait à quel point il était mesquin et manipulateur. Surtout quand il a voulu me faire dire à tout prix que j’avais des amis Moudjahidine du peuple. Il m’a demandé, il m’a dit : « oui, et tu connais les Moudjahidine ? » moi je lui ai dit « non je ne connais pas de Moudjahidine ». Il m’a dit « mais si, si, tu en connais » et moi j’ai dit « non je n’en connais pas », et il m’a dit « oui, mais tu en connais sans même le savoir ». Donc c’est pour vous dire comment on fait faire des aveux à Evine avec Mortezavi.

Et tu es la fille qui a pris le thé avec Mortezavi, et tu es est sortie !
Je crois que je n’ai pas bu le thé.

****
J’ai appris ma libération deux minutes avant de sortir. Quand on est en prison, on n’est pas prévenu qu’on va être libéré. Donc moi j’avais eu mon ambassadeur qui m’avait dit que ce serait pour bientôt. Mais je m’impatientais à en désespérer. Et puis un soir à 22h, alors que j’étais persuadée qu’encore une fois je ne serais pas libérer, on entendait plein de bruits dans les couloirs, on se demandait bien ce que ça pouvait être. Après, on avait fait venir sur des chariots mon gros sac à dos et mon petit sac à dos. Là on ouvre la porte et on me dit « ça y est, tu es libre, tu sors ». Ce qui a été terrible c’est que j’ai laissé une fille toute seule derrière moi. Parce qu’on était quatre au départ et on a été plus que deux pendant une semaine, et quand je suis partie je l’ai laissée toute seule. Mais on avait déjà évoquée cette question, comme je savais que j’allais partir. Du coup on avait demandé aux gardiennes de ne pas la laisser toute seule.
Il était 10h30 du soir, on m’a fait attendre une demi-heure. Ensuite M. l’ambassadeur m’attendait. Donc j’ai retrouvé M. l’ambassadeur avec le président de la chambre du tribunal qui était là le jour de mon procès. Donc je les ai retrouvé tous les deux, ils m’attendaient. M. l’ambassadeur pour monter dans sa voiture. Je suis partie, et en fait ils ont gardé mon passeport. Ensuite dans la voiture tout de suite on a appelé le président de la république, le ministre ; d’abord mon père, à la libération, et le soir j’étais arrivée à l’ambassade.

Et alors tu étais contente ?
J’étais contente et en même temps j’étais sous le choc –  premièrement de quitter la prison mais, deuxièmement, surtout d’être propulsée dans une autre dimension de mon affaire qui était une dimension politique. C’est-à-dire de me retrouver à parler au président de la république 10 minutes après ma libération. C’était encore une fois irréel, et je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, c’est surtout cela qui était dur pour moi.

Et tu n’étais pas préparée, tu n’as pas réfléchi
J’avais déjà réfléchi à des propos au président en fait parce que l’ambassadeur au téléphone m’avait dit « faut savoir que votre pays vous soutient ». C’était évident qu’une fois libérée, je devais remercier mon pays et je le remercie encore. Je suis reconnaissante envers tous les français, parce que c’est mon pays qui a payé l’amende qui a permis ma libération, c’est mon pays qui m’a quand même permis  de retrouver la liberté, tous les français.

***

Mon séjour à l’ambassade, en gros il y a eu deux périodes. La première période où j’allais d’audience en audience. C’était une période marquée par l’angoisse. Surtout au début, j’avais peur de retourner en prison. Je me disais que l’issue du procès pouvait être une peine. En fait j’étais très impressionnée par tout ce qui m’arrivait, donc j’avais du mal à le rationaliser. Je ne me suis jamais dis : je n’aurais jamais dû aller en Iran. Je me suis dis : comment j’ai pu me tromper autant sur l’Iran, c’est-à-dire comment j’ai pu croire que voir une manifestation ça ne m’attirerait pas forcement des problèmes. Ça c’est une phrase du poète Molana…

Qu’on connaît plus sous le nom de Roumi
C’est un ami qui m’avait offert ce texte calligraphié, c’est un texte très beau, je vous le lis :

گر با همه يي، چون بي مني, بي همه يي
گر بي همه يي, چون با مني, با همه يي

En fait ce que ça veut dire c’est que « si tu es avec tout le monde, puisque tu es sans moi, tu es seul. Si tu es seule, puisque tu es avec moi, tu es avec tout le monde. » C’est une phrase clairement mystique. C’est vrai que dans cette épreuve, je me suis tournée vers Dieu, j’ai prié. Et cette phrase-là, pour moi, elle est très rassurante, parce qu’à chaque fois que je me suis sentie seule, je pensais à cette phrase. Et c’est vrai que je me sentais moins seule.

