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Iran: les leçons de la Révolution de 1979

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Iranactu.blog.lemonde.fr: Par Nader Nouri* – La Révolution du 11 février 1979  est un moment crucial de l’histoire contemporaine de l’Iran. Unique dans son genre, elle a provoqué une rupture profonde avec l’ordre monarchique millénaire, captivant l’attention du monde tant par l’ampleur de la participation populaire, que par la fascination suscitée pour un peuple héritier d’une grande civilisation. Promettant l’entrée de ce grand pays dans l’ère démocratique, les espoirs tendaient à ce que l’Iran puisse enfin répondre aux attentes de son peuple et celles du monde d’aujourd’hui.

Une culture riche, à l’héritage millénaire, des ressources naturelles et humaines inépuisable, une histoire contemporaine parsemé de combats pour la liberté, l’avènement d’un nouveau régime devait augurer la prospérité et paix sociale pour les iraniens, et faire de ce pays un acteur positif pour la communauté des nations.

Or, le projet d’une société démocratique et moderne a fait place à l’une des pires dictatures du 20è siècle et du  siècle actuel sous le manteau de la religion. La monopolisation du pouvoir par le clergé,  le renoncement au jeu démocratique, la négation des droits fondamentaux et une misogynie institutionnalisé…  telle a été la ligne de conduite des mollahs au cours des trois dernières décennies.

Laisser une chance à la transition pacifique

Au lendemain de la révolution de février, les démocrates iraniens  ont opté pour des moyens pacifiques pour freiner la percée intégriste. Pour eux, l’étape de la construction de la nouvelle société des droits devait pouvoir se réaliser dans la consultation et la confrontation des idées. Les urnes comme ultime arbitre, la paix sociale pouvait être préservée, tout en œuvrant résolument pour mettre fin aux maux de la société et contribuer à son émancipation.

Les forces démocratiques et libérales fondent alors une alliance pour proposer une alternative différente de celle que les intégristes dirigés par Khomeiny voulaient imposer à la société. Une initiative qui gagne rapidement en popularité et menace l’emprise des islamistes. Animé par les principaux mouvements ayant participé au renversement du Chah, l’Organisation des Fédayin du peuple et celle des Moudjahidine du Peuple, des minorités ethniques comme les Kurdes et l’ensemble des forces progressistes, une alliance qui plaçait le respect des valeurs de la révolution antimonarchique au centre de ses revendications: le respect des libertés démocratiques et des droits fondamentaux.  Le quotidien Keyhan, daté du 20 mars 1979, rapporte en ces termes l’essentielle de ces revendications étant les suivantes : «les partis, la presse et les rassemblements politiques doivent être libres».

Cette coalition au cœur de laquelle se trouve l’OMPI veut jouer à fond et avec sincérité le jeu démocratique, profiter de la moindre parcelle de liberté pour sauvegarder les acquis de la Révolution. Ils veulent éviter toutes confrontation et laisser une chance à une transition pacifique vers la démocratie. Leur popularité grandissant, ils se lancent dans les scrutins successifs: l’élection de la première Assemblée des Experts (qui pour Khomeiny se substitue à l’Assemblée Constituante) en 1979, l’élection présidentielle en 1980, et enfin à la première élection législative en 1981.  Face à une alliance obscure entre Khomeiny, les fondamentalistes les plus rétrogrades et le parti Toudeh (l’ancien parti communiste) et quelques organisations et personnalités qui n’ont fait pas le choix des principes mais celui du pouvoir.

La coalition des démocrates

Le poids politique de l’opposition va en grandissant, malgré les nombreuses restrictions imposées à leur activité par le nouveau régime, et les agressions constantes contre leurs sympathisants. En 1980, la coalition de l’opposition choisie Massoud Radjavi, 32 ans, comme le «candidat de la jeune génération » pour la présidentielle. Moins d’un an après la chute du chah, tous les groupes politiques de l’opposition sont unis dans un scrutin qui s’annonce décisif. Un éventail impressionnant d’organisations indépendantes, notamment les fédayins, l’Ompi, le Front démocratique national, les principaux partis kurdes,  les forces de gauche, les associations des minorités religieuses et ethniques, de nombreuses personnalités et les membres de l’association des écrivains iraniens, appellent à voter pour le candidat de l’opposition. Les dirigeants islamistes prennent la menace au sérieux. Khomeiny édicte une fatwa annulant la candidature de Radjavi sous prétexte qu’il n’a pas voté en faveur du principe du Velayat-é-faghih (pouvoir absolu du guide suprême religieux) et de la constitution basée sur ce principe. Ce prétexte deviendra dorénavant un refus systématique pour ne laisser dans la course de toute élection en Iran que les caciques du sérail.

