Iran Focus : Le militant kurde Farzad Kamangar a été exécuté le 9 mai dernier avec quatre autres prisonniers politiques suscitant l’émoi dans la population iranienne. Cette instituteurs membre du mouvement Pejak avait été emprisonné en 2008 et accusé de Moharebeh, guerre contre Dieu. Ses proches ont rendu publique une lettre quil avait rédigée à lépoque à ses élèves dans laquelle il témoigne de sa foi pour « les leçons de lamour et de la sincérité » des enfants dIran et lavènement dun monde plus juste. Cette lettre, reproduite sur le site CSDHI a été écrite le 28 février 2008 alors quil était détenu à la prison Rajai Shahr de Karaj :
Salut les enfants Vous me manquez tous. Je passe mes jours et mes nuits ici, chantant des chansons de vie en me rappelant vos doux souvenirs. Chaque jour, je salue le soleil au lieu de vous saluer. Je me lève chaque matin avec vous, mais derrière ces hauts murs. Je rie et dors en pensant à vous. Parfois, je suis complètement submergé par la nostalgie. Je souhaiterais quil soit possible de tout oublier, tout comme lors du retour dune sortie scolaire, nous nous lavions de la poussière de notre fatigue avec leau claire de la rivière dun petit village. Je souhaite que cela soit possible Je souhaite quil soit possible que nos oreilles entendent le son de leau et que nos corps sentent la caresse des fleurs, comme nous le faisions lors de nos classes au milieu de la magnifique symphonie de la nature.
Je souhaite que nous puissions laisser nos livres de maths avec tous leurs problèmes sous un rocher, parce que quand le père napporte pas de pain sur la table [1], quelle différence cela fait-il si Pi égale 3,14 ou 100,14 ?
Nous avions laissé de côté les chapitres de science avec tous leurs composés chimiques et physiques. Nous espérions voir une réaction faite de miracle et damour en disant adieu aux nuages dans le ciel, les regardant dériver avec le vent. Nous attendions un changement qui empêcherait que Koroush, votre camarade de classe, ne finisse ouvrier luttant pour gagner un morceau de pain, tombant dun building pour nous quitter à jamais.
Nous attendions un Nowrouz ( le nouvel an iranien ndlr) différent qui apporterait une nouvelle paire de chaussure, de beaux habits et une nappe pleine de sucreries et de bonbons pour nous tous.
Je voudrais quil soit possible de réviser encore en secret notre alphabet kurde, loin du regard furieux du président de lécole et que nous puissions nous chanter des poèmes et des chansons dans notre langue maternelle, et nous prendre par la main et danser et danser encore. Je souhaite pouvoir une fois encore être le gardien de but des garçons de la première année de lécole élémentaire qui rêvent de devenir Ronaldo pour pouvoir ainsi marquer un but et battre leur instituteur. Quel dommage que notre terre, nos rêves et nos désirs soient recouverts par la poussière bien plus rapidement que ne le serait un simple portrait ! Je souhaite pouvoir être encore un membre permanent de la chaîne de Monsieur le Constructeur de Chaîne [2] avec les filles de la première année de lécole primaire, ces mêmes filles qui, je le sais, écriront un jour en secret dans leur journal jaurais voulu ne jamais naître fille.
Je sais que vous avez grandi et que vous allez être mariées, mais pour moi vous restez les mêmes anges purs qui portent encore les baisers dAhura Mazda [3] dans leurs yeux magnifiques. Qui sait, peut-être que si vous nétiez pas nées dans une telle misère et une telle souffrance, vous pourriez maintenant collecter des signatures pour la Campagne des Femmes. Ou, si vous nétiez pas nées dans ce coin de la terre oubliée de Dieu, vous ne seriez pas forcées de dire adieu, avec les larmes aux yeux, à lécole pour la blanche dentelle de la féminité et expérimenter lamère histoire du deuxième sexe.
Filles du pays dAhoora, demain, lorsque vous cueillerez des fleurs dans les vallées pour faire des couronnes à vos enfants, parlez-leur de toute la pureté et du bonheur de votre enfance.
Garçons du pays du soleil, je sais que vous ne pouvez plus vous asseoir, chanter et rire avec vos camarades de classe, parce quaprès la tristesse dêtre devenus des hommes, vous devez faire face à la douleur de devoir gagner du pain. Rappelez-vous de ne pas tourner le dos à vos poèmes, à vos chansons, à vos Leyla et à vos rêves. Apprenez à vos enfants à être des enfants des poèmes et des pluies pour leur terre, pour le présent, et pour demain.
Je vous quitte pour le vent et le soleil pour quainsi, dans un futur proche, vous chantiez les leçons de lamour et de la sincérité à votre terre.
Votre ami denfance, camarade de jeu et instituteur,
Farzad Kamangar, 28 février 2008
Notes
[1] Le père apporte le pain est le premier texte des livres de lecture en farsi pour les enfants des écoles élémentaires en Iran.
[2] Amoo Zanjir Baaf (Monsieur Constructeur de Chaîne) est un vieux jeu perse pour enfants.
[3] Ahura Mazda est une ancienne divinité zoroastrienne.