Mais en fait tu n’étais pas obligée de rester à l’ambassade, tu pouvais sortir dans la ville si tu le souhaitais.
Les Iraniens ne m’ont pas assignée à résidence. Mais à partir du moment où la première fois que j‘ai quitté l’ambassade on m’a menacée de me remettre en prison. Ils ont jugé que c’était mieux que je reste à l’ambassade, parce que les conditions de ma liberté sous caution n’étaient pas respectées. Donc je suis restée à l’ambassade jusqu’au mois de janvier, où là ; la dernière audience étant passée, on a considéré que je pouvais sortir avec des diplomates, en voiture diplomatique, toujours bien protégée. Moi je ne comprenais absolument pas qui décidait me concernant. Je ne peux pas savoir et la seule chose que je percevais, c’est qu’un jour le président iranien parlait de moi à la télévision, que le surlendemain le président français répondait. Donc j’ai senti qu’il n’y avait aucun moyen de comprendre, que ça me dépassait beaucoup trop. Je pense qu’il y a très, très peu de gens qui comprennent les tenants et les aboutissants, j’ai presque abandonné à comprendre.

***

En Iran, ne sachant pas quand ça allait se terminer, je ne me préparais pas vraiment au retour, parce que psychologiquement c’était dur de se préparer à quelque chose qui est incertain et qui est peut-être lointain, donc je préférais fuir et ne pas y penser. Du coup, au retour, j’ai surtout eu besoin de me retrouver, de prendre du recul. Ce que j’appréhendais, c’était l’attente médiatique, parce que je savais que je ne pourrais pas y répondre. Je n’avais ni l’envie ni la force, ni l’énergie parce que répondre à des quantités de questions, à toute allure, dans tous les sens, sur une histoire aussi longue et compliquée, je ne m’en sentais pas vraiment capable. Ce que je peux faire aujourd’hui c’est simplement témoigner. C’est pour ça que je suis contente de parler comme ça. Je peux raconter mon histoire mais je ne peux pas expliquer tout ce qui m’est arrivé. Surtout, je supporte mal aussi qu’on me juge tant. C’est pour ça que je ne préfère pas trop m’exposer.
Je pense que je resterai forcément attachée à l’Iran, parce que cette histoire, elle va marquer ma vie jusqu’au bout c’est sûr. C’est des choses que j’ai vécu avec des Iraniens, je pense que très peu de français pourront le comprendre, et je me pense beaucoup mieux comprise par les Iraniens que par beaucoup de français. Je trouve l’Iran beaucoup plus complexe, j’avais une vision un peu plus simple de l’Iran.

A la suite d’un de mes derniers interrogatoires, je me souviens aussi avoir demandé à l’un de mes interrogateurs, non, je ne lui ai pas demandé. Il me raccompagnait à ma cellule et il m’a dit : « tu sais on aurait pu choisir quelqu’un d’autre, mais c’est toi qu’on a choisi parce que tu as un mauvais regard sur l’Iran ». Pour moi c’est une des phrases inoubliables parce que ça montre quand même que ça m’est arrivé et ça aurait pu arriver à un autre et surtout je ne comprendrais jamais ce qu’il a voulu dire par là, parce qu’un mauvais regard sur l’Iran, moi je considère avoir un bon regard sur l’Iran parce que c’est un pays auquel je suis attachée, que je cherche à comprendre et à connaître. Mais certainement à ses yeux, ce n’est pas un bon regard parce que … je ne sais pas en fait quel est le bon regard pour lui, mais je n’oublierai jamais cette phrase.

***

 

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