Quelques mois plus tard, des décrets similaires et des fraudes électorales massives empêchent même un seul candidat de l’opposition d’être élu au parlement. Malgré l’ampleur des fraudes, les candidats de l’opposition arrivent partout en seconde position. Avec le succès et la popularité grandissante de cette dernière, la violence du régime s’accentue. Mais malgré la brutalité des milices du « Hezbollah » et du « bassidji », ces hordes armées organisées en bande par le régime pour terroriser les opposants aux rassemblements, malgré des fraudes colossales dans les premières élections législatives et présidentielles, malgré la monopolisation des médias et la censure, malgré les quelques 50 militants assassinés au nom de Dieu… l’opposition fait preuve d’une retenue exemplaire, parfois déconcertante, cherchant à éviter la violence à tout prix. Allant jusqu’à fermer leurs bureaux et sièges de représentation à travers le pays pour ne pas provoquer le pouvoir, l’Ompi joue la carte de l’apaisement jusqu’en juin 1981 c’est-à-dire deux ans et demi après la révolution.

Lors de cette journée du 20 juin, 500 000 Téhéranais manifestaient pacifiquement à l’appel de l’opposition pour protester contre la montée de la répression. Les pasdarans ouvrent le feu sans discernement sur une manifestation pacifique. Des dizaines de personnes sont tuées et des milliers d’autres arrêtées. Alors que la nuit tombait, les exécutions de masse commençaient dans les prisons. Des milliers furent exécutées. La sauvagerie des tortures infligée aux prisonniers atteint son paroxysme. Et se poursuivra au cours des 34 années du pouvoir de cette théocratie.

Le model iranien

Si les religieux ont pu opérer une regrettable et douloureuse parenthèse dans le développement de la société iranienne, peut-être celle-ci est-elle une étape incontournable. Utile pour manifester à la fois les limites du régime intégriste et la vraie nature de l’islamisme débridé du pouvoir des mollahs. Un passage obligé pour une évacuation historique de la société iranienne des affres intégristes, et pour rompre l’emprise séculaire du clergé sur les âmes et la politique des iraniens. Une étape inévitable pour enfin permettre la renaissance du « monde iranien ».

Depuis nous assistons au « printemps arabe », et combien de similitudes que l’on peut constater avec ce qui s’est passé il y a 34 ans en Iran ! Mais les révolutions arabes ne sont pas obligées de passer par le même chemin. L’expérience de la révolution iranienne suffit pour corriger le tir. Les forces vives des sociétés arabes doivent d’abord être sans concession dans la défense des libertés démocratiques chèrement acquises. Le temps joue au détriment des pouvoirs intégristes. Anachroniques, ils sont incapables de répondre aux attentes de leurs peuples, cherchant toujours à s’accrocher par la violence. C’est la ligne rouge qu’ils ne doivent pas être autorisés à franchir ; la communauté internationale doit être vigilante à cet égard.

Aussi et surtout est-il primordiale de viser l’épicentre de l’intégrisme qui est à Téhéran. On ne peut pas être complaisant avec le parrain de l’intégrisme en Iran et vouloir en même temps abattre ses branches dans d’autres régions de la planète. Les forces vives de ces sociétés qui s’émancipent doivent prendre toute leur distance avec le seul véritable état théocratique islamiste qui cherche à influencer et exploiter la situation pour imposer son modèle. Dans ce domaine ce pouvoir qui place ses intérêts avant tout, ne fait pas de distinction, contrairement aux idées reçu, entre chiites et sunnites comme on peut le constater en Palestine ou dans le passé en Algérie ou en Afghanistan et actuellement en Afrique. Les forces intégristes et obscures qu’ils soient une déviation du chiisme ou du sunnisme se rejoignent sur le fond et sur le terrain des intérêts. Les intérêts de la République islamique d’Iran et d’Al-Qaida en Iraq ou ailleurs ont souvent convergés.

Le chemin de la lutte contre l’intégrisme passe donc par une alternative intellectuelle et culturelle qui rejette toute forme d’intégrisme, à savoir un islam tolérant et démocratique reconnaissant la séparation de la religion et de l’Etat. Sans ce modèle, les intégristes continueront à influencer la masse des musulmans dont la majeure partie est en proie à la misère et à l’injustice. Il y a trois décennies depuis que ce terrible phénomène est parti de l’Iran ; c’est peut-être en Iran que son élan sera également stoppé à jamais.

 

* Nader Nouri est un ancien diplomate et un politologue iranien

http://iranactu.blog.lemonde.fr/2013/02/14/iran-les-lecons-de-la-revolution-de-1979/



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